Les Naufragés de la Méduse
Titre : Les Naufragés de la Méduse
Auteurs : Jean-Sébastien Bordas et Jean-Christophe Deveney
Éditeur : Casterman [site officiel]
Date de publication : 3 juin 2020
Synopsis : 1816, les royalistes viennent de chasser du pouvoir les héritiers de la révolution et de l’Empire. Le commandement de La Méduse est confié à un noble qui n’a pas navigué depuis 25 ans. Incompétence, suffisance, indiscipline se conjuguent pour conduire le navire tout neuf à sa perte. Le 2 juillet, la frégate s’échoue sur un haut fond aux larges du Sénégal. Les canots étant en nombre insuffisants, 170 passagers prennent place sur un radeau de fortune abandonné à la dérive. Lorsqu’il est retrouvé deux semaines plus tard, il ne reste plus que 17 survivants !
La révélation dans la presse du naufrage et des horreurs commises sur le radeau va frapper l’opinion publique. Géricault s’empare du sujet et y voit l’occasion de faire exploser les carcans classiques de la peinture. Toutefois, la réalisation du tableau se révélera dantesque et manquera d’engloutir l’artiste corps et âme.
Vous n’avez été qu’humain dans une situation qui ne l’était pas. Et c’est cela que je veux peindre. Vous êtes un survivant de cette tragédie… Mais en aucun cas il ne s’agit d’une forme de victoire. Sur ce radeau… je ne vois que des vaincus.
En 2020, Jean-Sébastien Bordas (scénario, dessins et couleurs) et Jean-Christophe Deveney (scénario) se sont associés pour présenter leur vision d’un chef-d’œuvre qui commémorait une tragédie, c’est là le début de leurs Naufragés de la Méduse, paru chez Casterman.
À la poursuite de Géricault
Théodore Géricault est un jeune bourgeois du début du XIXe siècle ; son statut lui permet de vivre aisément et de se consacrer à sa passion, la peinture. Cela marche relativement bien, mais il recherche activement le sujet de son prochain tableau, au point de délaisser sa famille. Il s’intéresse de près à un événement marin qui a eu lieu un peu plus d’un an auparavant, l’échouage de la frégate La Méduse. Cela a donné lieu à un procès par la suite, à quelques règlements de comptes au sein des ministères concernés et Géricault remonte peu à peu la piste pour comprendre ce qu’il s’est passé afin de comparer le fil de cet événement avec les informations connues du grand public. Il recueille le témoignage de deux survivants de cet échouage et sent qu’il tient là de quoi faire un tableau à la fois épique dans son sujet et dantesque dans sa conception. C’est aussi l’occasion de voir surgir de nouvelles oppositions entre les royalistes et les bonapartistes qui se disputent les lieux de pouvoir en ce début de Restauration.
À la recherche de la Méduse
Ce premier récit sur Théodore Géricault est ainsi entrecroisé avec le récit le plus historique possible du dernier voyage de la frégate nommée La Méduse. C’est un navire lancé en 1810, qui a servi a quelques missions ponctuelles vers l’Indonésie et les Antilles. En 1816, elle sert à organiser une mission de colonisation (des fonctionnaires et des militaires, avec quelques familles) en direction du Sénégal. L’expédition en cortège est dirigée depuis la Méduse par le commandant Duroy de Chaumareys, vieux noble royaliste mais sans expérience maritime récente et en conflit constant avec ses lieutenants. Jour après jour, la tension monte dans cette expédition et ce qui devait arriver arriva, la Méduse, séparée du reste du convoi, s’échoue au large du Sénégal sur un simple banc de sable, dont la dangerosité était pourtant connue, le banc d’Arguin aujourd’hui en Mauritanie. Les conflits reprennent de plus belle, l’alcool est consommé à la va-vite, les conditions sont dantesques. Le drame se noue avec la constitution d’un convoi de chaloupes trop petit pour accueillir tout l’équipage (et le reste du cortège n’a pas été attendu donc ne peut pas les secourir). Le commandant passe dans les premières chaloupes, mais certains restent sur l’épave et beaucoup doivent construire un radeau qui est bien vite séparer du reste des chaloupes : là, les auteurs prennent le parti de donner une raison claire au « largage » du radeau. Et le dernier acte est forcément le devenir de ce radeau qui inspira Théodore Géricault : manque d’eau, de vivres (ils n’ont que des barriques de vins et quelques poissons volants qui passent), dérive pendant des jours et des jours, mutineries, combats et même faits de cannibalisme, etc. Seules 15 personnes seront secourues… Cela fait écho à bien d’autres épisodes dramatiques de la mer comme Les esclaves oubliés de Tromelin.
Construction d’un chef-d’œuvre
Pour cette mise en abîme du récit graphique de l’élaboration d’un chef-d’œuvre graphique (Le Radeau de la Méduse s’appelle originellement Scène d’un naufrage et est désormais visible au musée du Louvre), les deux auteurs ont donc choisi un petit côté « enquête » de la part du peintre. Lui-même a un intérêt, si ce n’est financier, au moins du point de vue de sa réputation : c’est là l’occasion de paraître dans cette société très conservatrice de la Restauration comme un artiste d’avant-garde. La mise en parallèle des deux récits se fait beaucoup par la psyché du peintre : un brin romantique parfois, acharné sur la quête du détail souvent (les anecdotes sur l’usage de membres humains en décomposition sont toujours véridiques), il s’enferme de plus en plus sur son sujet au détriment du reste de sa vie. Tout cela pour dire que les détails historiques fourmillent et on sent particulièrement combien les auteurs ont fouillé dans les archives de cet événement pour tout remettre à plat. Cela ne donne pas lieu à une composition graphique particulière de la part de Jean-Sébastien Bordas : nous avons ici un gaufrier relativement classique, avec des décors d’arrière-plan sûrement trop peu développés en raison du grand nombre de planches (167 !).La multiplication des cases donne un rythme soutenu à l’ensemble, ce qui contraint à multiplier le dessin de certains personnages mais permet parfois de se passer de certains dialogues qui n’auraient pas apporté grand-chose.
Les Naufragés de la Méduse est donc un roman graphique particulièrement intéressant, riche en informations historiques, par un duo d’auteurs que je ne connaissais pas encore
Autres critiques :
Un commentaire
belette2911
J’ai adoré cette bédé ! Un vrai coup de coeur.