Fantasy

Les flots sombres

Les flots sombres

Titre : Les flots sombres
Cycle/Série : Chevauche-brumes, tome 2 (?)
Auteur : Thibaud Latil-Nicolas
Éditeur : Mnémos
Date de publication : 2020

Synopsis : Le Bleu-Royaume est en danger. Des hordes de créatures maléfiques, libérées d’un sortilège qui les retenait captives, ravagent ses campagnes et terrorisent les hameaux. Les soldats issus de la neuvième compagnie des légions du roy, les Chevauche- Brumes, se sont juré de les combattre jusqu’à leur dernier souffle. Les réfugiés arrivent par centaines dans la capitale et exacerbent les rivalités entre le régent et le culte d’Enoch. Dans les contrées méridionales, un monstre marin d’origine inconnue fait des ravages parmi les navires, mettant en péril le lien vital qui unit les îles Jumelles au continent. Les Chevauche- Brumes sauront-ils affronter tous ces périls ?

 

Tu vas y mettre des coulevrines ? demanda brusquement Barbelin en se redressant.
-J’y compte bien. Au moins quinze, je pense.
L’artilleur se rua sur Tirelire et l’empoigna par les épaules.
-Mets-moi sur la liste, face de derche.
-Mais pourquoi moi ?
-Parce que tu sais écrire, malheureux !
-Ah oui, très juste…
Tirelire sortit de son havresac un rouleau de mauvais vélin, une fiole d’encre et une plume qu’il entreprit de tailler avec un canif.
-Alors, ça vient ?
-Bague museau, trouvère ! L’écriture ça prend un peu de temps. Pas comme quand tu baises.
-Ta mère s’est jamais plainte. 

Les monstres passent à l’attaque !

Après un premier roman paru l’an dernier et ayant bénéficié de bons retours de la part des lecteurs, Thibaud Latil-Nicolas revient en ce début d’année avec un nouvel ouvrage qui fait directement suite à « Chevauche-brumes ». Si rien dans le titre ou sur la couverture ne laisse penser qu’il s’agit d’un deuxième tome, il me semble malgré tout compliqué de le considérer comme une œuvre indépendante dans la mesure où il fait directement suite au roman précédent, dont la lecture est à mon avis essentielle pour bien cerner tous les enjeux des « Flots sombres ». [Attention, la suite de ce paragraphe contient inévitablement quelques spoilers concernant le premier opus]. On retrouve donc les protagonistes là où on les avait quitté, c’est-à-dire après la levée du siège de Crevet et la dissipation de la brume qui protégeait jusque là le Bleu-Royaume des hordes de monstres à sa frontière. Désormais libres de s’attaquer à tous ceux auraient le malheur de croiser leur route, ces derniers sont la cause de massacres et de mouvements de population importants qui menacent la stabilité du royaume. C’est pour lutter contre ce fléaux qu’une partie des soldats de la neuvième compagnie et des doryactes les ayant combattu ont pris la décision de quitter l’armée pour fonder leur propre ordre dont la seule mission consiste à défendre les humains des mélampyges, qui sont de plus en plus nombreux à déferler sur tout le territoire. Une menace dont la capitale ignore tout, d’autant que d’autres problèmes se posent au cœur du royaume où les tensions entre le régent et les représentants du culte d’Enoch ne font que croître. Pris en tenailles entre deux figures paternelles, et traumatisé par les atrocités dont sont victimes ses sujets, le petit roi est plus malheureux et donc plus malléable que jamais, ce dont certains vont s’empresser de profiter. Hors des frontières du Bleu-Royaume, les autres territoires commencent eux aussi à sentir les effets de la dissipation de la brume et de la prolifération de créatures de cauchemar. Plusieurs marins des Îles-Jumelles en ont ainsi fait les frais, et les deux uniques survivants parlent d’une créature aux dimensions colossales, capable d’engloutir un navire entier en quelques minutes.

Léandrès ne sut trop quoi répondre. Deux instincts luttaient en lui : celui chargé de sa survie et celui qui lui soufflait que toute cette histoire n’allait être qu’un formidable gâchis. Ne pas tuer la bête, c’était se condamner à mort. L’assassiner, c’était sacrifier un habitant des profondeurs dont la magnificence n’avait d’égale que la puissance sauvage. Et tout ça pour quoi ? Pour que le commerce reprenne ? Pour que les matelots de Biscale qui l’auront tué meurent de cirrhose avec cinq ans d’avance ? Rien de tout cela n’avait de sens.

