Fantasy

La rose de Djam, tome 1 : L’appel des Quarante

Titre : L’appel des Quarante
Cycle/Série : La rose de Djam, tome 1
Auteur : Sandrine Alexie
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2019 (avril)

Synopsis : L’histoire de la Rose de Djam, ou comment la coupe qui détenait tous les secrets de l’univers fut perdue et retrouvée, est un volet de la longue histoire des Quarante, lequel commença dans un château syrien tenu par des seigneurs normands, où vivait la plus improbable des créatures terrestres qu’on pouvait charger de cette mission : Sibylle de Terra Nuova.

 

Vous m’avez dressée, toute mon enfance, en vue de cette mission ! Je me suis fait botter le cul par mon maître d’armes, jusqu’à ce que je sache danser sur ma selle et abattre un moucheron en plein vol, yeux fermés en lui tournant le dos. Je me suis fait tanner le cuir par Bastian, qui estimait nécessaire de m’élever en garçon et, donc, de me corriger en garçon. Shudja peut témoigner du nombre de leçons que je dus écrire allongée sur le ventre, tant les coups de fouet me cuisaient l’arrière-train ! Et c’est maintenant que tout est prêt, qu’il n’y a plus de retour possible, que je suis enfin sur le point de m’élancer sur la route – route que vous m’avez tracée, je vous le rappelle !-, c’est maintenant que vous me dites que j’ai le choix ?

Un savoureux mélange entre fantasy et histoire

Décidément, la fantasy historique a le vent en poupe chez l’Atalante, et ce n’est pas moi qui m’en plaindrait ! Après la parution du dernier roman de Guy Gavriel Kay qui s’inspirait du contexte des Balkans de la fin du XVe (« Enfants de la terre et du ciel »), et plus récemment encore de la suite de « La cour d’Onyx » de Marie Brennan qui revenait sur l’histoire de l’Angleterre à partir du XVIe siècle (« Minuit jamais ne vienne » et « Gît dans les cendres »), voilà que la maison d’édition donne sa chance à une auteur méconnue, Sandrine Alexie, qui nous propose une vaste fresque historique au temps des croisades. Nous sommes à la fin du XIIe siècle, et le Moyen-Orient n’en finit pas de se morceler : les états francs sont minés par des querelles internes et prêts à tomber sous les coups du conquérant Saladin (qui vient d’ailleurs tout juste de reprendre Jérusalem) ; quant aux musulmans, ils sont eux aussi divisés entre arabes, kurdes, turcs, sans oublier la secte des nizârîs d’Alamut menés par le Vieux de la Montagne qui forge tour à tour des alliances avec les différents belligérants. C’est dans ce contexte plus que troublé que l’on fait la connaissance de Sibylle, une noble normande héritière des premiers croisés et devenue châtelaine de Terra Nuova (une place-forte située au nord d’Antioche) suite au décès de son oncle et de son époux. Sommée de se trouver un mari afin qu’il assure à sa place le contrôle de la région, la jeune femme feint de céder mais a d’autres plans en tête que de rester sagement à l’abri des murs en attendant que Saladin vienne s’emparer de la forteresse. Formée depuis son plus jeune âge par un fâqir aux pouvoirs étranges, Sibylle sait en effet que le moment ne tardera pas où son ancien maître lui demandera d’entreprendre une quête périlleuse à laquelle une tâche de naissance sur le poignée la prédestine : elle est celle qui devra retrouver la rose de Djam, un objet légendaire détenant tous les secrets de l’univers et dont la préservation est essentielle au maintien de l’équilibre dans la région.

