Fiction historique

Le chant des déesses, tome 3 : La dernière reine de Grèce

Titre : La dernière reine de Grèce
Cycle/Série : le chant des déesses, tome 3
Autrice : Claire North
Éditeur : Hauteville
Date de publication : 2025

Synopsis : Il est temps que les femmes d’Ithaque racontent leur histoire.
Le roi Ulysse est parti il y a vingt ans en guerre contre Troie, emmenant tous les hommes en âge de combattre. En son absence, son épouse Pénélope et les femmes d’Ithaque ont protégé l’île des prétendants et des rois rivaux. Enfin, Ulysse est de retour, mais il n’est pas le héros triomphant que Pénélope attendait. En revenant sur l’île déguisé en mendiant, il teste non seulement la fidélité de sa reine, mais prépare également une vengeance qui pourrait plonger Ithaque dans une guerre civile sanglante. L’heure est venue pour Pénélope de déployer une ultime fois toute sa ruse, pour triompher d’une guerre qui scellera le destin de l’île et pour sauver les siens, quoi qu’il en coûte.

Ulysse VS Pénélope

Cela fait un moment maintenant que Claire North s’est hissé dans le haut du classement de mes autrices préférées. Que se soit en fantasy, fantastique ou science-fiction, tous ses romans (ou presque) ont jusqu’à présent été des coups de cœur, à commencer par sa trilogie mythologique « Le chant des déesses » dont le dernier tome est paru cette année en France. Cette fois encore la narratrice change, Athéna succédant à Héra et Aphrodite pour relater l’histoire de Pénélope, reine d’Ithaque. Une reine dont le rôle se résume dans « L’Odyssée » à attendre, éplorée, le retour de son glorieux époux auquel elle restera fidèle jusqu’au bout. Modèle de vertu et de patience, Pénélope n’est d’ordinaire présente qu’en arrière plan et ne sert qu’à accroître le prestige d’Ulysse. Ce n’est évidemment pas le parti pris de Claire North qui signe ici une réinterprétation féministe de ce mythe en particulier, mais aussi finalement de la mythologie en général. Si les intrigues des deux premiers volumes s’écartaient par nécessité de la trame d’origine (puisque rien ou presque n’est mentionné concernant les nombreuses années où Pénélope a du gouverner l’île seule), celle du troisième tome renoue avec des événements avec lesquels les lecteurices férues de mythologie sont familiers [Attention, le reste du paragraphe contient quelques spoilers concernant les deux autres volumes] Après plus d’une décennie d’absence voilà donc l’heure du retour d’Ulysse. Un retour loin de ce que le héros de la guerre de Troie imaginait puisque, sans armée et sans marins, le roi d’Ithaque en est réduit à dissimuler son identité et à réfléchir à une ruse qui lui permettrait de récupérer sa place. La voie du sang et des armes semble évidemment la plus appropriée pour cet homme rescapé du plus grand carnage que la Grèce ait jamais connu. Ses projets, toutefois, ne sont pas du tout au goût de Pénélope pour qui le retour d’Ulysse n’est pas synonyme de sécurité mais au contraire d’une menace en passe de se concrétiser. Pour la reine d’Ithaque, deux questions primordiales se posent à présent : Comment éviter que cet île qu’elle a passé des années à protéger ne sombre dans la guerre civile ? Et peut-on réapprendre la soumission à des femmes qui ont lutté pendant si longtemps pour leur émancipation ?

Une relecture féministe et originale de la mythologie

Athéna fait une aussi bonne narratrice que ses homologues olympiennes. Comme chaque fois, Claire North entreprend de décortiquer toutes les histoires et les attributs en lien avec chaque divinité pour en proposer une analyse qui lui est propre. Dans le cas d’Athéna, l’autrice insiste évidemment sur l’ambivalence entre guerre et sagesse, ainsi que sur le rapport à la violence et aux émotions de la déesse. Le roman propose également une mise en abîme très intéressante concernant les ingrédients d’une bonne histoire, et la place marginale que les homme y font tenir aux femmes. Cet aspect en particulier est traité avec beaucoup de finesse dans le roman qui, tout en mettant en scène une histoire bien connue écrite à la gloire d’un homme, parvient malgré tout à faire de ce dernier un personnage secondaire au profit de celles qui sont d’ordinaire invisibles. Les servantes de Pénélope et les femmes d’Ithaque en général jouent par exemple un rôle déterminant et sont de véritables personnages à part entière, et non pas de simples figurantes. Le risque de ce troisième tome résidait dans la façon dont allait être représenté Ulysse et la façon dont l’autrice allait réussir à l’intégrer à ce récit sans éclipser Pénélope, mais sans non plus le faire passer pour une brute antipathique. La ligne de crête est étroite mais l’autrice évite tous les écueils, offrant un personnage ambivalent, à la fois conforme à l’image que l’on se fait de lui mais aussi complètement original dans sa capacité à prendre du recul sur le rôle décisif de sa femme dans son histoire. Ce troisième tome nous livre ainsi plusieurs scènes particulièrement émouvantes écrites dans un style qui me fait de plus en plus penser à celui de Guy Gavriel Kay, capable de bouleverser en maniant avec brio l’implicite et la symbolique. Pénélope, Clytemnestre, Electre, Hélène, Eos, Antonoe… toutes ces femmes magnifiquement campées me resteront longtemps dans la tête, chacune disposant enfin d’une histoire à sa mesure et de la place qui lui revient : non pas en marge du récit mais sur le devant de la scène.

Avec sa trilogie « Le chant des déesses », Claire North livre un vibrant hommage à toutes ces femmes, déesses, reines ou simples servantes, que les mythes ont complètement invisibilisées, caricaturées ou sous estimées. Sous la plume de Claire North, Pénélope perd ses allures de veuve éplorée face et silencieuse pour se métamorphoser en régente avisée, redoutablement intelligente et efficacement conseillée par toute une galerie de femmes fortes et attachantes. S’il devient aujourd’hui difficile de s’y retrouver dans tout le panel d’ouvrages de fiction consacrés à des héroïnes de la mythologie, vous pouvez ici vous laisser tenter les yeux fermés.

Voir aussi : Tome 1 ; Tome 2

Autres critiques : ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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