Passionnant, épique, surprenant

Le roman nous entraîne d’un front à l’autre et, si certains événements paraissent dans un premier temps déconnectés du reste de l’intrigue, les différents fils finissent par se rejoindre pour former un ensemble cohérent et passionnant. Ainsi, si le premier tome s’était révélé particulièrement prometteur (surtout pour un premier roman), sa suite tient toutes ses promesses et se révèle même plus aboutie par certains aspects. Le récit est mené tambour battant, sans aucun temps mort dans aucun des trois pans de l’intrigue, qui sont d’ailleurs tous aussi captivant les uns que les autres. On retrouve avec plaisir une partie des membres des Chevauche-brumes dont on peut encore une fois apprécier l’efficacité, la franchise et l’humour. Les intrigues à la cour d’Antinéa sont, pour leur part, plus prévisibles, mais l’attachement que l’on porte aux personnages et l’inquiétude que l’on éprouve à voir la situation dégénérée permet l’instauration d’un climat de tensions qui ne fait que renforcer l’intérêt du lecteur. Les aventures ayant lieu en mer sont quant à elles très intéressantes, notamment parce qu’elles nous permettent de changer un peu de décor et d’étendre les frontières de l’univers en présentant un autre royaume et une autre culture. La construction du roman est impeccable, l’auteur alternant efficacement intrigues de cour, scènes de bataille épiques (à terre ou en mer), et moments plus calmes, propices au développement de liens de camaraderie entre les personnages. Le roman offre une résolution satisfaisante au problème majeur de ce deuxième tome, mais quantité d’autres mystères restent non résolus tandis que certains personnages se retrouvent confrontés à de nouveaux défis. Il apparaît donc évident que « Les flots sombres » sera suivi d’au moins un autre volume, et c’est une bonne nouvelle, d’autant plus que les bases de la future intrigue posées ici sont des plus intrigantes. Toujours en ce qui concerne l’intrigue, on peut également saluer le recul pris sur les événements par certains personnages, ce qui permet d’aborder des thématiques intéressantes qui sont trop souvent passées sous silence comme l’ingratitude des « puissants » et les conséquences de leurs décisions sur la « chair à canon ». Même si le pitch peut paraître assez simpliste (des guerriers/guerrières s’en vont dégommer du monstre), le propos est en fait beaucoup plus subtile que cela, et c’est, en partie, ce qui fait le charme du roman.

Chevauche-brumes

L’amitié version « bourrin »

Parmi les points forts, il convient également de citer les personnages pour lesquels le lecteur éprouve énormément de sympathie, moins en raison de leur personnalité (qui n’est pas forcément très étoffée en ce qui concerne les différents membres de la compagnie) que pour la qualité des relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres. Thibaud Latil-Nicolas a affirmé à plusieurs reprises lors d’interviews (je vous conseille notamment celle-ci) s’être inspiré de la camaraderie qui pouvait régner dans les tranchées pendant la Première Guerre mondiale pour mettre en scène celle régnant entre les membres de la compagnie, et c’est un aspect que l’on retrouve dans ce deuxième volume. Ici pas de bons sentiments, de déclaration d’amitié enflammée ou d’embrassades dégoulinantes de mièvrerie, mais des taquineries, de la complicité, et des preuves d’affection immédiatement relativisées, mais néanmoins extrêmement touchantes. Difficile dans ces circonstances de pas être ému par l’amitié unissant Barbelin et Varago, ou encore celle, improbable, entre Quintaine et la doryacte Danbline. Si on prend un grand plaisir à retrouver les vétérans et les amazones du premier tome, les nouveaux personnages introduits ici parviennent facilement à trouver eux aussi leur place, à commencer par les membres de l’équipage de la Frondeuse, qu’il s’agisse du vieux et sage Léontès, du quartier-maître Vexini, ou encore de la capitaine nouvelle promue Ophélie. L’ensemble des personnages dispose d’un portrait nuancé, ce qui évite à l’auteur de tomber dans le manichéisme et rajoute au contraire de la complexité à l’intrigue. Des personnages à priori tout à fait sympathiques peuvent ainsi se montrer particulièrement obtus, voir odieux ou stupides, tandis que d’autres ayant clairement le mauvais rôle se révèlent loin de la caricature qu’on retrouve trop souvent des « gros méchants ». Le seigneur-cardinal Juxs n’a, par exemple, à priori guère de chance de susciter l’attachement du lecteur en raison de son fanatisme et de son hostilité affichée pour les héros, et pourtant sa tendresse pour le petit roi est incontestablement touchante. A l’inverse, le calcul et la rudesse dont peut faire preuve le régent envers son protégé, quand bien même ses intentions sont bonnes, apporte un contrepoint intéressant à sa personnalité, de même que les préjugés du sénéchal sur les Chevauche-Brumes. Reste à aborder la question du style de l’auteur qui séduit une fois encore par sa gouaille et son sens de la répartie. Les dialogues sont particulièrement savoureux, et permettent de renforcer encore un peu plus le sentiment de camaraderie unissant les personnages, non seulement entre eux, mais aussi avec le lecteur.

-N’en demeure pas moins que ce sont des braves gens.
-Et c’était pas si évident à anticiper vu l’échantillon qu’on s’est fardé pendant des années, plaisanta Tirelire.
Durieux ne répondit pas et se contenta de cracher par terre.
-Fais gaffe à mes bottes, tocard ! glapit Barbelin. J’ai passé l’après-midi à essayer de me rendre présentable.
-Ah ? Et c’est à quel moment que ça a foiré ? 

Après un premier roman prometteur, Thibaud Latil-Nicolas nous revient avec une suite d’excellente facture, qui vient confirmer le talent de l’auteur. L’intrigue se fait plus passionnante encore, l’univers plus riche, et les personnages toujours plus attachants. Un très bon moment de lecture, que j’ai hâte de prolonger en découvrant la suite !

Voir aussi : Chevauche-brumes

Autres critiques : Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; L’ours inculte ; Les chroniques du Chroniqueur ; Ombrebones

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

7 commentaires

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