Récit contemporain

Madones et putains

Titre : Madones et putains
Auteur : Nine Antico
Éditeur : Dupuis (Aire libre)
Date de publication : 2023

Synopsis : À travers trois nouvelles, inspirées de destins véridiques, Nine Antico brosse un instantané de la condition des femmes dans l’Italie du XXe siècle. Il y a d’abord Agata, envoyée par son père dans un sanatorium pour échapper au scandale public déclenché par l’assassinat de sa mère par son amant. Puis Lucia, tondue et écartée de la vie sociale à l’issue de la Seconde Guerre mondiale pour avoir couché avec un soldat allemand. Et enfin Rosalia, placée sous protection de témoins après avoir livré le nom de plusieurs mafieux de son village… Ces trois jeunes femmes, portant toutes des noms de saintes, seront sacrifiées sur l’hôtel des valeurs sociétales malgré leur détermination, leur courage ou leur innocence… Madones et putains : un récit puissant comme un drame antique et précis comme une étude sociologique, dont la beauté graphique comme le propos ne peuvent laisser indifférent.

« Agata »

Avec « Madones et putains », Nine Antico nous plonge dans l’Italie du XXe par le biais de trois nouvelles mettant chacune en scène une héroïne et une problématique différentes, généralement inspirées de véritables faits divers. La première, Agata, est une jeune fille vivant au début du XXe siècle et recluse par son père dans un sanatorium à proximité du volcan Stromboli. Non pas qu’elle souffre d’une quelconque pathologie, seulement sa famille souhaite la soustraire du scandale causé par la mort de sa mère, assassinée par son amant qu’elle s’apprêtait à quitter. Là-bas, Agata mène une vie morne, rythmée par les prières et les moments de liberté et de camaraderie dont elle profite pour instruire ses compagnes de chambre à propos de l’histoire de la sainte dont elle porte le nom (et qui a pour particularité de s’être vue arracher les seins). Le scénario en lui-même est intéressant, de même que le propos qui vise à dénoncer les crimes d’honneur et les conséquences qui peuvent rejaillir sur les familles des victimes. Malgré cela cette première nouvelle reste difficile à suivre. D’abord visuellement, dans la mesure où il est parfois un peu compliqué de se retrouver dans les cases qui mêlent narrations et dialogues de façon un peu chaotique. Certaines illustrations manquent quant à elle de clarté et nécessitent plusieurs relectures pour être finalement comprises. La narration se révèle elle aussi assez confuse, à la fois parce que les dialogues sont ponctués de plusieurs longs passages en italien (traduits seulement à la fin de l’album), mais aussi parce que l’autrice saute parfois du coq à l’âne de faàon abrupte, la description du quotidien d’Agata laissant soudainement la place à des explications sur telles fêtes ou telles traditions italiennes. La chute, en revanche, est brutale et astucieuse et permet de donner un nouvel éclairage à l’histoire de la jeune fille.

Dans un pays où le code pénal concédait aux coupables de crime d’honneur des circonstances atténuantes, banalisant ainsi l’homicide de femmes aux mœurs « légères » ou soupçonnées d’infidélité, pour la première fois, des milliers d’Italiennes manifestèrent leur colère. 

« Lucia »

La seconde nouvelle met en scène une autre femme au nom de sainte martyre, Lucia, à qui on a tondu le crane après qu’elle ait été surprise avec un soldat allemand juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’autrice prend ici le temps de poser le décor et de présenter le climat qui régnait en Italie à la fin du conflit : traumatisme lié à la guerre et aux destructions, omniprésence des soldats américains dont on cherche absolument les faveurs, population vivant dans un dénuement tel qu’il entraîne rapidement prolifération du marché noir et de la prostitution… C’est dans ce contexte que Lucia est donc surprise avec un soldat allemand, qui plus est responsable de la mort de la fille d’un parrain redouté de Naples. Humiliée et ostracisée, la jeune femme va tout de même réussir à attirer l’attention d’un homme qui lui propose de sortir de sa retraite pour l’épouser. Ce retour au monde va s’accompagner d’une transformation radicale et surprenante de Lucia, qui a désormais d’autres projets que celui de mener une vie tranquille. Comme dans la première nouvelle, Nine Antico donne à son récit une dimension fantastique en insérant un élément surnaturel qui va faire basculer l’histoire. On retrouve là encore l’aspect désordonné du début, même si cela est moins marqué que dans le récit consacré à Agata. La nouveauté tient ici au malaise que font naître certaines planches, comme si l’autrice avait voulu insister sur le côté glauque et malsain de la situation. Les illustrations renforcent cette impression, avec des personnages dotés de mimiques repoussantes ou des cases insistants sur des détails particulièrement sordides dont on se serait passé.

Ses rares moments de solitude, Lucia les appréciait. Elle en profitait pour détacher ses cheveux, les toucher, comme pour se rassurer.

« Rosalia »

Dernière nouvelle du recueil, « Rosalia » se déroule dans les années 1990 et est à nouveau inspirée de faits réels concernant la lutte contre la mafia et la corruption en Italie. Elle met en scène une jeune femme, Rosalia, qui vit sous protection policière après avoir acceptée de dénoncer les membres de plusieurs clans de réseaux mafieux sévissant dans son village natal, en Sicile. Son témoignage lui a toutefois valu d’être mis au ban de la société, considérée comme une traîtresse par sa propre famille. On retrouve ici la thématique déjà évoquée avec « Lucia » de la mainmise de la mafia sur la société italienne dans le Sud, ainsi que celle de la corruption généralisée qui a conduit l’état à entreprendre un nombre colossale de projets de construction, pour la plupart jamais aboutis. L’autrice dévoile ici une nouvelle facette de l’Italie et de la place accordée aux femmes dans la société en mettant en scène le martyr de cette jeune femme mais aussi les risques pris par tous ceux qui tentent de se mettre en travers de la route de ces mafieux, à commencer par les juges. Cette nouvelle est toutefois plus positive, dans la mesure où elle laisse entrevoir un espoir avec le mouvement de révolte populaire qui suivit la mort de Rosalia et la création de l’association des femmes siciliennes en lutte contre la mafia. Globalement l’ouvrage m’a laissée un sentiment assez mitigé. Par ses thématiques, ses petites touches de fantastique et sa volonté de mettre en lumière la violence patriarcale subie par les femmes italiennes, l’album séduit et permet de se familiariser avec un contexte qui n’est pas forcément bien connu du lectorat français. En revanche, la confusion de la narration, le choix de mettre l’accent sur des aspects sordides et le style même des illustrations ont empêché une véritable immersion, voire m’ont parfois totalement rebutée.

Depuis, elle vivait cachée dans la banlieue de ****, escortée jour et nuit pat deux policiers qui la (sur)veillaient. Elle suivait des cours par correspondance, et elle ne devait lire ni flirts, ni amitiés. Comme la sainte du même nom, Rosalia vivait recluse.

« Madones et putains » est un album réunissant trois nouvelles consacrées à des jeunes femmes dont le martyr permet de mettre en lumière la condition féminine dans l’Italie du XXe siècle. Si les thématiques traitées sont intéressantes et la chute de chaque nouvelle surprenante, l’ouvrage pâtit malheureusement d’une narration décousue et surtout de graphismes peu attrayants auxquels je n’ai pas du tout été sensible.

Autres critiques :  ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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