Essai

Beauté fatale

Titre : Beauté fatale
Auteur/Autrice : Mona Chollet
Éditeur : Editions la Découverte
Date de publication : 2012 / 2015 (poche)

Synopsis : Soutiens-gorge rembourrés pour fillettes, obsession de la minceur, banalisation de la chirurgie esthétique, prescription insistante du port de la jupe comme symbole de libération : la  » tyrannie du look  » affirme aujourd’hui son emprise pour imposer la féminité la plus stéréotypée. Décortiquant presse féminine, discours publicitaires, blogs, séries télévisées, témoignages de mannequins et enquêtes sociologiques, Mona Chollet montre dans ce livre comment les industries du  » complexe mode-beauté  » travaillent à maintenir, sur un mode insidieux et séduisant, la logique sexiste au cœur de la sphère culturelle. Sous le prétendu culte de la beauté prospère une haine de soi et de son corps, entretenue par le matraquage de normes inatteignables. Un processus d’autodévalorisation qui alimente une anxiété constante au sujet du physique en même temps qu’il condamne les femmes à ne pas savoir exister autrement que par la séduction, les enfermant dans un état de subordination permanente. En ce sens, la question du corps pourrait bien constituer la clé d’une avancée des droits des femmes sur tous les autres plans, de la lutte contre les violences à celle contre les inégalités au travail.

L’absence d’idéal concurrent et les sollicitations permanentes de la consommation viennent réactiver les représentations immémoriales qui vouent les femmes à être des créatures avant tout décoratives.

L’obsession des apparences

« Beauté fatale » est un essai qui a fait grand bruit lors de sa parution en 2012 et qui, treize ans plus tard, n’a (malheureusement) rien perdu de sa pertinence. Dans cet ouvrage la journaliste et essayiste suisse Mona Chollet tente d’analyser le désir de beauté des femmes en proposant une critique de l’aliénation féminine à l’obsession des apparences. Aliénation qui peut prendre des formes très diverses que l’autrice se propose ici d’analyser chapitre par chapitre : le repli sur les vocations traditionnelles (se faire belle et materner) ; la saturation de l’espace mental des femmes par la mode et la beauté ; l’obsession de la minceur et le sentiment de culpabilité permanent qu’il fait naître ; la perception du corps des femmes comme une matière inerte, façonnable à merci par le biais de la chirurgie ; ou encore la blancheur érigée en modèle unique. L’autrice entend également démontrer que « la célébration des « rapports de séduction à la française », que l’on a vu ressurgir en même temps que la condamnation du « puritanisme américain » traduit le désir de maintenir les femmes dans une position sociale et intellectuelle subalterne ». Les conséquences de cette aliénation sont nombreuses et alimentent, outre une perte de temps, d’argent et d’énergie, une insécurité psychique et une autodévalorisation permanente de la part des femmes. Pour cette raison, l’essayiste pense que la question du corps « pourrait bien constituer un levier essentiel, la clé d’une avancée des droits des femmes. » Elle constate cependant que cette question est peut traitée en France où les chercheurs et chercheuses sont réticents à s’emparer du sujet de la culture de masse. Or, pour Mona Chollet, les films, les feuilletons, les émissions de télévision, les jeux et les magazines informent en profondeur la mentalité de leur public.

La culture de masse comme support d’étude

J’avais déjà eu l’occasion de lire un essai de Mona Chollet consacré à la façon dont le patriarcat conditionne et sabote nos relations amoureuses (« Réinventer l’amour ») que j’avais trouvé passionnant, et j’ai à nouveau beaucoup apprécié ma lecture. L’autrice a le don pour mettre le doigt là où ça fait mal et agrémente son raisonnement de quantités d’exemples issus de la publicité, du cinéma, de la littérature ou encore des magazines de mode et qui, mis bout à bout, donne une vision assez saisissante de cette aliénation féminine aux apparences. Toutes ces références lui permettent en effet de souligner à la fois l’emprise croissante de la mode, la publicité et la consommation sur la sphère culturelle, mais aussi de dénoncer leur promotion de valeurs toujours plus conservatrices. Un phénomène qui touche toutes les femmes et que l’essayiste américaine Susan Faludi a identifié comme le « backlash », le « retour de bâton ». Backlash qui rejaillit sur les petites filles, dont le conditionnement et la sexualisation perdurent et se font même de plus en plus précoces (les exemples sont nombreux et assez atterrants). Que se soit dans les jouets, les livres, les dessins animés ou les publicités, toutes sont exposées à l’idée que la maternité et la vie de famille sont des incontournables pour devenir une femme épanouie. Ce backlash touche aussi et surtout les femmes non blanches. En dépit d’une façade d’ode à la diversité, Mona Chollet constate en effet que le monde entier tend à uniformiser ses critères de beauté et a évidemment les piocher du côté des dominants : « On valorise et on recherche donc autant que possible la blancheur, la blondeur, la minceur et la jeunesse. » Or, si ces normes de beauté sont déjà inaccessibles à la plupart des femmes blanches, elles suscitent chez les femmes noires, arabes ou asiatiques un dégoût de leur physique encore plus grand. Loin d’être marginal, ce phénomène a, au contraire, tendance à se généraliser aujourd’hui, avec un net recul des mannequins noirs sur les podiums ou des mises en scène publicitaires véhiculant des clichés ouvertement racistes.

