Crénom, Baudelaire !
Titre : Crénom, Baudelaire !
Auteur : Jean Teulé
Éditeur : Mialet Barrault / J’ai lu
Date de publication : 2020 / 2021
Synopsis : Si l’oeuvre éblouit, l’homme était détestable. Charles Baudelaire ne respectait rien, ne supportait aucune obligation envers qui que ce soit, déversait sur tous ceux qui l’approchaient les pires insanités. Drogué jusqu’à la moelle, dandy halluciné, il n’eut jamais d’autre ambition que de saisir cette beauté qui lui ravageait la tête et de la transmettre grâce à la poésie. Dans ses vers qu’il travaillait sans relâche, il a voulu réunir dans une même musique l’ignoble et le sublime. Il a écrit cent poèmes qu’il a jetés à la face de l’humanité. Cent fleurs du mal qui ont changé le destin de la poésie française.
Ils se disent que Baudelaire est absolument cinglé, qu’il faudrait en faire ils ne savent pas encore trop quoi. Les jours suivants, le Paquebot-des-Mers-du-Sud escalade parfois des dos de flots très hauts, puis l’océan redevient calme et plat, grand miroir du désespoir de Baudelaire se penchant périlleusement au-delà du bastingage où il se laisse gagner par l’ivresse des profondeurs en regrettant son inadaptation aux autres : « Ne serais-je pas un faux accord dans la divine symphonie ? ». Mais ça ne dure pas très longtemps. Bientôt, il retourne vers la dunette casser les couilles à tout le monde.
Baudelaire, connard de génie
Après Rimbaud, Verlaine ou encore François Villon, voilà que Jean Teulé s’intéresse à une autre vedette de notre panthéon littéraire : Baudelaire ! Poète au mode de vie dissolu ayant acquis une solide mais sulfureuse réputation par la publication d’un seul recueil, le célèbre « Fleurs du mal », l’écrivain avait tout pour plaire à Teulé qui, fidèle à ses habitudes, nous livre ici un portrait totalement déjanté. Certes, on y parle poésie, beauté et morale, mais on y retrouve aussi et surtout ce qui a toujours fait le sel des ouvrages du romancier : du sexe bien crade, des scènes particulièrement glauques, des détails scabreux et sordides, le tout agrémenté d’un irrésistible humour qui constitue un excellent contrepoint aux obscénités qui se succèdent. Bref, rien de bien nouveau dans cette biographie romancée de Baudelaire : si vous aimez Teulé, vous allez vous régaler, sinon, les premiers chapitres à eux seuls suffiront à vous faire tourner les talons. Car ça commence fort ! On y découvre un Baudelaire prématurément vieilli qui, en sortant d’une église (où il ne met pourtant d’ordinaire jamais les pieds !) est atteint d’un AVC qui le laisse hémiplégique et presque incapable de communiquer. Notre première rencontre avec le poète se déroule donc au crépuscule de sa vie. Teulé va ensuite nous faire remonter le temps afin que l’on comprenne comment cette loque lubrique et visiblement timbrée a pu à ce point marquer son époque et être célébrée par des générations de poètes comme un véritable génie. On découvre alors un homme au parcours atypique, moins en raison d’une quelconque suite d’événements extraordinaires qui auraient chamboulé sa vie qu’à cause de sa volonté de se distinguer de ses contemporains. Originaire d’une famille très aisée, le jeune Baudelaire connaît une enfance plutôt calme, si on excepte sa mésentente avec son militaire beau-père qu’il n’a jamais pu encadrer. Une fois sa majorité atteinte, Charles, persuadé de son talent et de son particularisme, entreprend de dilapider en un temps record la totalité de son héritage paternel, ce qui poussera son entourage à le mettre sous tutelle. Incapable de payer ses loyers, Baudelaire opte pour l’itinérance, changeant de logement dès que les huissiers viennent frapper à sa porte, et se met à fréquenter les prostituées qui lui refileront de charmantes MST. Gavé de drogues de toute sorte, le poète devient l’amant d’une actrice noire avec laquelle il forme un couple détonnant, et se met à fréquenter une large palette d’artistes parmi les plus en vogues du moment. La publication (compliquée !) de son recueil « Les fleurs du mal » lui vaudront l’admiration de ses paires mais les foudres de la critique et de la bonne société de l’époque qui fait interdire une partie de son œuvre. Malade, stone les trois-quart du temps, Baudelaire s’enfonce peu à peu dans une mélancolie dont la syphilis finira par avoir raison.
