Fiction historique

La Machine, tome 2 : Les fils du feu

Titre : Les fils du feu
Cycle/Série : La Machine, tome 2
Auteur : Katia Lanero Zamora
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2023 (mars)

Synopsis : Après des mois de tension, la guerre civile s’est abattue sur Panîm et l’enfer se déchaîne sur ses habitants. Les troupes de la toute jeune république et celles des anarchistes de La Machine tentent de résister à l’armée des royalistes, mieux financée et mieux équipée. Dans ce tourbillon sanglant, la famille Cabayol a littéralement explosé. Les deux frères, Andrés et Vian, sont dans des camps opposés. Un face-à-face mortel malgré l’amour qui les unit. Une histoire de sang, de batailles, de fièvre et de révoltes !

– Ce que j’ai vu de pire… C’est la mort de l’espoir. Il m’en faut beaucoup pour croire encore en l’être humain après tout ce qu’on a vu. Et tout ce qu’on a fait.
Isabeau leva son verre.
-Pour que les générations futures n’aient pas à vivre ça !
Andrès leva le sien.
-Et à ceux qui se battent pour que ça n’arrive plus jamais. »

Plongée éprouvante dans l’enfer de la guerre civile espagnole

Deux ans après la parution du premier volume de « La Machine », Katia Lanero Zamora nous offre avec cet ultime volet la conclusion de son diptyque revisitant la guerre civile espagnole. Certes, l’action prend place dans un pays appelé Panîm tandis que le général à la tête du coup d’état se nomme Ovando et que les partisans de la République se revendiquent de l’idéologie machiniste, mais à l’exception de ces quelques changements sémantiques qui ancrent le récit davantage dans le genre de l’imaginaire que dans celui du roman historique, on reconnaît sans difficulté le contexte dont il est question. Nous sommes en Espagne, à la fin des années 1930, et le général Franco a débarqué du Maroc avec son armée d’insurgés pour renverser la République ainsi que le gouvernement du front populaire élu aux dernières élections et composé des principales forces de gauche, socialistes, communistes ou anarchistes. Une guerre civile éclate entre les partisans de Franco et les Républicains qui tiennent certaines régions ainsi que la capitale grâce au renfort bienvenu des brigades internationales, militants étrangers venus soutenir leurs camarades dans leur lutte contre le fascisme et la dictature. En face, les troupes de Franco sont toutefois mieux armées et bénéficient du soutien des régimes italien et allemand, tandis que les autres puissances européennes se refusent à intervenir directement. La suite, on la connaît… Voilà pour le contexte historique dans lequel se déroule le roman de Katia Lanero Zamora qui, au delà d’une plongée dans la guerre civile espagnole, se veut également grande saga familiale retraçant le parcours de deux frères que la vie et les hasards ont placé dans deux camps opposés. Le premier tome mettait en scène les Cabayol, une famille de nouveaux riches possédant des terres et des mines, et qui, de part leur position sociale, se montrait particulièrement hostile aux idées de la Machine, ce courant politique prônant, entre-autre, la reprise en main par les travailleurs eux-mêmes des moyens de production et l’abolition des inégalités de classe. Andrès, l’aîné des deux frères Cabayol, va pourtant être séduit par cette idéologie et venir gonfler les rangs des machinistes avant même le début de la guerre. Son frère, Vian, va quant à lui être marié à une proche du général insurgé et gagner du galon en tant qu’officier dans l’armée fléchiste d’Ovando.

