Fantastique - Horreur

La Croisière des ombres

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Titre : La Croisière des ombres
Auteur : Jean Ray
Éditeur : Alma (Jean Ray) (fiche officielle)
Date de publication : 10 novembre 2016 (1929 à 1935 pour les premières éditions de chaque nouvelle)

Synopsis : Des histoires hantées, de terre et de mer. Jean Ray publie La croisière des ombres en 1931. Il doit se reconstruire au sortir de la prison. Et c’est un éblouissement. Coup sur coup, une série de chefs-d’œuvre. Un voyage extrême aimanté par l’infini de l’inconnu.
En février 1929, Jean Ray sort de prison. Il y sera resté près de trois ans. Dans la légende – qu’il entretiendra – cette mise à l’ombre serait la sanction de ses complicités avec la contrebande d’alcool sur le « rumrow », l’avenue du Rhum, aux frontières des États-Unis, alors en proie à la prohibition. En fait, il avait été sanctionné pour une escroquerie financière dans sa ville natale de Gand. Qu’importe !
Cet admirateur et ami de Blaise Cendrars se rêve une autre vie et d’autres amarrages dans ce recueil fulgurant de récits et de contes nés de ses hantises : la mer, les bouges, les nuits de lune, les vaisseaux fantômes, les trafiquants, les ruelles obscures… La croisière des ombres sort fin 1931. Jean Ray a 44 ans. Si le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison, Jean Ray se montre ici bien fou, c’est-à-dire radicalement raisonnable. Il met au service de l’étrange la rigueur et la clarté d’un imperturbable rationalisme. Efficace, ramassé, il fait naître des mondes en quelques lignes : la « croisière des ombres » commence au large de Manhattan et s’achève sous l’égide d’un psautier imprimé à Mayence au XVe siècle, boussole insensée d’un navire hauturier. Le virtuose du « réalisme panique » fait son entrée dans le tripot de la littérature.
Comme beaucoup de livres de Jean Ray, La croisière des ombres a souffert de rééditions infidèles et tronquées. La Collection Jean Ray l’offre à nouveau dans sa splendeur et son énergies premières, tel que l’écrivain l’avait conçu. On y découvrira, en prime, une dizaine de textes inédits, écrits entre 1929 et 1932.

Note 4.0
 
Coup de coeur

N’avoir personne à qui parler par une nuit d’octobre, à cent pas de la mer qui meugle, et des fanfares d’oies sauvages, pour toutes voix vivantes autour de soi, c’est bien le pire châtiment pour un homme honorable.

[Le dernier voyageur]

Après avoir découvert La Cité de l’indicible peur, je poursuis l’œuvre rééditée de Jean Ray aux éditions Alma avec La Croisière des ombres. Toujours sous la direction d’Arnaud Huftier, sont réunis ici des textes de différentes origines, écrits entre 1929 et 1935, avec d’un côté La Croisière des ombres, recueil de textes autour de la mer, des ports et des monstres de tout poil, et de l’autre quelques textes parfois très courts qui complètent cette thématique.

Comme souvent quand elle est de qualité (c’était déjà le cas dans Feuillets de cuivre, de Fabien Clavel), il est difficile de faire une critique novatrice quand on a lu la postface d’Arnaud Huftier, lui qui connaît le personnage de Raymond de Kremer (alias Jean Ray, alias John Flanders) sur le bout des doigts. Sur de nombreux points, cette postface se révèle très pédagogique pour assimiler les tenants et aboutissants du fantastique réaliste de cet auteur.

La Croisière des ombres était d’ores et déjà un recueil d’histoires horrifiques aux titres tout à fait parlants : « La présence horrifiante », « Le bout de la rue », « Le dernier voyageur », « Dürer, l’idiot », « Mondschein-Dampfer », « La ruelle ténébreuse », et « Le psautier de Mayence » sont autant de récits cauchemardesques qui peuvent tout à fait être issus des rêveries hantées de l’auteur comme des vôtres (en tout cas, les miennes peuvent facilement y ressembler). D’autres textes ont été réunis à cette Croisière pour leur brièveté ou leur thématique maritime : « Le torrent de boue », « Le ralenti de 5h17 », « L’effroyable histoire de Machrood », « Ombre d’escale », « Poste de police, R-2 », « L’idylle de monsieur Konigley », « La trouvaille de Mr. Sweetpye » et deux mini-articles « Le vent de la hache » et « Si Scotland Yard ».

Dans ce recueil qu’on aura de la peine à relâcher de notre étreinte fiévreuse, Jean Ray nous place face à l’horreur de la solitude. En chaque occasion, le narrateur se révèle seul face à une étrangeté qui finit par l’horrifier. Ce peut être un détail anodin, une redondance étonnante ou un péril lors d’un voyage, il y a toujours de quoi cauchemarder utile chez Jean Ray. Les petits récits composant ce recueil dans la continuité des Contes du whisky, qui valurent à l’auteur le surnom de « patron de Port-Angoisse », sont une succession d’idées aussi simples que diablement efficaces.

Avec un sens aigu du style alambiqué, Jean Ray réussit toujours en très peu de mots la formule qui fait mouche et qui saura éveiller la part d’horreur qui sommeille en vous, tout en nous faisant redécouvrir un vocabulaire fleuri comme rarement on en retrouve actuellement.

Voir aussi : La Cité de l’indicible peur ; Contes du Whisky

Autres critiques :

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

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