Le dictat du complexe « mode-beauté »

Aucune femme n’échappe en tout cas à l’idée que, pour être une « vraie » femme, il est impératif de prendre soin de son apparence et de respecter un certain nombre de règles qui nous sont rabâchées ad nauseam par la presse dite féminine, la publicité et plus largement la culture de masse. Mona Chollet revient dans son essai sur les méthodes employées par ce qu’elle appelle le « complexe mode beauté » pour imposer aux femmes leur dictat. Cela passe, notamment, par une volonté affichée de mettre sur le même plan la culture (moyen d’émancipation et de questionnement critique) et le marketing qui, au contraire, se caractérise par sa dimension simplificatrice, mensongère et infantilisante. La publicité n’est alors plus considérée comme un fléau que l’on subit mais une production culturelle à part entière (mystification rendue possible par la participation fréquente d’actrices réputées à ces entreprises publicitaires qui leur permet de s’imposer comme l’égérie de telle ou telle marque prestigieuse). Si l’essayiste aborde les luttes d’influence qui opposent culture et marketing, c’est parce qu’elles jouent selon elle sur les modèles d’identification qu’on donne aux femmes et surtout parce que cette offensive de la mode se double d’une offensive idéologique. « Déguisant l’agressivité commerciale en philanthropie, ou plus exactement en philogynie, elle véhicule le présupposé selon lequel les femmes occidentales, aujourd’hui, ont tout gagné. » Or, par le biais d’une multitudes d’exemples, l’autrice démontre bien que le principal rôle qu’on leur donne encore aujourd’hui se réduit à ceux de « simples vaches à lait ou de perroquets du complexe mode beauté. »

Injonction à la minceur et à la blancheur

L’autrice consacre aussi tout un chapitre à l’injonction de la minceur qui pourrit la vie des femmes au point de porter atteinte à leur santé mentale et physique. Elle dénonce le fait que, lorsqu’on tente de faire le lien entre l’anorexie et ces injonctions, « on est accusé de ramener une maladie sérieuse à un phénomène frivole, superficiel ». Or, pour elle, « l’anorexie ne constitue pas une rupture mais se situe au contraire dans la continuité de ce que vivent l’ensemble des femmes ». Elle explique que, si la mode, la publicité, le showbiz ont évidemment un rôle clé dans ce phénomène, il ne faut pas pour autant oublier qu’ils agissent plutôt comme une caisse de résonance : « ils captent la vision que la société se fait des femmes et l’amplifient en retour. » Or, être obsédée par son poids, enchaîner les régimes et révérer la minceur est un comportement féminin banal (si vous souhaitez lire une novella sur le sujet, je vous conseille le percutant « Re:start » de Katia Lanero Zamora). Mona Chollet s’appuie beaucoup dans ce chapitre sur le témoignage de Portia de Rossi, actrice révélée par la série Ally McBeal et qui a écrit un livre pour parler de ses années d’anorexie. Elle souligne le fait que le modèle qu’on propose aux femmes est inatteignable et cite Naomi Wolf pour qui « une fixation culturelle sur la minceur féminine n’est pas l’expression d’une obsession de la beauté féminine mais de l’obéissance féminine ». L’autrice pointe également du doigt l’hypocrisie qui veut que celles qui incarnent l’idéal féminin (actrices, chanteuses, égéries…) se soumettent à des pratiques délirantes tout en donnant l’illusion du naturel. Or, « ces impostures sont dévastatrices car elles repoussent encore les frontières de la normalité ». Depuis quelques années des critiques sont cependant plus nombreuses et prennent de l’ampleur sur internet, ce qui oblige le complexe mode-beauté à changer un peu son discours et à diversifier ses représentations (qui, si elles ne sont plus tout à fait invisibilisées, sont malgré tout toujours présentées comme non conformes à la norme). L’essayiste bat également en brèche l’argument qui veut que être mince et faire du sport à outrance serait bon pour la santé, l’obsession de la minceur poussant au contraire à ruiner sa santé et non à la préserver.

Dans « Beauté fatale », la journaliste et essayiste Mona Chollet interroge le rapport des femmes à la beauté et lève le voile sur la multitude d’injonctions qui pèsent sur nous toutes et nous poussent souvent à rétrécir notre imaginaire ou à malmener notre corps. L’essai est une charge assez virulente à destination de ce que l’autrice appelle le « complexe mode-beauté » et la masse d’exemples brassés ici et tirés de la publicité, de la presse, du cinéma ou encore des séries permet de prendre conscience de la nocivité de cette industrie pour les femmes en particulier, mais aussi pour la société dans son ensemble.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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