Science-Fiction

Défense d’extinction

Titre : Défense d’extinction
Auteur/Autrice : Ray Nayler
Éditeur : Le Bélial (collection Une Heure Lumière)
Date de publication : 2025 (mai)

Synopsis : D’ici un siècle, peut-être davantage. Au fin fond de la taïga russe, des milliers d’années après leur disparition, les mammouths foulent à nouveau la Terre… et meurent. Mais si le clonage d’ADN exhumé du permafrost dont ils sont issus garantit l’inné, il n’assure en rien l’acquis. Désarmés, sans le savoir et l’expérience des matriarches d’une génération antérieure inexistante, les géants dépérissent. Or, il existe peut-être une solution : Damira Khismatullina, éthologue de renommée mondiale, spécialiste des pachydermes qui a dédié sa vie à la défense des éléphants du continent africain — en vain. À cette nuance près que Damira a été assassinée par des braconniers il y a bien longtemps. Qu’à cela ne tienne : les scientifiques russes disposent d’un atout. Effrayant, terrible, résolument contre-nature…

Extinction d’une espèce… réapparition d’une autre

Damira est une ethnologue réputée et milite depuis des années au péril de sa vie pour protéger les derniers éléphants d’Afrique, massacrés à la pelle par des braconniers qui revendent leurs défenses à prix d’or à des collectionneurs fortunés. Cet engagement, la jeune femme le paiera de sa vie puisqu’elle sera assassinée, comme nombre de militants écologistes avant elle, par ceux qui pratiquent ce commerce illégal. Des décennies plus tard, les éléphants ont bel et bien disparus mais une poignée de leurs proches congénères ont fait leur apparition : des mammouths ! Clonés grâce aux traces d’ADN retrouvées dans le permafrost, les mammifères géants ont été rassemblés dans une réserve naturelle située en Sibérie. Mais l’expérience se révèle être moins concluante que prévue, car sans matriarche pour les guider et leur apprendre à se débrouiller en groupe, le troupeau périclite. Le scientifique à l’origine du projet décide alors de se lancer dans un projet fou. Un projet qui implique le clonage d’une certaine ethnologue morte des années auparavant mais ayant procédé à une sauvegarde de ses souvenirs et de sa personnalité. Le récit alterne entre le passé et le présent de Damira, et nous propose également de suivre deux groupes de chasseurs, l’un introduit clandestinement dans l’enclave, l’autre de manière toute à fait officielle. Les changements de points de vue sont fréquents ce que permet de dynamiser l’intrigue même si on peine dans un premier temps à comprendre le lien entre les différents protagonistes. Les pièces du puzzle s’assemblent toutefois assez vite et c’est avec beaucoup de plaisir qu’on assiste à l’emboîtement de tous ces morceaux d’intrigues jusqu’à former un tout cohérent.

L’humanité et son rapport à l’autre en question

Si la novella de Ray Nayler se révèle être une vraie réussite d’un point de vue narratif, elle a également le mérite de mettre sur le devant de la scène des thématiques passionnantes. Parmi elles, on peut évidemment citer la question du clonage, de ses limites et des questions éthiques qu’il pose. La novella comprend aussi et surtout une dimension écologique importante, l’auteur documentant sans fard la violence du braconnage et du sort réservé aux éléphants aujourd’hui encore sur le continent africain. Certaines scènes sont particulièrement difficiles à lire car elles font état de véritables boucheries orchestrées la plupart du temps par des braconniers, mais aussi par des chasseurs. L’auteur insiste d’ailleurs bien sur le fait que, si certains se parent d’une intention plus noble en cherchant à auréoler l’acte de mise à mort d’une dimension philosophique ou spirituelle, la logique mortifère reste la même, la seule différence résidant finalement dans le fait que les seconds disposent de moyens financiers conséquents quand les premiers sont de simples pions du système. Subtilement, le sujet incite Ray Nayler à questionner notre modèle économique mais aussi nos politiques en terme de sauvegarde de la biodiversité en général, et des éléphants en particulier. Car à quoi bon financer la désextinction et redonner vie aux géants préhistoriques si c’est pour, au final, les assimiler à nouveau à des proies et des sources de profil ? L’empathie des lecteurices pour l’un et l’autre de ces pachydermes est d’autant plus grande que l’auteur a visiblement pris le temps de se documenter sur leurs modes de sociabilisation ou leurs émotions, si bien que, loin d’être réduits au rôle de figurants ou de décor, ces derniers acquièrent comme il se doit le rôle de véritables protagonistes de l’histoire.

Avec « Défense d’extinction », Ray Nayler signe une novella puissante qui questionne intelligemment certaines innovations scientifiques (clonage et désextinction) tout en alertant sur les ravages du braconnage des éléphants. Bien rythmé et bien construit, le récit séduit aussi bien par son sens de la narration que par la qualité de ses personnages, qu’ils soient humains ou pas tout à fait.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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