Science-Fiction

L’homme superflu

Titre : L’homme superflu
Auteur/Autrice : Mary Robinette Kowal
Éditeur : Denoël
Date de publication : 2024 (février)

Synopsis : Lorsque Tesla Crane, richissime et très célèbre inventrice, embarque sous un faux nom à bord d’un vaisseau de croisière entre la Lune et Mars pour célébrer sa lune de miel, elle est loin de se douter qu’un meurtre va être commis pendant le voyage. Et encore moins que c’est Shal, son tout aussi fortuné et illustre époux, qui va en être accusé par le service de sécurité. Armée d’un verre de martini et de son humour caustique, aidée de son adorable chien, Gimlet, et de Fantine, son intraitable avocate restée sur Terre, Tesla va tout faire pour innocenter Shal, mettre hors d’état de nuire le criminel et, enfin, reprendre le cours plus ou moins tranquille de son voyage de noces.

Vaisseau spatial, meurtres et cocktails

Mary Robinette Kowal est une autrice qui a fait une entrée fracassante sur la scène des littératures de l’imaginaire françaises en 2020 avec sa série « Lady astronaute ». Elle y mettait alors en scène un monde uchronique dans lequel la conquête spatiale a eu lieu plusieurs décennies pus tôt et où une poignée de femmes ont lutté pour tenter d’en faire partie. S’il se déroule lui aussi dans l’espace, « L’homme superflu » est un roman beaucoup plus léger qui mêle astucieusement SF et huis-clos policier. Quand Agatha Christie optait pour le bateau de croisière ou le train, Mary Robinette Kowal, elle, choisit de mettre en scène une série de meurtres dans un vaisseau de croisière en route pour Mars. A son bord, Tesla Crane, milliardaire et inventrice de génie qui a embarqué incognito afin de célébrer son voyage de noces avec Shal, détective désormais rangé avec qui elle file le parfait amour. Le calme des premiers jours laisse cependant la place à une succession de péripéties aux conséquences de plus en plus désastreuses pour le couple. Car non seulement un meurtre a été commis, mais en plus le mari de l’héroïne, arrivé le premier sur les lieux, est accusé du crime par les services de sécurité qui entendent bien le garder en détention. Tesla Crane n’est toutefois pas le genre de femme à se laisser marcher sur les pieds. A l’aide d’un bon cocktail, d’une volonté implacable, et d’une avocate redoutable capable de varier les insultes avec un talent certain, la milliardaire va remuer ciel et terre pour innocenter son compagnon, quitte pour cela à mener l’enquête elle-même. On retrouve ici les caractéristiques classiques d’un huis-clos, et notamment toute une galerie de personnages qu’on envisage forcément à un moment ou un autre comme suspects, et dont on prend plaisir à découvrir les petits secrets plus ou moins avouables. De ce point de vue, le roman est une vraie réussite et parvient à nous maintenir en haleine jusqu’à la conclusion qui propose une résolution cohérente avec suffisamment de ce qu’il faut d’inattendu pour qu’on soit à la fois surpris et satisfait.

Une héroïne qui ne manque pas de mordant

La véritable originalité du roman ne réside donc pas dans le choix de l’intrigue mais bien dans le ton employé par Mary Robinette Kowal pour la mettre en scène. Un ton mordant, souvent drôle, avec des répliques qui claquent et des joutes verbales pleines de tension. Ce petit côté piquant vient principalement de la personnalité de Tesla Crane qui m’a d’ailleurs beaucoup fait penser à l’héroïne de « Sur la Lune » avec laquelle elle partage effectivement pas mal de points communs, à commencer par son statut social. Parce que oui, mettre en scène une milliardaire ça n’est évidemment pas anodin : on a affaire ici à une femme qui a l’habitude d’être en position de pouvoir, et ne se laisse donc jamais marcher sur les pieds, mais aussi une femme qui dispose de ressources matérielles presque inépuisables, autant d’aspects qui vont tout de même grandement faciliter ses investigations. L’arrogance et le privilège ne sont toutefois que rarement efficaces pour faciliter l’identification des lecteurices aux personnages, aussi l’autrice mise-t-elle sur deux éléments pour faire naître l’affection : l’humour et la vulnérabilité. Tesla Crane est en effet parfaitement conscience des privilèges qu’implique sa position sociale et, si elle n’hésite pas à en jouer, elle ne se prive pas non plus de souligner les contradictions que cela engendre. Elle est également dotée d’un sacré sens de la répartie, notamment lorsqu’elle est confrontée à des remarques sexistes, ce qui contribue là encore à la rendre sympathique. Sympathie d’autant plus renforcée que la puissante milliardaire s’avère en réalité incroyablement vulnérable physiquement en raison d’un accident ayant profondément marqué son corps comme son esprit. Tesla souffre en effet de douleurs permanentes uniquement atténuées grâce à un régulateur cérébral et par le secours de sa chienne d’assistance.

Prises de position et bémols

Cet aspect en particulier de l’intrigue est loin d’être anecdotique et occupe une place importante dans le récit qui se focalise beaucoup sur l’intensité des douleurs ressenties et sur la façon dont ce handicap conditionne tout le quotidien de l’héroïne qui doit notamment tout anticiper, y compris des actes aussi anodins que se déplacer ou s’asseoir. Les notes scientifiques qui accompagnent le roman témoignent du fait que l’autrice a bel et bien pris le sujet au sérieux et s’est documentée dessus. Tout cela est très intéressant même si j’ai été très (très !) vite saoulée par la manière dont les personnages s’extasient niaisement et à répétition devant la chienne en question, babillant ad nauseum des phrases plus creuses les unes que les autres. Au bout de la quinzième scène de ce type, on se lasse. Et puis ça donne aux personnages un côté un peu superficiel qui n’est malheureusement que rarement contredit par la suite, ces derniers étant rapidement caractérisés et ne bénéficiant donc pas d’une personnalité très profonde (ce qui n’est pas forcément grave non plus, dans la mesure où ils n’interviennent majoritairement qu’en tant que potentiels suspects). Parmi les points forts du roman, on peut enfin mentionner la vision progressiste du futur proposé par l’autrice puisque, outre le fait qu’elle dénonce régulièrement le sexisme auquel se trouvent confrontées ses héroïnes, cette dernière n’hésite pas non plus à questionner subtilement les normes de genre.

Avec « L’homme superflu », Mary Robinette Kowal signe un bon roman, plutôt léger, mêlant habilement polar et science-fiction. Reprenant tous les codes du huis-clos à la Agatha Christie, l’autrice agrémente le tout en y rajoutant un soupçon d’humour mordant et une pincée de réflexion féminisme, deux ingrédients qui pimentent agréablement l’intrigue et nous font passer un bon moment.

Autres critiques : Le nocher des livres

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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