Qui après nous vivrez
Titre : Qui après-nous vivrez
Auteur/Autrice : Hervé Le Corre
Éditeur : Rivages /Noir
Date de publication : 2024
Synopsis : A la fin du XXIe siècle, dans une grande ville de province, une jeune femme et son compagnon viennent malgré les crises à répétition, de donner naissance à un enfant. Un jour, le réseau électrique français s’effondre et une émeute plus violente que les autres éclate. Le jeune père ne rentre pas chez lui. Pour sa compagne, l’angoisse va grandissant. Trois générations plus tard, dans un monde où toute technologie avancée a disparu, un petit groupe de gens a trouvé un abri de fortune dans une maison campagnarde qui a échappé à la destruction.Pas pour longtemps. Des pillards vont bientôt l’incendier et les survivants vont devoir fuir sur les routes avec leur carriole et leur cheval. Commence une épopée proche du western, où chaque jour l’enjeu est de survivre…
– A quoi tu penses ?
Clara la poussa doucement pour s’installer à côté d’elle.
-A ce qu’on fera quand on les trouvera.
-Moi je sais ce que je ferai. Un par un.
-Ne dis pas ça. Tu me fais peur.
-Tu peux pas comprendre.
Nour se redressa brusquement, le souffle court. Une douleur se réveillait et se tordait en elle.
-Tu es sûre ? Tu veux que je te raconte ?
Sa voix tremblait. Elle eut froid, soudain.
-Non, dit Clara. On sait les mêmes choses, maman.
– Je serai avec toi, dit Nour. Un par un, si tu veux.
No futur (mais alors vraiment, vraiment aucun) !
Vous vous sentez légèrement morose en ce moment ? Le moral n’est pas tout à fait au beau fixe ? Alors un conseil, surtout passez votre chemin ! Non pas que le roman d’Hervé Le Corre soit mauvais, bien au contraire, mais l’auteur de polar a misé ici sur un univers ultra sombre dans la plongée duquel on ne ressort pas indemne. La lecture est aussi intéressante qu’elle est éprouvante, au point qu’il est souvent nécessaire de faire une pause afin de ne pas se retrouver totalement accabler par le poids des événements racontés. Vous voilà prévenus… L’action se déroule à plusieurs époques et met en scène quatre générations de femmes qui, de mère en fille, vont assister au délitement complet de notre civilisation et au retour d’une barbarie sans fard ni artifice où elles ne sont plus considérées par la plupart des survivants que comme de la chair fraîche. Tout commence au milieu du XXIe (relativement proche de nous donc, dans environ une vingtaine d’années). On fait la connaissance de Rebecca et Martin, jeunes parents d’une petite Alice née dans un monde qui part déjà sacrément en vrille suite à une succession d’épidémies, de guerres et de catastrophes naturelles d’une ampleur toujours croissante. Malgré le contexte, la naissance du bébé provoque une vague d’espoir et de joie chez ce couple lambda de classe moyenne, relativement épargné jusqu’ici. Et puis, alors que la petite n’a que quelques mois, tout s’éteint. Black out total, et pour toujours. On ne connaît pas vraiment l’origine de la panne mais toujours est-il que les dernières digues sautent, et qu’on comprend rapidement qu’il n’y a plus de pilote dans l’avion. Le lendemain, Martin part eu travail et ne rentre pas, laissant Rebecca et la petite Alice seules. D’autres chapitres nous dévoilent le parcours d’Alice devenue adulte et mère à son tour, dans une petite communauté qui n’a rien à envier à l’univers de la « Servante écarlate » de Margaret Artwood. Et puis on suit Nour, la fille d’Alice, elle-même mère d’une jeune fille nommée Clara et qui partagent leur destin avec un père et son fils, Léo, seul véritable protagoniste masculin du roman.
