Polar - Thriller

Petite sale

Titre : Petite sale
Auteur : Louise Mey
Éditeur : JC Lattès
Date de publication : 2023

Synopsis : Catherine est pauvre. Catherine fait sale. Catherine parle peu. Elle n’aime pas qu’on la regarde – les filles qu’on regarde ont des problèmes. Au Domaine où elle travaille, elle fait partie de ces invisibles grâce à qui la ferme tourne. Monsieur, lui, est riche. Il ne parle pas non plus – il crache ou il tonne. Et il possède tout. Mais quand sa petite-fille de quatre ans disparaît ce jour glacé de février 1969, Monsieur perd quelque chose d’une valeur inestimable.
Dans cette vallée de champs de betterave, où chaque homme et chaque femme est employé de près ou de loin par Monsieur, deux flics parisiens débarquent alors pour mener l’enquête avec les gendarmes. Car une demande de rançon tombe. Mais le village entier semble englué dans le silence et les non-dits. Personne ne veut d’ennuis avec Monsieur. À commencer par Catherine. Catherine qui se fait plus discrète et plus invisible encore. Catherine qui est la dernière à avoir vu la petite.

Un thriller captivant

Il y a peu j’ai eu un gros coup de cœur pour « L’orage qui vient » de Louise Mey, si bien que j’ai eu envie de me plonger dans le reste de la bibliographie de cette autrice féministe plutôt spécialisée dans le polar. Bien m’en a pris, car cela m’a permis de découvrir deux autres superbes romans : « La deuxième femme », qui met en scène une situation de violences conjugales et d’emprise, et donc « Petite sale », une enquête policière récompensée par plusieurs prix littéraires dont le prix Landerneau en 2023. Le roman se déroule à la fin des années 1960 dans un petit village français. Là, un homme règne tel un seigneur du Moyen Age sur toutes les terres des environs qu’il a progressivement récupérées et utilisées pour la culture de la betterave. De modeste, l’exploitation de Demest a ainsi pris des allures de mini empire, tous les habitants des villages alentours dépendant de lui pour s’employer. Tout bascule le jour où Sylvie, la petite fille de « Monsieur », âgée de quatre ans, disparaît. En dépit des recherches et de l’important dispositif déployé, l’enfant reste introuvable. Deux policiers sont alors expressément envoyés de Paris pour mener l’enquête au côté des brigades de gendarmerie locales. Le récit de l’enquête nous est narrée par deux protagonistes. La première, Catherine, est la bonne à tout faire des Demest. Pauvre, la jeune fille est contrainte de subir humiliation après humiliation afin de conserver ce travail qui les fait vivre elle et sa mère. La disparition de la petite Sylvie va toutefois venir bouleverser son quotidien, et ce d’autant plus qu’elle est la dernière personne à avoir vu l’enfant avant sa disparition. Le second protagoniste est l’un des deux policiers parisiens mis sur l’affaire. Beau, sympathique, le jeune homme tente de faire son métier avec humanité et efficacité et a une haute estime de sa fonction. Se considérant lui-même comme une sorte de super justicier envoyé pour défendre la veuve et l’orphelin, Gabriel va méticuleusement tenter de remonter la piste du kidnappeur, mais se retrouve vite frustré par une enquête qui piétine.

Un récit doté d’une forte dimension sociale

Il y aurait encore beaucoup à dire pour brosser un portrait complet de l’intrigue mais cela risquerait d’en dévoiler en peu trop, et donc de gâcher la surprise. Or, comme dans tout bon roman policier, le suspens joue un rôle central dans le récit et pousse ici à dévorer les quelques quatre cents pages qui constituent le roman en un temps record. Difficile de ne pas être intrigué à la fois par cette disparition inexplicable mais aussi par le climat de secret et de défiance qui règne dans la région. Certes, adopter pour cadre une communauté restreinte rongée par les vieilles rancœurs et tentant à tout prix de garder ses secrets n’a rien de très original, mais force est de constater que le procédé fonctionne toujours et est mené ici avec une redoutable efficacité. Louise Mey nous dépeint ici une situation locale imaginaire mais fortement inspirée du contexte sociale de la fin des années 1960 (et dont on retrouve aujourd’hui encore certains aspects), avec un potentat insignifiant à l’échelle nationale mais tout puissant sur son petit bout de territoire. Pas un habitant des environs ne dépend pas de Monsieur qui a peu à peu mis la main sur toutes les terres, ne laissant aux fermes du coin que le choix entre la misère ou la soumission. Les ennemis ne manquent donc pas, ce qui rend l’enquête d’autant plus difficile. Le roman comporte ainsi une forte dimension sociale, l’autrice abordant à la fois la question du quasi servage des habitants de certains coins de campagne, mais aussi le racisme subi par les immigrés italiens présents en France, ou encore sur le classisme subi par celles et ceux n’ayant d’autre choix que d’endurer des conditions de travail dégradantes pour survivre. Très vite, il apparaît que Demest est un employeur brutal, usant des gens comme des pions et les traitant comme des moins que rien. Il en va de même des membres de sa famille, et le mépris de classe qu’ils manifestent est permanent et prend des formes très diverses. Seulement, là où Gabriel peut se permettre de répliquer ou de s’en amuser, Catherine, elle, se doit de conserver une attitude servile. L’intrigue est, vous l’aurez compris, passionnante, et retrace heure par heure le travail réalisé par les services de police et de gendarmerie qui font ce qu’ils peuvent avec des moyens trop limités. Certes, le piétinement de l’enquête peut parfois frustrer, mais pas suffisamment pour lasser ou refroidir notre curiosité.

