Essai

Les empoisonneurs – Antisémitisme, islamophobie, xénophobie

Titre : Les empoisonneurs : Antisémitisme, islamophobie, xénophobie
Auteur : Sébastien Fontenelle
Éditeur : Lux
Date de publication : 2020 (juin)

Synopsis : Quotidiennement, des agitateurs prennent d’assaut les tribunes pour attiser colères identitaires et passions xénophobes. Leur brutalité verbale, qui vise principalement les «migrants» et les «musulmans», rappelle la violence de ceux qui, dans la première moitié du siècle précédent, vilipendaient les «métèques» et les «juifs». Or ces mêmes accusateurs font parfois preuve d’une étonnante complaisance lorsqu’ils se trouvent confrontés, dans leurs alentours culturels et idéologiques, à des considérations pour le moins équivoques sur les juifs ou sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Soudain ils deviennent magnanimes et peuvent même trouver à leurs auteurs des circonstances atténuantes. Et ainsi se perpétue l’abject.

 

Une fois de plus, Alain Finkielkrault, qui selon Mathieu Dejean de l’hebdomadaire Les Inrockuptibles « reprend à son compte la théorie du « grand remplacement » de Renaud Camus », ne conteste nullement le fond d’un propos xénophobe – mais préférerait que son auteur se montre plus précautionneux lorsqu’il exprime son intolérance.

L’extrême-droite, pourfendeuse de l’antisémitisme ?

Sébastien Fontenelle est journaliste à Politis et a déjà écrit plusieurs essais sur le monde médiatique (« Les briseurs de tabou » ; « Les éditocrates 2 : le cauchemar continue »). En 2020, le chroniqueur revient avec un nouvel (bref) ouvrage sur la progression inquiétante de la xénophobie et de l’islamophobie dans les médias. Des phobies qui, entre autre, s’appuient sur un argument jugé imparable pour les défenseurs du « grand remplacement » et de la fermeture des frontières : les musulmans, en sus de leurs nombreuses autres « tares » seraient antisémites. La vision que l’on a des partisans de l’extrême-droite s’en trouve alors inversée : d’agresseurs des croyants d’une religion, les voilà devenus défenseurs des pratiquants d’une autre. Or, et c’est le propos du livre, tous ces « penseurs » qui vilipendent à longueur de temps les migrants et l’Islam sont les premiers à faire preuve d’une étonnante complaisance dès lors que les intellectuels qu’ils affectionnent se mettent à leur tour à tenir des propos antisémites et à sombrer dans le révisionnisme. Parmi ces figures phares de l’extrême-droite, qui usent à la fois d’islamophobie et d’antisémitisme, on retrouve par exemple la journaliste italienne Oriana Fallaci (autrice d’un pamphlet abject sur ces immigrés qui seraient « l’avant-garde d’une invasion »), mais aussi l’auteur Renaud Camus (à qui on doit le concept en vogue de « grand remplacement »), ou encore d’Ivan Rioufol, « journaliste » au Figaro (qui se lamente sans cesse qu’on ne peut plus rien dire en France… et ce sur tous les plateaux et dans tous les journaux). Et le pire, c’est que les saillis et écrits de ces pseudo intellectuels sont repris par d’autres « penseurs » qui estiment que, si la forme est parfois un peu trop crue, le fond, lui, est pertinent. Sébastien Fontenelle se penche notamment sur le cas de deux figures médiatiques incontournables depuis des années : Eric Zemmour et Alain Finkielkraut. Invités à donner leur avis partout, se targuant de défendre « la » France, « la vraie », et multipliant les propos xénophobes et islamophobes les plus abjects, ces deux personnalités ne cessent de vanter les mérites d’intellectuels d’extrême-droite, sans paraître être choqués par l’antisémitisme latent de leurs écrits. De même que réutiliser la rhétorique des pires pamphlets anti-juifs des années 1930 à l’encontre des musulmans ne paraît pas les tourmenter outre mesure.

Deux poids, deux mesures

Le journaliste insiste également sur la complicité plus ou moins avouée des grands médias et des maisons d’édition dans cette progression de l’islamophobie, ainsi que du retour de l’antisémitisme. Visiblement, qu’un individu prénommé Mouloud ou Ahmed tienne des propos antisémites est inacceptable (et c’est vrai, bien sûr), mais qu’une maison d’édition se lance dans la réédition des pires textes de Maurras ou Céline(« Bagatelles pour un massacre », notamment) , ou qu’une chaîne de télévision diffuse un appel à la guerre civile en direct, cela ne pose de problème à personne. L’auteur revient aussi sur les tentatives de la part de l’état de rendre hommage à certaines de ces figures controversées, et au tollé que ces initiatives ont heureusement provoqué parmi l’opinion publique… et dont se désolent les Finkielkraut et consorts qui chantent sur tous les tons que, décidément, « on ne peut plus rien dire ! ». Le fait qu’il s’agisse d’auteurs ayant collaboré avec les nazis et qui ont tenu des propos atroces sur les Juifs ne semblent, ici, pas les gêner… De toute évidence la censure ne s’applique pas à eux, puisque Zemmour et ses émules peuvent tranquillement appeler à la haine contre les étrangers et se lancer dans du révisionnisme (en expliquant que le régime de Vichy a sauvé les Juifs français) sur les plus grandes chaînes d’info sans que cela ne dérange personne ou presque. Même chose concernant les tueries de masse qui, lorsqu’elles sont perpétrées par des suprématistes blancs, laissent d’abord place à un silence gêné, puis parfois carrément à une mise à l’honneur du tueur (on se souvient de Richard Miller, éditeur chez Gallimard, vantant la « perfection formelle » du massacre perpétré par Anders Breivik à Oslo en 2011). D’ailleurs, même dans les journaux qui s’indignent de cette ascension ahurissante de l’extrême-droite dans le champ médiatique, on ne se prive pas de vanter les qualités du dernier livre de Finkielkraut ou Camus. Là encore, on pardonnera la forme parfois trop violente, sans que le fond ne fasse l’objet d’une remise en question. Qui ne dit mot… Enfin, l’auteur revient sur le parallèle entre l’accusation de « judéo-bolchevisme » à la mode dans les années 1930 et celle d’« islamo-gauchisme » aujourd’hui, l’occasion de rappeler que, malgré les raccourcis ou parallèles fumeux, « le rouge » reste bel et bien l’ennemi principal du « brun ».

Sébastien Fontenelle signe avec « Les empoisonneurs » un petit pamphlet très réussi qui vise à démontrer que les xénophobes qui vilipendent l’Islam tout en paraissant prendre la défense des Juifs, sont en fait les premiers à s’accommoder d’antisémitisme et de révisionnisme dès lors qu’ils émanent de penseurs dont ils affectionnent les thèses. La complicité des médias est également pointée du doigt (et à raison), de même que celle de maisons d’édition ou d’hommes politiques qui n’éprouvent de toute évidence aucune honte à évoquer avec bienveillance des gens comme Maurras ou Pétain. « Empoisonneurs », le mot est bien trouvé, et, compte tenu des débats qui agitent les médias en cette rentrée 2020, ces derniers n’ont pas fini de sévir.

Voir aussi : Le venin dans la plume

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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