Science-Fiction

Les nuages de Magellan

Titre : Les nuages de Magellan
Auteur : Estelle Faye
Éditeur : Scrinéo
Date de publication : 2018 (octobre)

Synopsis : 45e siècle. L’Humanité s’est étendue à toute la Voie Lactée. La nouvelle frontière, ce sont les Nuages de Magellan, mais les expéditions pour y aller se font rares. Vingt siècles plus tôt, l’humanité a maîtrisé l’énergie sombre, une ressource quasi illimitée, mettant ainsi fin aux guerres pour les énergies fossiles. Ont suivi plus de mille ans de liberté, d’exploration, d’avancées… Puis, insidieusement, de nouveaux jeux de pouvoir et d’influence se sont mis en place, conduisant à la multiplication des hors-la-loi et des pirates. Un mythe court dans la galaxie, selon lequel des pirates auraient créé sur une planète une république idéale, hors du pouvoir des Compagnies. Dans l’un des derniers postes frontières avant les Nuages, Dan, une jeune serveuse idéaliste,  chante de la country dans un bar pseudo texan tout en rêvant de grandes métropoles stellaires. Elle est fascinée par Mary, une cliente taciturne dont on dit qu’elle aurait fait partie de l’expédition d’annexion de la planète légendaire.

Si nous ne pouvons pas être le remède, nous serons la fièvre.

Quand la piraterie rencontre le space-opera

Après plusieurs romans de fantasy à destination de la jeunesse et des adultes, Estelle Faye s’est récemment lancée dans la science-fiction, et plus spécifiquement dans le space-opera avec « Les nuages de Magellan ». Cela fait bien longtemps que les humains ont du abandonner la Terre, totalement polluée et inhabitable, et qu’ils ont peu à peu colonisé les planètes alentours. Ankou est l’un de ces corps célestes qui abritent à présent une population humaine : un trou paumé dont peu de gens avaient entendu parler jusqu’à ce qu’une révolution citoyenne y soit violemment réprimée par le pouvoir en place. C’est là que l’on fait la connaissance de nos deux héroïnes : la première est une jeune serveuse un peu paumée, forcée de fuir pour échapper aux grandes Compagnies qui la poursuivent ; la seconde est une baroudeuse plus âgée qui tente elle aussi d’échapper depuis des années aux autorités en raison de son passé mouvementé. Le hasard faisant bien les choses, les deux femmes vont parvenir à quitter la planète ensemble, avant de se lancer dans une formidable aventure qui va les entraîner d’un bout à l’autre de la galaxie. Bien qu’habituellement peu fan de ce sous-genre de la science-fiction (même si « Pyramides » m’a récemment fait changer d’avis), j’ai fini par me laisser convaincre de lire le roman, poussée à la fois par les critiques enthousiastes publiées par la blogosphère, mais aussi parce qu’Estelle Faye est une auteur dont j’apprécie souvent les textes. Et il faut bien avouer qu’on passe un bon moment avec ces « Nuages de Magellan » qui transportent dans l’espace les grandes utopies pirates du XVIIIe siècle et mettent en scène deux personnages féminins attachants et bien campés.

Aventure, voyage et rebellion

Le roman d’Estelle Faye pullule en effet de références à la piraterie, thème semble-t-il cher à l’auteur et déjà exploité dans d’autres nouvelles. Outre la mention évidente à une certaine Mary Reed (Read), on peut également mentionner la présence de capitaines de vaisseaux charismatiques commandant un équipage épris de liberté, une volonté affichée de s’affranchir des règles et carcans de la société, et surtout l’existence d’une île/planète servant de repère à tous les rebelles et marginaux qui ne rentrent pas dans le moule. L’insoumission et la révolte sont ainsi deux thématiques essentielles du roman (comme c’était d’ailleurs déjà le cas dans « Les seigneurs de Bohen ») et son message est assez explicite. L’intrigue est pour sa part bien rythmée : on ne s’ennuie pas une seconde tant les rebondissements et les nouvelles rencontres s’enchaînent rapidement. L’univers est quant à lui assez succinctement décrit compte tenu de son immensité, mais les quelques aperçus que l’on en a suffisent à satisfaire l’imagination du lecteur. On a ainsi l’occasion de visiter plusieurs planètes aux climats et aux usages différents qui nous permettent d’appréhender la diversité des paysages mais aussi des habitants qui cohabitent sur les différents astres de cette galaxie. Le principal atout du roman tient cela dit moins à la qualité de son décor qu’à celles de ses personnages, à commencer par les deux aventurières qui occupent ici le devant de la scène. Dan est une jeune fille un peu paumée à laquelle il est facile de s’identifier : on se reconnaît aisément dans son désir d’aventures et de voyages. Liliam est plus torturée, mais on devine sans mal derrière sa froideur et sa dureté apparente une souffrance profondément enfouie qui ne manquera pas de toucher le lecteur.

Quelques bémols

En dépit de toutes ces qualités, le roman n’est pas exempt de défauts, le premier étant sans aucun doute que l’intrigue aurait mérité d’être un peu plus étoffée. On aurait en effet voulu que les pérégrinations des deux héroïnes soient développées sur plus de trois cent pages, ce qui aurait permis de complexifier l’intrigue ainsi que les relations entre les personnages. Pour cette raison, le roman se rapproche à mon sens davantage du young-adult, ce qui se traduit d’ailleurs aussi par un style moins élaboré que celui auquel l’auteur nous avait jusque là habitué dans ses autres œuvres (nombreuses répétitions, succession de phrases très courtes…). On peut également regretter d’avoir finalement si peu d’éléments sur l’âge d’or de la piraterie tel que l’a connu Liliam. Certes, les souvenirs évoqués par le personnage permettent de se faire une idée des événements qui ont conduit à la chute des trois seigneurs pirates, mais on se prend parfois à imaginer qu’il aurait peut-être été plus intéressant de suivre leurs aventures et celle de la fondation de Carabe que celles de nos deux héroïnes. Enfin, dernier bémol : certains événements ou comportements adoptés par les personnages peuvent parfois paraître un peu trop improbables. Je pense notamment au personnage de Dan qui parvient à s’imposer presque du jour au lendemain en tant que leader d’un équipage de pirates et se révèle soudainement grande oratrice (c’est une chose qui m’avait déjà gênée dans « Les seigneurs de Bohen » où on retrouvait un personnage avec un parcours un peu similaire). L’ellipse finale et la conclusion tombent aussi un peu trop comme un cheveux sur la soupe et peuvent paraître en décalage avec le reste du récit.

Estelle Faye signe avec ce premier space-opera un roman divertissant, rempli de belles aventures et de personnages attachants. On pourrait simplement regretter que l’histoire ne soit pas plus développée, ainsi que certaines facilités scénaristiques qui m’incitent à penser que le roman s’adresse peut-être davantage à un jeune public. Cela ne gâche toutefois en rien le plaisir de cette aventure qui fait la part belle à la piraterie et au voyage. A découvrir.

Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Lorhkan (Lorhkan et les mauvais genres)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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