Viols en série, traumatismes et violence insoutenable
La narration alterne entre l’une ou l’autre de ces époques et de ces femmes, sans que cela n’entraîne de confusion puisqu’on comprend très vite comment se suivent les personnages en terme de génération. Cette variation de temporalité permet à l’auteur d’imaginer à la fois le basculement de la société telle qu’il se l’imagine, mais aussi ce que cela pourrait donner dans vingt ans, puis quarante… Et le portrait brossé n’est vraiment pas gai ! En gros, dites-vous que tout ce qui pourrait mal tourner tourne effectivement mal et que le pire advient systématiquement. Le black-out et la confusion qu’il entraîne ne tarde en effet pas à laisser la place à une société où le chacun pour soi prime et où les faibles ont tout à craindre des forts. Les forts se sont les hommes, généralement armés, et qui se sont débarrassés de tous les vernis de la civilisation. Réunis en véritable horde, ils détruisent tout sur leur passage, pillent, et surtout violent. Car c’est là le cœur du roman d’Hervé Le Corre, et justement l’une des raisons pour lesquelles le récit est si difficile à lire. Les violences sexuelles sont partout, les femmes vivent dans la peur permanente d’être violée et, pire encore, de voir leur propre fille se faire violer. Les scènes de ce type pullulent dans le roman, parfois d’une violence telle qu’elle manque de vous faire lâcher le roman (à l’image de la scène d’ouverture qui est tellement atroce que j’ai bien failli m’arrêter là). Si ces passages ne sont jamais gratuits et si l’auteur ne sombre pas dans le voyeurisme, il n’empêche que ce choix pose question, et d’autant plus que le même schéma a tendance à se répéter inlassablement. Les femmes ne sont-elles vraiment vouées qu’à devenir des bouts de viande que s’échangent des brutes testostéronées qui détruisent tout pour leur simple plaisir ? La violence insupportable qui nous explose à la figure à la lecture de ces pages est parfois difficile à endurer, et ce d’autant plus que le futur imaginé n’est pas si lointain, si bien qu’on ne peut s’empêcher de s’y projeter et, pire, d’y projeter nos enfants.
Des héroïnes inoubliables
Et pourtant j’ai continué ma lecture. J’ai continué d’abord parce qu’Hervé Le Corre possède une belle plume très évocatrice et particulièrement prenante qui tient les lecteurices en haleine. J’ai continué, aussi, parce que, au milieu de tout ce chaos, de cette noirceur et de cette violence, évoluent des personnages d’une humanité bouleversante. Rebecca, Alice, Nour, Clara, Léo, Marceau… : toutes et tous vivent des choses atroces et révoltantes, mais les liens qu’ils entretiennent les uns avec les autres et le regard malgré tout empreint d’espoir qu’ils portent sur le monde permet de rendre le reste supportable. L’auteur s’attarde longuement sur les relations mère-fille, sur ce qui unies ces différents duos qui se succèdent au fil des chapitres et des générations, et cet amour est raconté avec une telle délicatesse qu’on ne peut s’empêcher d’en être saisi, et ce d’autant plus qu’il tranche radicalement avec le contexte dans lequel ces femmes sont contraintes d’évoluer. Il ne s’agit d’ailleurs pas de la seule touche de lumière dans cet océan de noirceur, nos héroïnes étant aussi amenées à croiser la route de communautés bienveillantes qui tentent de reconstruire une société sur les ruines de la précédente. Il est alors intéressant de regarder ce dont l’auteur choisi de faire se rappeler aux personnages de notre monde d’aujourd’hui comme, par exemple, le mot « démocratie ».
Avec son dernier roman en date, Hervé Le Corre quitte le registre du polar pour nous offrir un post-apo terrifiant. Véritable cri d’alerte, le récit met en scène quatre générations de femmes toutes plus fortes et attachantes les unes que les autres et tentant tant bien que mal de survivre dans l’enfer qu’est devenu pour elles la Terre. Le roman est d’une noirceur parfois difficile à supporter dans la mesure où le monde prend la pire direction possible. Les femmes en sont les principales victimes, et la présence de nombreuses scènes de viols contribue à rendre la lecture parfois à la limite du supportable. Paradoxalement, le roman est traversé par une formidable pulsion de vie qui permet de redonner un peu espoir et permet de vrais moments de grâce difficiles à oublier.
NB : Si vous cherchez du post-apo moins anxiogène et sans viols, je vous suggère « Avant la forêt » de Julia Colin, qui n’évacue pas la question de la violence mais la traite différemment.
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2 commentaires
Jean-Pierre
Et voilà le retour du pinailleur.
« ne sombre pas de le voyeurisme ».
Sinon, hé bien ça donne moyennement envie de le lire ce bouquin…
Même si « Paradoxalement, le roman est traversé par une formidable pulsion de vie qui permet de redonner un peu espoir et permet de vrais moments de grâce difficiles à oublier.
« … Je crois que je vais attendre une période plus propice…
Par ailleurs puisque (tu/vous)(cite/citez) Avant la forêt, je viens de le lire. J’ai globalement aimé, mais… je suis resté un peu « sur ma faim »…
Boudicca
Merci, c’est corrigé 🙂
Je comprends tout à fait, il faut vraiment le lire au moment propice, sinon ça peut devenir vraiment très déprimant !