Cuits à point
Titre : Cuits à point
Auteur : Elodie Serrano
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2020 (février)
Synopsis : Gauthier Guillet et Anna Cargali parcourent la France pour résoudre des mystères qui relèvent plus souvent d’arnaques que de véritables phénomènes surnaturels. Mais leur nouvelle affaire est d’un tout autre calibre : pourquoi la ville de Londres subit-elle une véritable canicule alors qu’on est en plein hiver et que le reste de l’Angleterre ploie sous la neige ? Se pourrait-il que cette fois des forces inexpliquées soient vraiment en jeu ?
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Londres, XIXe siècle et réchauffement climatique
En ce mois de février 2020, les Indés de l’Imaginaire font leur rentrée ! Du côté d’ActuSF c’est Élodie Serrano, une petite nouvelle sur la scène des littératures de l’imaginaire français, qui est mise à l’honneur avec « Cuits à point », un court roman mêlant histoire et fantasy. L’histoire prend place au XIXe siècle, entre la France et l’Angleterre, et met en scène deux héros exerçant une profession pour le moins originale et visiblement assez décriée, celle de démystificateur. Le principe ? Des particuliers font appel aux démystificateurs lorsqu’ils se retrouvent confrontés à des manifestations qui pourraient passer pour surnaturelles. Charge au duo de résoudre le mystère et de comprendre s’il y a bien anguille sous roche ou s’il ne s’agit tout simplement que d’une banale escroquerie. Du côté de Gauthier Guillet, un ténor de la profession et ancien mentor de l’héroïne, les choses sont claires et nettes : il s’agit forcément toujours d’une arnaque, le surnaturel n’existant pas. Anna, elle, a un avis moins tranché sur la question, ou du moins était-ce le cas avant qu’elle ne soit irrémédiablement contaminée par le scepticisme de son partenaire. Leur défiance va toutefois être mise à rude épreuve une fois arrivés à Londres, lieu de leur prochaine mission. Sollicités par les membres du Parlement britannique, les deux démystificateurs sont chargés de résoudre le mystère de la hausse conséquente des températures dans la capitale, et ce alors que la saison hivernale est déjà bien installée. Pour Gauthier la cause du réchauffement est évidente : une machinerie construite par l’homme et qu’il convient simplement d’identifier et d’arrêter. Pour le troisième démystificateur réquisitionné et avec lequel le duo se voit forcé de travailler, la question est beaucoup plus complexe et pourrait tout à fait impliquer l’existence d’une créature surnaturelle.
Arnaque ou magie ?
Le pitch de base est assez simple mais s’avère efficace pour tenir le lecteur en haleine. Du moins est-ce le cas pendant la première moitié roman qui parvient à entretenir le suspens sur la nature de ce réchauffement climatique localisé. La seconde partie, elle, voit le secret éventé et se focalise par conséquent davantage sur l’action, le but des personnages n’étant plus de mener l’enquête mais plutôt de tenter de contenir la menace révélée. L’histoire se suit sans ennui aucun, même s’il faut bien admettre que la plupart des rebondissements de l’intrigue sont aisément prévisibles et que la seconde partie est un peu moins captivante dans la mesure où les personnages prennent (de leur propre aveux) toutes les mauvaises décisions possibles. Difficile d’en dire plus au risque de trop en dévoiler, le principal attrait du roman reposant justement sur la nature du responsable de la montée des températures. Situer l’action dans un décor londonien permet en tout à cas à l’autrice de faire appel à plusieurs figures du folklore anglais, qu’il s’agisse de Merlin, du Petit Peuple ou des sorcières. Le monde dans lequel évolue nos deux héros emprunte cela dit davantage à l’histoire qu’à la fantasy, le surnaturel étant considéré comme inexistant pour la plupart des individus, le pendant masculin de notre duo de héros en tête. L’autrice met en scène un XIXe siècle convainquant, même si la reconstitution historique se limite à quelques éléments de caractérisation concernant les costumes ou les grands monuments. J’ai, en revanche, été agréablement surprise par plusieurs références au contexte social en lien avec l’industrialisation, et notamment à la distinction entre bourgeoisie et classes populaires (les cadres dirigeants déconnectés des conditions de travail des ouvriers, l’inaction des rentiers avancée comme justification de l’absence de surnaturel dans les affaires qu’ont eu à régler le duo…). C’est léger, mais ça a le mérite d’être là.
