Science-Fiction

Issa Elohim

Titre : Issa Elohim
Auteur : Laurent Kloetzer
Éditeur : Le Bélial’ (collection Une Heure Lumière)
Date de publication : 2018 (février)

Synopsis : Europe. Demain. Dérèglements climatiques, terrorisme et guerres confessionnelles secouent les restes d’un ordre mondial en miettes et jettent des millions de réfugiés sur les routes. L’horizon est fluctuant ; le monde se recroqueville face à un futur incertain et menaçant. Et puis il y a les Elohim — ou prétendus tels. Des êtres exceptionnels, mystérieux, porteurs d’un espoir nouveau, et qui semblent s’incarner sur Terre de manière aléatoire. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Que sont-ils ? Valentine Ziegler est pigiste. Lorsque, depuis sa Suisse natale aussi préservée que sécurisée, elle entend parler de la présence possible d’un de ces êtres dans un camp de réfugiés tunisien géré par l’agence européenne Frontex, elle auto-finance en hâte son voyage dans l’espoir d’un reportage digne d’intérêt. Valentine est toutefois très loin d’imaginer au devant de quoi elle se précipite, l’étendue de la révolution à laquelle elle va se mesurer. Une possible épiphanie à même de changer sa vision du monde, si ce n’est le monde tout entier…
Bibliocosme Note 4.0

La collection Une Heure Lumière s’enrichit !

Après « L’homme qui mit fin à l’histoire », « Poumon vert » ou encore « Un pont sur la brume », je poursuis avec toujours autant de plaisir ma découverte des novellas publiées par l’excellente collection « Une Heure Lumière » du Bélial. Le principe est ici toujours le même : un texte court n’excédant pas une centaine de pages et une identité graphique particulièrement soignée confiée aux bons soins d’Aurélien Police. Après Thomas Day (qui avait ouvert le bal avec « Dragon » en 2016), Laurent Kloetzer est le deuxième auteur français à participer à cette collection qui, une fois encore, ne démérite pas. La novella met en scène une journaliste suisse, Valentine Ziegler, qui part en reportage dans un camp de réfugiés tunisien où aurait été signalée l’apparition d’un Elohim. Elohim ? Un être mystérieux d’apparence toute à fait humaine mais dont on ignore la nature (extraterrestre pour certains, divine pour d’autre) et sur lesquels une parte de la population a placé tous ses espoirs. C’est au cours de ce reportage que Valentine fait la connaissance d’Issa, le fameux Elohim, ainsi que de trois autres jeunes réfugiés qui l’ont recueilli lors de son apparition sur Terre et qui le considèrent désormais comme leur frère. Bouleversée par cette rencontre et par l’innocence et la douceur du jeune homme, la journaliste entreprend à son retour en Suisse de faire venir Issa et ses frères dans son pays, quitte à s’associer pour cela à un homme politique dont les idées sont pourtant très éloignées des siennes. Le texte s’inscrit semble-t-il dans le même univers que d’autres œuvres de Laurent Kloetzer (merci Xapur) : « Anamnèse de Lady Star » et « Vostok », deux romans qui sont depuis longtemps dans mon viseur (le second sort justement en poche chez Folio SF ce mois-ci) et que je suis d’autant plus impatiente de lire après cette lecture qui ne posera donc aucun souci de compréhension si, comme moi, vous n’êtes pas familiers avec les dernières parutions de l’auteur.

