Nous allons tous très bien merci
Titre : Nous allons tous très bien merci
Auteur : Daryl Gregory
Éditeur : Le Bélial / Pocket
Date de publication : 2015 / 2017
Synopsis : Ils sont cinq, traumatisés, victimes de maniaques, poursuivis par leurs peurs, leurs démons, prisonniers d’un choc post-traumatique, et rassemblés par le Dr Jan Sayer pour une thérapie de groupe. Médecin psychiatre, elle est là pour les aider, les amener à se libérer des événements qui ont irrémédiablement marqué leur vie du sceau de l’horreur. Mais quelque chose de plus profond les lie tous. Une menace que certains d’entre eux sentent, d’autres voient, dont ils portent la marque dans leur chair, leurs os… Ces êtres brisés vont devoir trouver la force de s’ouvrir les uns aux autres et de s’allier pour stopper le cauchemar qui s’apprête à prendre forme et envahir le monde.
Lors des premières réunions, on se pliait à une structure rigide sans en être conscients. On parlait à tour de rôle, chacun occupant sa portion de temps à raconter sa vie et ses histoires d’épouvante. Une espèce de veillée autour d’un feu de camp. Le Dr Sayer nous apprit que cela arrivait fréquemment au sein d’un groupe de parole. Au bout du compte, le groupe cesserait de raconter et commencerait à travailler. La plupart d’entre nous ignoraient ce que cela signifiait, et les autres faisaient semblant de n’en rien savoir : raconter était déjà assez délicat. Reste qu’une crise au sein d’un groupe peut précipiter les étapes, comme un électrochoc ranimant un coeur.
Une petite thérapie ?
Deuxième ouvrage de Daryl Gregory publié en France après le succès de « L’éducation de Stony Mayhall », « Nous allons tous très bien merci » est une novella pour le moins atypique puisqu’elle commence d’une certaine manière par la fin. On y rencontre en effet cinq personnages plus ou moins étranges qui ont tous vécu une rencontre traumatisante avec une créature fantastique peu sympathique, de la puissance aquatique malfaisante en passant par l’esprit pyromane sans oublier l’araignée mangeuse d’hommes ou le tortionnaire mi-homme mi-requin. Or, l’originalité du roman vient du fait qu’il ne s’attache pas vraiment à décrire ces rencontres par le détail, mais plutôt à raconter l’histoire des personnages une fois leur épreuve terminée. Que se passe-t-il après le clap de fin ? Dans quel état se trouve les protagonistes après avoir vécu une aventure qui les dépasse ? Comment continuer à vivre après avoir été confronté à des créatures aussi terrifiantes, en sachant pertinemment qu’elles existent toujours en périphérie de notre monde ? C’est à ces questions que tente de répondre ici Daryl Gregory qui, pour se faire, a eu la brillante idée de nous convier à une thérapie de groupe. Réunis par les soins d’une psychologue spécialisée dans les questions surnaturelles, nos cinq victimes vont devoir vaincre leur réticences et leur réserve à parler du calvaire qu’ils ont vécu afin de pouvoir commencer à guérir. Le pitch est assez savoureux, et le reste du récit est à l’avenant puisqu’il se dévore avec une déconcertante rapidité.
Des personnages névrosés
Tous les personnages sont développés avec soin et possèdent des particularités qui nous les rendent immédiatement sympathique, même si certains cachent leurs fêlures mieux que d’autres. Harrison, par exemple, est un jeune homme à priori tout à fait banal si ce n’est qu’il a été confronté, adolescent, à une créature marine digne des Grands Anciens de Chtulhu et qu’il est devenu de ce fait le héros d’une saga littéraire contant ses exploits (son histoire a d’ailleurs véritablement été développée depuis dans un autre roman de l’auteur paru en 2020 : « Harrison Harrison »). Stan, lui, a perdu ses deux jambes et ses deux bras après avoir été capturé par une famille cannibale qui a fait la une de la presse à sensation il y a plusieurs années. Persuadé que tout le monde le regarde avec dégoût, il compense son insécurité permanente par une attitude outrageuse et une tendance un peu agaçante à monopoliser la parole. Barbara, elle, est tout l’inverse : mère de famille en apparence calme et posée, elle est néanmoins hantée par le message gravé aux prix de grandes souffrances sur ses os par une créature appelée le scrimshander, et dont elle ignore le contenu. Viennent enfin Martin et Greta : le premier est perdu dans un monde de réalité virtuelle dans lequel il a développé la capacité de voir les monstres évoluant à la lisière de notre monde, et dont il n’ose à présent plus sortir ; la seconde est une jeune fille taiseuse qui refuse de parler de ce qu’elle a vécu mais qui porte sur son corps les marques témoignant d’une rencontre incontestable avec le surnaturel.
Quand l’horreur s’invite dans le quotidien
L’intrigue, elle, suit son cours à un rythme de croisière agréable, alternant rebondissements et moments intimistes propices aux révélations sur le passé des personnages. A noter que le mode de narration choisi est un peu particulier puisque les chapitres se focalisent chaque fois sur un personnage différent qui commence à la première personne du pluriel, avant que le point de vue ne s’éloigne peu à peu jusqu’à passer à la troisième personne du singulier. Un peu déroutant au début, ce procédé se révèle finalement astucieux puisqu’il permet de multiplier les angles de vue tout en plaçant le groupe, et non pas chacun des individus qui le compose, au centre du récit. Les interactions et les relations forgées entre les uns et les autres constituent d’ailleurs tout le sel du roman, et on prend autant de plaisir à les voir se chicaner, s’entre-aider et se faire peu à peu confiance qu’on en prend à découvrir l’origine de leur traumatisme. A ce sujet, la référence à Lovecraft et à ses Grands Anciens saute évidemment aux yeux, sans que cet hommage ne prenne pour autant trop de place dans l’intrigue et n’éclipse les particularités propres à l’univers fantastique de l’auteur. Ce dernier est d’ailleurs parvenu à instaurer une atmosphère inquiétante du plus bel effet et qui se révèle d’autant plus intrigante que les personnages se montrent finalement peu loquaces dès qu’il s’agit de décrire leur interaction avec le surnaturel.
Si vous vous êtes toujours demandés ce que devenait le héros une fois ses aventures terminées, vous allez adorer cette novella ! La thérapie de groupe mise en scène par Daryl Gregory fonctionne à merveille et parvient sans mal à captiver le lecteur qui appréciera également l’ambiance un peu oppressante qui imprègne le récit, ainsi que la diversité des profils des protagonistes. Une vraie réussite, que vous pouvez prolonger si ce n’est pas encore fait avec le roman écrit par l’auteur dans le même univers : « Harrison Harrison ».
Autres critiques : Celinadanaé (Au pays des cave trolls)
2 commentaires
Tigger Lilly
Oui ça a l’air trop chouette ce livre. J’ai lu Stony Mayhall du même auteur j’aimerais bien lire ses autres romans ^^
Boudicca
Oui c’est très sympa (et rapide à lire !) J’aimerais bien lire L’éducation de Stony Mayhall, j’ai aimé les autres textes de l’auteur que j’ai pu lire 🙂