Les femmes à l’honneur
Les personnages sont pour leur part sympathiques, même s’il faut admettre que, tout comme le décor, ces derniers ne sont pas aussi développés qu’on pourrait le souhaiter. On peut tout de même saluer la volonté de l’autrice de mettre en avant un beau panel de personnages féminins qui, chacune à leur manière, tentent d’échapper au carcan que la société anglaise de l’époque impose à la gente féminine. Il s’agit d’ailleurs d’une thématique non négligeable du roman et l’autrice aborde le sujet avec doigtée, refusant de tomber dans l’écueil classique qui consisterait à mettre en scène des femmes bad-ass totalement détachée des règles et obstacles imposés alors à leur sexe. Ainsi, si Anna et Maggie sont toutes deux parvenues à s’écarter du parcours traditionnel qui les aurait inévitablement conduites à se marier et à engendrer, celles-ci n’en subissent pas moins de manière plus ou moins subtile les stéréotypes et les humiliations qui sont le lot commun des femmes de leur époque (réflexion sur la tenue vestimentaire, illégitimité à prendre la parole en public, comportement avec la gente masculine scrutée en permanence…). Les deux protagonistes masculins possèdent quant à eux une personnalité totalement contradictoire mais, dans les deux cas, un peu trop caricaturale, le Français se montrant bougon à l’excès et enfermé dans ses certitudes, tandis que l’Anglais se montre ouvert d’esprit, aimable et plein de ressources. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est le premier qui parvient le mieux à susciter l’affection du lecteur, le second se révélant bien trop fade en dépit de son apparente sympathie. Un mot, pour terminer, sur le style de l’autrice qui se révèle assez passe-partout mais qui permet, par sa fluidité, de faciliter l’immersion du lecteur dans l’histoire.
Pépite des éditions ActuSF pour la rentrée 2020, « Cuits à point » est un roman sans prétention mais sympathique, mettant en scène un duo attachant menant l’enquête dans la capitale anglaise du XIXe. Le mélange d’histoire et de magie fonctionne bien, et, même si le suspens faiblit au cours de la deuxième partie du roman, le mystère qui plane autour du réchauffement inexpliqué de Londres parvient à maintenir le lecteur en haleine et donne lieu à des scènes spectaculaires presque dignes d’un blockbuster.
Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Les Chroniques du Chroniqueur ; Symphonie (L’imaginaerum de Symphonie)
10 commentaires
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lutin82
Bien trop de lectures sur le feu, j’aime mon steacj non pas à point ou saignant, carrément bleu. Ah, et j’adore les tartares.
Sans une PAL qui déborde, ce titre m’aurait vraiment tentée car, il a l’air fun et sans prise de tête.
Boudicca
C’est tout à fait ça 🙂 Mais je comprends, on ne peut pas tout lire !
Aelinel Ymladris
Ma PAL déborde un peu en ce moment mais je le note quand même.
belette2911
Coucou, rien que pour le fait qu’on soit à Londres, je note !!
Boudicca
Tu peux, c’est le genre de livre qui sort très vite de la PAL et peut être lu en 2 h 😉
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Acr0
J’ai été convaincue par le binôme féminin que j’ai trouvé particulièrement réussi. Comme tu l’écris, l’autrice s’est investie dans le contexte social de l’époque. La fluidité de l’écriture permet de manger le roman en une seule bouchée. J’aimerais bien avoir accès à d’autres enquêtes du duo français.
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jean-claude rouquet
Je trouve qu’on ne sent pas assez dans l’article qu’il y a un aspect Steampunk intéressant. On ne voyageait pas en dirigeable vers la perfide Albion à l’époque. Le métro de Londres est construit lui à partir de la moitié du XIXeme siecle. Après tout l’auteure jongle avec la vérité historique et une datation aléatoire.
J’ai par contre été gêné par un petit côté manichéen. Les 2 loustics imbus deux mêmes. L’héroïne n’est pas française mais italienne et la rencontre avec sa consœur est bien vue surtout vu le jeune âge de la demoiselle qui a des velléités d’émancipation. Comme les futures suffragettes.
C’est frais dans l’écriture et fait passer un bon moment au lecteur, même s’il peut s’avérer trop bref pour certains.