Essai

Le Syndrome Magneto

Le Syndrome Magnéto

Titre : Le Syndrome Magneto
Auteur : BEnjamin Patinaud (alias Bolchegeek)
Éditeur : Au Diable Vauvert (Document) [site officiel]
Date de publication : 6 avril 2023

Synopsis : « Tout le monde aime les méchants. La culture populaire en a produit de toutes formes et toutes couleurs. Mais tous ne commettent pas leurs atrocités pour de viles raisons. Certains ne veulent pas détruire le monde : ils veulent le changer. Utopistes malencontreusement dystopiques, extrémistes plus ou moins bien intentionnés, libérateurs aux penchants totalitaires, terroristes se vivant comme résistants : ce livre leur est consacré. »
De Thanos à Poison Ivy, de Killmonger à Daenerys, en passant par les sorcières et autres freaks, il fallait donner un nom à ce troublant phénomène, un nom en hommage à son leader incontesté : le syndrome Magneto.

Benjamin Patinaud, alias Bolchegeek sur Twitch et autres réseaux, publie ce printemps 2023 chez Au Diable Vauvert un essai sur les super-héros titré Le Syndrome Magneto pour décortiquer la figure des méchants dans des œuvres très connues à commencer par les comics de super-héros mondialement connus désormais.

Essai d’analyse clinique

Qu’est-ce qui fait qu’un personnage apparaît comme le méchant d’une histoire ? L’auteur joue cartes sur table dès le départ : il fait l’hypothèse qu’il existe un syndrome Magneto repérable chez chaque antagoniste dans une histoire quelconque, du moment que celui-ci ou celle-ci est un tant soit peu bien écrit. Ainsi, prenant exemple après exemple, Benjamin Patinaud tisse un certain nombre de codes qui révèlent toute une gamme de signes et de symptômes conduisant à voire différemment un « méchant » de l’histoire, un « vilain » de l’intrigue, une adversaire de la norme. Il s’agit alors de questionner un aspect-clé de leur personnalité : leur quête de la vérité malgré l’opposition de leur monde, leur rapport à la marge (le chapitre « codés queer » est d’ailleurs passionnant à ce propos), leurs envies de changement, etc. C’est d’ailleurs intéressant que, dès les premières lignes, ce soit sur l’angle médical, psychologique même, que cet essai est orienté, cela conduit l’auteur à présenter chaque code de ces antagonistes comme des contre-normes, des symptômes les montrant comme inadaptés au monde « normal » ; la dernière partie relève même de la prosopographie puisqu’il s’agit d’une liste-type d’antagonistes servant à illustrer le propos de cet essai, avec le « patient Poison Ivy », le « patient Thanos », le patient Daenerys », etc. jusqu’à plus soif (car la liste est longue).

Concentré de pop’ culture

Comme l’indique le titre et comme le montrent les multiples références données au cœur de la thèse de l’auteur, le personnage Magneto est central pour comprendre la dynamique de tout bon « méchant ». En effet, avec son histoire personnelle liée au génocide juif par les nazis, avec ses pouvoirs incommensurables et sa volonté farouche de ne rien céder à la norme, Magneto apparaît comme le contre-héros type puisqu’il se laisse dépasser par son combat, certes noble (protection des humains mutants), mais qui perd tout crédit quand il abuse de ses pouvoirs pour devenir lui-même l’oppresseur. Il se construit ainsi en opposition non seulement aux humains qui lui veulent du mal, mais surtout aux autres mutants (X-Men) qui veulent résoudre leurs conflits de façon plus pacifiste (en tout cas, c’est ce qu’ils affirment parce qu’eux aussi sont quand même très portés sur la destruction). À partir de ce patient 0 longuement décortiqué par l’auteur parce que la franchise X-Men a été régulièrement réinterprété et réutilisée pour comprendre les enjeux de nos sociétés contemporaines (l’opposition Pr Xavier-Magneto faisant penser à celle entre Martin Luther King et Malcolm X en simplifiant beaucoup ; la question mutante étant également connexe avec les jeunes populations se découvrant homosexuelles ; enfin, la question du nucléaire à l’origine des mutations faisant aussi parti des grandes considérations politiques de la fin du XXe siècle et du début du XXIe), c’est tout un pan de la culture populaire est qui est analysé à l’aune de ce syndrome particulier pour marteler la problématique fondamentale : pourquoi être méchant ne signifie pas vraiment vouloir le Mal ? Les dessins animés Disney, les comics Marvel, DC et autres ainsi que leurs adaptations cinématographiques et télévisuelles, quelques mangas, des franchises plus classiques comme Star Wars, etc. : quantité d’œuvres servent le propos de l’auteur sur la construction occidentale de l’antagoniste de base.

Politisation de la littérature

À force de pousser la réflexion et d’essayer de comprendre ce qui peut être si fascinant dans les figures de « méchants » de fiction, Benjamin Patinaud se plait à y voir bien plus que des méchants de fiction et plutôt des symboles avant-gardistes de propos politiques. Qu’ils soient créés volontairement comme porte-étendard d’une cause ou qu’ils soient plus ou moins récupérés comme tels, ces personnages antagonistes, quand ils sont bien écrits ou bien campés, ne sont jamais que des personnages de fiction. En effet, Magneto et consorts permettent de montrer des Maux nécessaires, des tentatives de changer le monde de façon radicale et parfois complètement décousue, mais bien souvent avec un bon fond. Et même si le plus souvent, ces antagonistes sont vilipendés pour leurs manières expéditives, leur cause, elle, a largement gagné le cœur du grand public : au fond, vaincus, ils sont tout de même vainqueurs parce que leur cause passe malgré leur défaite. Régulièrement, on sent poindre l’habitude pédagogique de Bolchegeek dans les écrits de Benjamin Patinaud et cela ajoute une autre couche de compréhension, grâce à des éléments bienvenus sur la sociologie de nos sociétés, sur le racisme / sexisme / validisme / homophobie, etc. ambiant·e, sur la confrontation d’idéologies notamment économiques au sein d’un monde dominé par le capitalisme financier. En cela, et c’est bienvenu, Bolchegeek continue à l’écrit à faire œuvre d’éducation populaire grâce à la culture populaire.

Ce Syndrome Magneto est donc une analyse très intéressante des mythes héroïques contemporains, et notamment super-héroïques. Benjamin Patinaud a une vision large de la pop’ culture et s’en sert à bon escient pour nous concocter un manuel d’analyse critique des antagonistes de toute bonne histoire.

Autres critiques :

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

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