Science-Fiction

Le livre de la sage-femme sans nom

Titre : Le livre de la sage-femme sans nom
Auteur/Autrice : Meg Elison
Éditeur : Goater éditions
Date de publication : 2024 (septembre)

Synopsis : Lorsqu’elle s’endormit, le monde était condamné. Quand elle s’est réveillée, il était mort. À la suite d’une fièvre qui a décimé la population mondiale – tuant un grand nombre de femmes et d’enfants et rendant l’accouchement mortel pour la mère et l’enfant – la sage-femme doit se frayer un chemin à travers les débris du monde qu’elle a connu autrefois pour trouver sa place dans ce nouveau monde dangereux. Finis les piliers de la civilisation. Il ne reste que le pouvoir et les forts qui le possèdent. Quelques femmes comme elle ont survécu, même si elles sont rares. Des clans d’hommes poussés par la peur cherchent à contrôler, abuser, enfermer, celles qui restent. Pour préserver sa liberté, elle revêt des vêtements d’homme, porte de faux noms et évite le plus possible de croiser du monde. Mais alors que le monde continue de se débattre dans ces terribles circonstances, elle se découvrira un rôle plus important, au-delà de la survie. Après tout, si l’humanité veut renaître, quelqu’un doit être son guide.

Un monde sans femme (ou presque)

« Le livre de la sage-femme sans nom » est le premier roman de Meg Elison, une autrice et essayiste féministe américaine, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle fait ici une entrée fracassante. Le récit met en scène une sage-femme (dont on ne connaîtra jamais le véritable nom) qui exerce dans un grand hôpital américain et qui se retrouve confrontée à une épidémie incontrôlable dont les femmes sont les principales victimes. Les femmes enceintes, surtout, décèdent désormais systématiquement lors de l’accouchement, de même que leur bébé. Peu à peu le pays tout entier sombre, les morts s’accumulant à une vitesse impossible à contrecarrer, et l’héroïne elle-même finit par être contaminée. Lorsqu’elle se réveille après des jours de fièvre et de délire, le monde qu’elle connaissait a disparu. Plus rien ne tient debout, les hommes sont nombreux à avoir succombés, et les femmes, elles, ont quasiment été entièrement décimées, tout comme les enfants. Très vite, l’héroïne comprend qu’elle ne peut compter que sur elle-même, et surtout qu’elle doit fuir à tout prix ses semblables masculins. Toutes les femmes survivantes sont en effet impitoyablement traquées et asservies afin de servir les besoins de ceux qui estiment désormais pouvoir user de leur corps (devenu denrée rare) comme bon leur semble. C’est dans cette atmosphère poisseuse et oppressante que l’on va suivre le périple de cette sage-femme sans nom qui va faire le choix de se déguiser en homme pour échapper aux autres survivants et de venir en aide comme elle peut aux femmes qui vont croiser son chemin. Son voyage va l’entraîner vers le nord (alors qu’un message radio tournant en boucle invite les survivants à se rendre au sud), là où elle a le moins de chance de tomber sur d’autres humains. Les rencontres ne vont pourtant pas manquer, parfois terribles, parfois positives, et permettent peu à peu de dresser le portrait de ce nouveau monde crépusculaire qui, en l’absence totale de perspective de renouvellement des générations, semble bien signer la fin de l’humanité tout entière.