Rendre visible les invisibles

L’histoire est globalement bien ficelée, avec des révélations à la hauteur du mystère. Le point le plus fort du récit réside cependant dans la qualité de ses personnages. Catherine est une héroïne au profil intéressant à laquelle on s’identifie immédiatement : issue des classes populaires, la jeune femme a un physique banal, voit ses capacités sans cesse sous-estimées ou tout bonnement ignorées, et est donc reléguée par toutes et tous en périphérie de cette histoire. Au lieu d’en faire une simple figurante, Louise Mey lui donne la parole et insiste sur son invisibilisation permanente pour la rendre justement plus visible. « Causette », comme certains l’appellent, n’est pas juste figure de l’ombre : elle est un être humain qui ressent chaque humiliation, qui intériorise chaque marque de mépris, et qui adapte son comportement pour se protéger. Le seul regret que j’ai à formuler réside d’ailleurs dans le fait que le point de vue de Catherine se révèle trop limité par rapport à celui de Gabriel, même si le regard de ce dernier ne fait qu’illustrer l’indifférence que tout le monde porte à la domestique. La confrontation entre les deux points de vue est intéressante car elle permet également de mettre l’accent sur un autre aspect de cette histoire, à savoir les inégalités entre les hommes et les femmes. L’autrice met en effet en scène plusieurs personnages féminins qui paraissent dans un premier temps assez secondaires, avant qu’on ne réalise que c’est Gabriel et son regard d’homme qui les relèguent spontanément en marge de l’histoire. Qu’il s’agisse de Clémence, la mère de la petite, dotée d’une situation sociale confortable mais forcée d’abandonner ses études et ses rêves pour contenter son beau-père ; de Martine, la fille de Demest, qui cherche à tout prix à échapper à l’emprise de son père qui ne la voit que comme de la chair à marier ; de cette institutrice dont on méprise l’avis ; de cette tenancière dont on ne veut pas entendre la révolte… : toutes révèlent à leur manière la précarité et les violences subies par les femmes, qu’elles soient physiques, économiques ou psychologiques. Sans être en aucun cas un manifeste ou un plaidoyer se servant de cette enquête comme d’un simple prétexte, le roman délivre un message résolument féministe et donne à voir les inégalités subies par les femmes tout en soulignant leur grande force et leur capacité à lutter, quelque soit le mode de résistance choisi.


Avec « Petite sale  Louise Mey signe un roman policier captivant relatant l’enquête menée par deux officiers pour retrouver la petite-fille d’un grand propriétaire terrien, disparue alors qu’elle avait été confiée aux soins d’une domestique, Catherine, dernière à l’avoir vue. Doté d’une forte dimension sociale, le roman aborde de nombreuses thématiques qui donnent à voir le classisme, le racisme et le sexisme dont sont ici victimes de nombreux personnages. Féministe et engagé, il n’en demeure pas moins avant tout un excellent polar avec son lot de rebondissements, de fausses pistes et de puzzle patiemment reconstitué. A lire !

Autres critiques : ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

2 commentaires

  • Jean-Pierre

    Bonjour Boudicca.
    Dure journée ?
    « et de d’autant plus »
    « remonter la piste du kidnapper, »
    « encore beaucoup à dore »
    « Demest est un employeur brutale »
    « est une héroïne ai profil »
    « Le seul regret que j’ai à formier  »
    « un premier temps assre secondaires »
    « Clémence, la m_re de la petite, »

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