Ça y est, j’ai la vérole ! La grande vérole dont est mort François Ier ! Laissez-moi vous embrasser pour vous la refiler !
Humour, débauche et overdose
Teulé reprend ici les principaux épisodes connus de la vie de Baudelaire, tout en les romançant évidemment énormément. Sous la plume de l’écrivain, le poète devient un véritable punk, anticonformiste à l’excès, arrogant, misanthrope, pervers et en proie à des crises de désespoir ou d’exaltation perturbantes. Pour le dire autrement, Baudelaire apparaît ici comme un sale con. Ça, pour démystifier une figure historique, il sait y faire, Jean Teulé ! On le voit ainsi arpenter Paris dans des tenues plus extravagantes les unes que les autres (idem pour la coiffure !), prendre plaisir à choquer la bourgeoisie par sa poésie morbide et iconoclaste et surtout entretenir avec son entourage des relations globalement malsaines, notamment avec la gente féminine. Car bien qu’auteur de très beaux vers amoureux, le poète est ici présenté comme un bon gros misogyne n’ayant jamais supporté que sa mère lui préfère un autre et vouant ainsi aux femmes dans leur ensemble une profonde détestation. Cela donne lieu à des saillies machistes qui donnent envie de baffer le personnage mais qui sont heureusement contrebalancées par le regard plein de second degré et d’ironie de Teulé qui, on le sent, a du bien se marrer au cours de l’écriture. C’est ce décalage permanent entre les atrocités et obscénités proférées par le protagoniste et l’humour sous-jacent qui transparaît à chaque page qui rend la lecture amusante plutôt que révoltante. Il n’empêche qu’on frise tout de même parfois nous aussi l’overdose à cause de l’accumulation de scènes de sexe plus crades les unes que les autres, au cours desquelles le poète se livre parfois à une violence difficilement supportable. Pour ce qui est de la contextualisation historique, on reste dans du superficiel, le poète ne se souciant que de lui-même. Teulé aborde tout de même un certain nombre de grands événements que Baudelaire regardera avec une totale indifférence, qu’il s’agisse de la chute de la monarchie et de l’avènement de la IIe République, du coup d’état de Napoléon III ou encore des transformations entreprises dans la capitale par Haussmann. L’auteur se montre plus disert dès lors qu’il s’agit d’évoquer les fréquentations du poète, et il faut dire que le casting fait rêver. De Delacroix à Théophile Gauthier en passant par Nadar, Berlioz, Flaubert, Musset, les frères Goncourt ou encore George Sand : une grande partie des artistes français ayant marqué le XIXe se côtoient, se lisent, s’inspirent, se conspuent les uns des autres dans un joyeux bordel que Teulé retranscrit à merveille.
Biographie déjantée d’un monstre de la littérature française, « Crénom, Baudelaire ! » offre une lecture décoiffante qui revient sur les étapes clés de la vie du poète dont Teulé accentue à l’excès les dépravations, en faisant ainsi un génie, certes, mais un génie tellement détestable qu’on ne peut qu’en rire. Le roman n’échappe pourtant pas à certains écueils, dont la plupart sont propres à la patte de Jean Teulé qui provoque parfois le malaise plus que l’amusement.
NB : Dans le même style (mais en un peu moins trash), je ne peux que vous conseiller de vous pencher sur la biographie toute aussi drôle d’Alfred de Musset écrite par Catherine Dufour (et qu’on peut trouver dans le recueil « L’arithmétique terrible de la misère »
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