L’omniprésence des violences faites aux femmes dans nos imaginaires

La lecture du roman de Meg Elison est à la fois captivante et effrayante, notamment pour une femme. Pour faire le parallèle avec d’autres œuvres post-apo de ce type, l’ouvrage m’a pour ma part beaucoup fait penser à « Qui après nous vivrez », le roman d’Hervé Le Corre qui imagine lui aussi un mode futuriste qui se définit essentiellement par les violences qui y sont exercées contre les femmes, ou encore à « La parabole du semeur » d’Octavia Butler qui convoque les mêmes images de violences et de terreur. Ces trois imaginaires ont en commun de mettre en scène un futur où les femmes ne sont plus considérées que comme des proies, et les ouvrages post-apo qui mettent l’accent sur cette question sont légion. Qu’elles parasitent autant notre imaginaire en dit assez long sur la place que ces violences continuent d’occuper aujourd’hui dans notre société. Il suffit d’ailleurs pour s’en rendre compte de faire le parallèle entre ce roman et le comic « Y le dernier homme » de Brian K. Vaughan qui propose la même équation mais inversée. Le héros est le seul survivant mâle, entourée désormais d’une multitude de femmes. Le ton y est souvent léger, l’inquiétude du personnage limitée, et on a plutôt l’impression que ce dernier est devenu le roi du pétrole plutôt qu’une proie en danger. A l’inverse, le pitch du roman de Meg Elison suffit à glacer le sang, et ce avant même le début de la lecture : une poignée seulement de femmes survivantes, entourées d’hommes infiniment plus nombreux, cela ne peut en effet que mal se terminer. La peur du viol et son utilisation comme outil de domination sont ici omniprésents si bien que certaines scènes sont particulièrement difficiles à lire. L’autrice ne tombe heureusement pas dans l’écueil de la surenchère ou du voyeurisme et utilise au contraire cette violence pour interroger notre présent et proposer une variété de réponses autour de la sexualité des femmes et des hommes.

Une héroïne qui sort du lot

Le mode de narration adopté par l’autrice participe à rendre le récit encore plus addictif puisqu’on alterne entre des passages du journal tenu par la sage-femme et une narration à la troisième personne. Les chapitres à la première personne permettent de renforcer l’immersion et nous font passer par toute une palette d’émotions qui nous font nous sentir encore plus proche de l’héroïne. Cette dernière sort d’ailleurs un peu de l’ordinaire, les récits post-apo (et pas que) ayant plutôt tendance à mettre en avant des jeunes femmes. Ici, le personnage est une femme d’une quarantaine d’années qui a déjà pas mal d’expérience et s’affranchit totalement de la naïveté qui caractérise souvent le comportement des personnages plus jeunes mis en scène dans ce type de situation. Elle comprend immédiatement les enjeux, les dangers, et elle agit en conséquence, ce qui est finalement assez rassurant et permet de repousser un peu l’effroi provoqué par la situation puisqu’on sait qu’on a affaire à une héroïne débrouillarde et sensée qui ne va pas se jeter dans la gueule du loup ou prendre des risques inconsidérés. Les personnages qui vont croiser sont chemin sont très variés eux aussi en terme de profils, et leurs réactions témoignent, chacune à leur manière, de l’ampleur du traumatisme provoqué par l’épidémie, certains ayant définitivement renoncé à toute idée de loi ou de morale quand d’autres s’y accrochent au contraire encore davantage. Tous sont en tout cas nuancés, l’autrice ne tombant pas dans le piège de dépeindre tous les hommes comme des salauds avides de violer et les femmes comme des êtres doux et sympathiques. C’est d’ailleurs cette ambiguïté qui donne tout son sel au récit et permet d’entretenir un suspens constant, l’héroïne ne pouvant jamais être tout à fait sûre des réactions de celles et ceux qu’elle va rencontrer.

« Le livre de la sage-femme sans nom » est un premier roman coup de poing dans lequel Meg Elison dépeint un monde post-apo dans lequel les femmes ont quasiment disparu suite à une terrible épidémie. Dans de monde désormais désert, on suit le parcours d’une sage-femme qui va tenter de survivre à l’après et surtout de trouver un nouveau sens à l’humanité. Résolument féministe, le roman emprunte aussi beaucoup de réflexions au mouvement queer et invite à s’interroger aussi bien sur notre présent que notre futur. La lecture peut toutefois s’avérer difficile dans la mesure où les violences faites aux femmes sont ici omniprésentes et exposées dans toute leur horreur. A lire !

Autres critiques : ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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