Un pays et une famille déchirés

Le roman alterne entre le point de vue des deux frères, ce qui permet d’avoir un aperçu global de l’évolution du conflit et des forces en présence dans les deux camps, et donc de proposer une reconstitution convaincante de la période. Les chapitres consacrés à Andrès permettent de mettre en lumière le rôle des brigades internationales dans le conflit, mais aussi les divisions ayant cours au sein des forces républicaines concernant la militarisation des différentes brigades et leur incorporation dans l’armée régulière. Du côté fléchiste, le parcours de Vian donne à voir l’avancée inexorable des troupes d’Ovando ainsi que l’avantage que lui procure le soutien des grandes puissances européennes. L’autrice met aussi l’accent sur les exactions dont les putchistes se sont rendus coupables envers les populations civiles, qu’il s’agisse des massacres purs et simples, mais aussi des déportations dans des camps de travail ou encore des vols de bébés, enlevés à leurs parents rebelles pour les confier à des familles fidèles au régime (non, non, Margaret Atwood n’a rien inventé…). L’autrice ne passe pas non plus sous silence les actes ou décisions discutables qui ont pu être commis ou prises par les partisans et partisanes de la République pour lesquels on éprouve spontanément davantage de sympathie, mais qui ne sont pas idéalisé.es pour autant, tiraillé.es qu’iels sont par leur idéal et les compromissions auxquelles les pousse parfois l’urgence de la guerre. Les deux trames narratives sont aussi bouleversantes l’une que l’autre et, quand bien même on souhaite évidemment voir triompher la cause d’Andrès tandis que les actes dont Vian se rend coupable nous répugnent, on ne peut pour autant se départir du profond attachement que l’on éprouve pour eux deux. Comme les frères Cabayol et comme les protagonistes de l’époque, le lecteur se retrouve déchiré par ce conflit qui force les individus à choisir entre plusieurs loyautés. C’est notamment le cas de Vian qui se retrouve dans le camp fléchiste davantage par hasard que par idéologie et qui serait prêt à tout pour sauver son frère. Andrès, lui, est plus politisé, ce qui le rend plus déterminé à défendre le camp républicain afin d’offrir un avenir à son propre fils, mais ne l’empêche pas pour autant de penser au reste de sa famille qui le croit d’ailleurs mort.

Un récit poignant

Ce tiraillement entre deux mondes est renforcé par les nombreux flashbacks qui parsèment le récit et qui permettent de mieux cerner les personnalités de Vian et Andrès, de comprendre les raisons qui contribuèrent à l’éloignement de leur parcours, mais aussi, et peut-être surtout, d’être témoin de la profonde complicité qui les unit depuis l’enfance et qui rend leur antagonisme présent encore plus insupportable. Katia Lanero Zamora mêle avec brio petite et grande histoire, les deux s’entremêlant de façon inextricable pour former un récit bouleversant. Le fait de connaître d’ores et déjà l’issu de la guerre n’enlève rien à l’intérêt que l’on porte à l’intrigue, ni ne coupe court au suspens qui, bien que ne portant pas sur l’identité du vainqueur de la guerre, reste toutefois vif concernant la survie ou non des deux frères Cabayol et de leur entourage. Certaines scènes sont tout simplement déchirantes et marquent par leur intensité dramatique, au point qu’il en devient parfois difficile de poursuivre sa lecture tant l’émotion s’avère trop forte. Car au-delà de la victoire du camp républicain ou de celui des fléchistes, c’est le sort d’individus que l’on a appris à connaître et à aimer qui se joue. Ou parfois même pas, le récit de la mort de combattants inconnus ou celui de la solitude d’un bébé devenu soudainement orphelin de ses deux parents suffisant à bouleverser, quand bien même il ne s’agit là que de parcours de vie rapportés à titre anecdotique. Et c’est en cela que réside toute la force du roman de l’autrice qui parvient à proposer une reconstitution la plus fidèle possible de l’ambiance de l’époque non seulement d’un point de vue historique mais aussi d’un point de vue émotionnel.

« Les fils du feu » offre une conclusion bouleversante au diptyque de « La Machine » entamé il y a deux ans par « Terre de sang et de sueur » et retraçant les principales étapes de la guerre civile espagnole de la fin des années 1930. A cette grande histoire de la lutte contre le fascisme et pour la révolution, se mêle une histoire plus intime et tout aussi émouvante de deux frères ayant choisi des camps différents et pourtant unis par un lien indéfectible. C’est dur parfois, bouleversant souvent, mais c’est aussi et surtout une belle histoire d’amour, de lutte, et, malgré tout, d’espoir.

Voir aussi : Tome 1

Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; L’ours inculte

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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