Le Moyen-Orient du XIIe : rivalités et brassage culturel

Le roman repose sur une reconstitution historique particulièrement soignée qui permet une immersion des plus agréables. Difficile de ne pas penser à un autre roman paru récemment, « Djinn » de Jean-Louis Fetjaine, qui se déroulait un peu plus tôt dans le temps mais mettait lui aussi en scène ce Moyen-Orient médiéval à la fois familier et exotique. L’approche de Sandrine Alexie n’est toutefois pas tout à fait la même dans la mesure où le décor relève moins du fantasme que de la réalité historique, le surnaturel occupant dans ce premier tome une place très limitée. Ne vous attendez donc pas à voir débarquer des djînns ou autres créatures tirées du folklore oriental, vous seriez déçu. On comprend cela dit sans mal le parti pris de Sandrine Alexie qui maîtrise de toute évidence le sujet sur le bout des doigts puisque sa biographie fait mention d’études de l’art de l’Islam ainsi que de la langue et de la culture kurdes. Cette expertise, l’auteur s’en sert pour poser les bases qui nous permettent de comprendre le contexte générale et les enjeux dont il est question, avant d’enrichir ensuite son récit grâce à une multitude de détails qui nous permettent d’appréhender progressivement la complexité de la situation politique de la région. L’auteur met notamment en lumière de façon très habile l’important brassage culturel qui n’a pas manqué de se faire entre chrétiens, musulmans, kurdes, turcs, arabes…, tous s’influençant mutuellement, que ce soit au niveau du mode de vie, des traditions ou même de la langue. Le style employé reflète d’ailleurs cette diversité puisque l’auteur n’hésite pas à mêler des termes tirés de l’ancien français, de l’arabe, du gascon, du persan ou encore du turc. Elle parvient heureusement à résister à la tentation des notes de bas-de-pages, ne prenant pas la peine d’interrompre la lecture par une définition d’autant plus inutile que la plupart des termes étrangers se comprennent parfaitement à l’aide du seul contexte (un lexique récapitulant tous les termes pouvant poser problème est néanmoins présent en fin d’ouvrage). L’auteur ne tombe pas non plus dans un écueil pourtant fréquent qui consisterait à en faire beaucoup trop au risque d’alourdir le récit : la narration est au contraire très fluide et les dialogues percutants. Le franc parler de certains personnages est d’ailleurs assez rafraîchissant, comme c’est le cas du gascon Peir Esmalit grâce auquel le lecteur aura le plaisir de se familiariser avec les meilleures injures du gascon médiéval, ainsi qu’avec de petites histoires ou chansons particulièrement imagées.

Une héroïne qui dépote !

On retrouve la même diversité du côté des personnages qui possèdent tous des profils très différents. Sibylle, l’héroïne, est le parfait exemple de ce mélange des cultures occidentales et orientales puisque, en tant que noble franque ayant toujours vécu en Orient, elle a inévitablement été imprégnée dès son enfance par une multitude de cultures. Marcelin et Peir sont pour leur part plus à cheval sur tout ce qui touche à la religion et aux traditions chrétiennes, tandis que des personnages comme Shudja, Yahya ou Süleyman respectent un mode de vie plus proche de celui des musulmans. Parmi toute la galerie de personnages mis en scène, ceux qui retiennent l’essentiel de l’attention du lecteur restent Sybille et Peir qui forment un duo détonnant. Leur relation, basée autant sur l’affection que sur la rivalité et la rancune, constitue en effet sans aucun doute l’un des plus grands attraits du roman. Tous deux bénéficient d’un traitement soigné et nuancé, à commencer par Sibylle, héroïne atypique, présentée à la fois comme butée et hautaine, mais aussi dure au mal, pleine d’humour et indépendante. Il est toujours délicat de mettre en scène un personnage féminin dans un tel contexte historique car la tentation est évidemment grande de la part de l’auteur de la dépeindre comme en avance sur son temps afin de faciliter l’identification du lecteur contemporain. L’auteur échappe toutefois là encore à cet écueil, si bien qu’on a effectivement l’impression de côtoyer une femme de l’époque et non un personnage du XXIe transposé au XIIe. A ce titre, certaines de ses réactions peuvent paraître surprenantes ou déstabilisantes mais s’avèrent néanmoins parfaitement cohérentes étant donné le contexte. La plus grande faiblesse du roman vient certainement de son intrigue dont la construction se révèle parfois un peu brouillonne et qui souffre de quelques maladresses. Parmi elles, on peut notamment reprocher la manie de certains personnages de sans arrêt repousser les révélations qui éclaireraient pourtant les autres et faciliteraient leur périple. De même, on peut regretter que les quelques rares élément surnaturels présents soient traités de manière trop superficielle pour parvenir à vraiment capter l’intérêt du lecteur (même si on devine qu’ils seront amenés à prendre bien plus d’importance dans les tomes à venir). En dépit de ces quelques bémols et de petites baisses de rythme, le récit reste malgré tout très agréable à lire, voire véritablement captivant lors de certains passages.

Ce premier tome de « La rose de Djam » pose les bases d’une trilogie de fantasy historique prometteuse qui séduit à la fois par la qualité de la reconstitution du contexte de l’époque mais aussi par la personnalité atypique de son héroïne dont on prend plaisir à suivre le périple. Sandrine Alexie nous propose une plongée immersive dans l’Orient du XIIe siècle dont elle nous permet d’appréhender ici toute la richesse et la complexité. Vivement la suite !

Voir aussi : Tome 2 ; Tome 3

Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls) : C’est pour ma culture

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

8 commentaires

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