Fantasy

Une valse pour les grotesques

Titre : Une valse pour les grotesques
Auteur/Autrice : Guillaume Chamanadjian
Éditeur : Aux forges de Vulcain
Date de publication : 2024 (septembre)

Synopsis : Johann von Capriccio est un jeune étudiant en obstétrique et ciroplaste de talent à l’université de Schattengau, ville fondée par le savant-astrologue Mirabile. Étudiants et habitants la font vivre sous le patronage des grotesques, statues de pierre représentant des créatures des folklores européens. Les mannequins anatomiques de Johann attirent un jour l’attention de Catherine von Grunewald, femme du margrave. Celle-ci le fait convoquer afin de lui montrer l’enfant dont elle a accouché quelques mois auparavant dans le plus grand secret. Cornes, queue, sabots de bouc : l’enfant est un faune. En compagnie d’une mercenaire et de l’héritière de Mirabile, Johann va tenter de comprendre les mystères de Schattengau, ville où l’art et la science prennent vie à l’insu des habitants.

Après Gemina, découvrez Schattengau

En 2021, Guillaume Chamanadjian faisait une entrée fracassante sur la scène de l’imaginaire français avec le premier tome de « Capitale du sud », une trilogie s’insérant dans le cycle plus vaste de « La Tour de Garde » écrit conjointement avec l’autrice Claire Duvivier. Le voilà de retour en cette fin d’année avec un nouveau roman, un one-shot, qui fleurte habilement avec l’uchronie et dans lequel on retrouve avec plaisir la patte et les thématiques chères à l’auteur. Tout commence avec un étudiant obstétricien, Johann, en passe d’obtenir son diplôme et déjà réputé pour ses talents de ciroplaste (il façonne des mannequins de cire pour lesquels il reproduit le plus fidèlement possible tous les organes du corps humain). Sa vie tranquille va toutefois être balayée lorsque Catherine Von Grunewald, femme du margrave, le convoque pour le charger d’enquêter sur la curieuse nature de son fils dont la naissance a été passée sous silence. Et pour cause, puisque le nourrisson possède tous les attributs non pas d’un bébé ordinaire mais d’un faune, la créature mythique aux cornes et pattes de bouc. On suit également le parcours de Sofia, jeune mercenaire en quête de vengeance pour le meurtre de sa famille, mais aussi celui de Renata, dame de compagnie à la cour et apprentie de Mirabile, principale conseillère du magrave de la ville de Schattengau. Ville qui, comme celle de Gemina dans « Capitale du Sud » constitue un véritable personnage à part entière. Célèbre pour son université ainsi que pour la place prépondérante qu’elle accorde aux sciences et à l’art, Schattengau est une cité foisonnante réputée, entre autre, pour ses grotesques (statues aux faciès ou à la posture étonnante éparpillées dans toute la ville). C’est aussi une cité qu’on ne trouve sur aucune carte, bien que la famille à sa tête soit bien décidée à renforcer son pouvoir en s’immisçant un peu plus dans les affaires de cette Europe du tout début du XIXe. Enfin, c’est aussi une cité où l’histoire de l’Europe telle qu’on la connaît ne semble justement pas avoir suivi le même cours que celui de nos manuels.

Un talent de conteur toujours aussi efficace

Difficile de ne pas établir de parallèle entre ce roman et le précédent avec lequel « Une valse pour les grotesques » possède beaucoup de points communs. Parmi eux, on peut notamment citer la qualité de l’immersion proposée par Chamanadjian qui nous plonge avec son talent de conteur habituel dans cette ville étrange qu’on prend beaucoup plaisir à arpenter et dont on se familiarise peu à peu avec l’histoire, le fonctionnement, et surtout les secrets. Autre similarité, et non des moindres : la place prépondérante accordée à la thématique de la puissance évocatrice de l’art. Déjà, dans « Les contes suspendus », l’auteur insistait sur le pouvoir que peut acquérir un récit, notamment un récit commun fondateur. Le sujet est encore une fois au coeur de l’intrigue dont une grande partie du sel repose justement sur la nature de cette ville de Schattengau et celles de ces créatures fantasmagoriques qui en sont devenues l’emblème. On se prend vite à ce jeu habilement élaboré consistant à faire la part entre réalité et fantasy, d’autant que l’auteur agrémente son récit de nombreuses références littéraires plus ou moins appuyées (la plus évidente étant évidemment celle à l’œuvre emblématique de Mary Shelley). Mais la littérature n’est pas la seule à être célébrée ici, les personnages manifestant une sensibilité particulière à d’autres types d’art tels que la musique, la peinture ou encore la danse. Leur passion se révèle communicative et donne lieu à de très beaux moments, l’auteur étant aussi à l’aise pour convoquer l’émotion suscitée par un morceau de musique que par une toile de maître ou une chorégraphie savamment orchestrée. Cette capacité de parvenir à faire appel à tous les sens des lecteurices n’est pas nouvelle puisque, là encore, il s’agissait d’un des aspects qui faisait le charme des aventures de Nox dans la précédente œuvre de l’auteur, et il est heureux de constater que Chamanadjian n’a pas perdu la main.

Un trio de personnages attachant

Si le roman accorde beaucoup d’importance à la ville de Schattengau et aux réflexions presque philosophiques sur l’art et la création, cela ne l’empêche pas d’être aussi bourré d’action. Le récit est aussi, et presque avant tout, un roman d’aventure, avec de nombreux rebondissements, des personnages haut-en-couleur et des révélations surprenantes à la pelle. Le rythme n’est toutefois pas toujours très régulier, et ce notamment en raison de la construction narrative du récit. L’auteur a en effet opté pour une narration pas tout à fait linéaire, avec des interludes venant couper l’histoire principale sans qu’on ne comprenne tout de suite leur lien avec cette dernière ou leur place dans la chronologie. Ce défaut mis à part, on passe un bon moment en compagnie de trois personnages attachants et jamais caricaturaux. L’auteur choisit là encore de mêler des intrigues de cour impliquant des puissants à la vie de gens plus ordinaires qui se retrouvent entraînés malgré eux dans des affaires qui, au premier abord, ne les concernent pas et les dépassent. En ce qui me concerne, j’ai particulièrement apprécié la façon dont l’auteur a écrit les relations entre ses personnages qui ne tombent heureusement pas dans le cliché romantique pourtant traditionnel dans ce genre de récit. Les personnages féminins sont ainsi bien travaillés et convaincants chacun à leur manière, Sofia et Renata ne possédant pas grand-chose en commun en terme de caractère.

Dans « Une valse pour les grotesques », Guillaume Chamanadjian met en scène une ville fictive mais néanmoins ancrée dans le contexte géopolitique de l’Europe du XIXe et dont la survie dépend d’un apprenti médecin, d’une mercenaire et d’une conseillère à la cour. Si le récit s’essouffle parfois, on prend néanmoins beaucoup de plaisir à suivre les pérégrinations des protagonistes ainsi qu ‘à arpenter cette ville surprenante, d’autant plus que l’auteur nous réserve de beaux moments d’émotions et rend un bel hommage à l’art sous toutes ses formes.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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