L’Europe d’aujourd’hui et de demain face à la crise migratoire

La première force du texte tient évidemment à son cadre très actuel qui permet à l’auteur d’aborder un certain nombre de sujets particulièrement sensibles. Située dans un futur proche ou alternatif, l’action prend ainsi place dans une Europe globalement similaire à la nôtre : de nombreux pays sont en crise partout dans le monde, que ce soit pour des raisons économiques, politiques ou climatiques, et leurs habitants se retrouvent forcés à migrer vers un endroit plus sûr. Dirigés ici par l’agence européenne Frontex, des camps de réfugiés font alors leurs apparitions aux frontières et posent dans l’ensemble des pays européens des questions qui continuent de faire débat parmi la population. Le cadre nous est donc familier, tout comme malheureusement les catastrophes humanitaires qu’il engendre. Par le biais des témoignages des quatre jeunes réfugiés, Laurent Kloetzer souligne notamment les conditions de vie déplorables dans lesquels ces personnes en sont réduites à vivre dans les camps de réfugiés ainsi que la violence à laquelle ils se retrouvent malgré eux confrontés. Le texte nous pousse évidemment à nous interroger sur les politiques migratoires européennes et sur leurs conséquences humanitaires. Le passage de la traversée en mer fait ainsi bien sûr échos à la situation en Méditerranée et, quant bien même le ton n’a rien de plaintif ou de larmoyant, on ne peut qu’être remué par l’angoisse et la détresse qui transparaissent dans ces pages. La noirceur de ce futur déjà présent est fort heureusement contrebalancée par les personnages eux-mêmes, à commencer par Valentine et son entourage qui, par leur solidarité et leur générosité, font naître une lueur d’espoir bienvenue. C’est cette humanité dont la journaliste fait preuve ici qui se situe justement au cœur du texte et qui fait sa plus grande force : les réfugiés ne sont plus ici qu’un « simple » sujet polémique sur lequel se dispute de manière détachée mais des hommes et femmes bien réels face auxquels les étiquettes politiques et les considérations morales ou religieuses volent en éclat.

Messie ou mystificateur ?

Si l’ouvrage préfère donc se focaliser avant tout sur l’humain, et n’a par conséquent rien du pamphlet politique, il se garde également de tomber dans une dérive religieuse qui aurait été du plus mauvais goût et que l’auteur esquive ici avec habilité. Alors oui, ces Elohims sont des figures considérées comme messianiques et ont été récupérées par certains cultes ou sectes pour faire la promotion de leur dieu ou leur vision du monde, mais à aucun moment l’auteur ne prend le risque de s’embourber dans des considérations de ce type. Le lecteur comme les personnages sont ainsi totalement libres de se faire leur propre opinion concernant la nature et l’origine de ces Elohims, en fonction de leurs propres références culturelles. L’auteur s’amuse d’ailleurs à jeter un peu plus le trouble dans l’esprit du lecteur lorsque son protagoniste se met à questionner la véracité de la nature d’Issa. Était-il vraiment un Elohim ou un simple mystificateur ayant vu dans le mensonge une opportunité de se mettre à l’abri et d’échapper à sa condition de réfugié ? Car l’apparition de ces créatures mystérieuses n’a pas été sans s’accompagner au fil des années de quantité de hoax circulant sur internet et mettant en scène de faux Elohims cherchant à surfer sur le phénomène pour se faire connaître, ou tout simplement pour se sortir de la misère. Dans sa position, Issa aurait ainsi tout à fait pu être tenté par cette idée et, avec la complicité de ses camarades, monter une mascarade visant à le faire sortir du pays (la preuve le plus probante de la nature des Elohims vient du fait qu’ils disparaissent régulièrement l’espace de quelques minutes avant de réapparaître près du lieu de leur évaporation : une « ruse » compliquée à mettre en scène mais techniquement possible dans certaines circonstances). Les indices allant dans le sens d’une mystification comme dans celui d’une véritable apparition se succèdent au fil des pages, et, là encore, c’est au lecteur de choisir la version qui lui convient le mieux, l’auteur se gardant bien de nous donner une réponse définitive.

Laurent Kloetzer signe avec « Isssa Elohim » un texte court mais percutant consacré à un sujet actuel particulièrement sensible et traité avec beaucoup de délicatesse. La force de l’ouvrage tient d’ailleurs au fait que l’auteur ne nous donne jamais de réponse toute faite mais cherche au contraire à nous pousser à nous interroger, à la manière de ses personnages qui bouleversent avant tout par leur humanité. Une très belle découverte.

Autres critiques : Allan Dujipérou (Fantastinet) ; Blackwolf (Blog-O-Livre) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Elhyandra (Le monde d’Elhyandra) ; Jean-Philippe Brun (L’ours inculte) ; Jean-Yves (Mondes de poche) ; Le dragon galactique ; Lorhkan (Lorhkan et les mauvais genres) ; Nébal (Welcome to Nebalia) ; Samuel Ziterman (Lecture 42) ; Xapur (Les lectures de Xapur)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

9 commentaires

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