Soif de sang
Titre : Soif de sang
Auteur/Autrice : Rivers Solomon
Éditeur : Aux forges de Vulcain
Date de publication : 2024
Synopsis : La colère est une énergie. Une jeune femme, esclave dans le Sud, s’aperçoit qu’il lui est possible, en un instant, de se libérer, de tout changer, de se donner une nouvelle vie. Elle bondit sur cette occasion, férocement, intensément, et les conséquences de ce geste se feront sentir jusque dans le monde des esprits. Dans cette histoire, l’auteurice se confronte, pour la première fois de manière directe et intime, à la question raciale et le passé esclavagiste des États-Unis, dans un hommage à Beloved de Toni Morrison. Ce volume recueille huit nouvelles de Rivers Solomon, textes inédits en français parus dans divers périodiques anglophones, dont la revue Black Warrior et le projet Decameron du New York Times.
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Revenir sur le traumatisme de l’esclavage
Autrice américaine noire et non binaire atteinte de troubles mentaux, Rivers Solomon nous livre un regard original qui tranche assez radicalement avec ce qu’on a l’habitude de lire en SF. La question du racisme, aussi bien que celles du sexisme ou des normes de genre, sont au cœur de son œuvre qui compte aujourd’hui trois romans publiés en France. A « L’incivilité des fantômes » (superbe !), « Abysses » (moins enthousiasmant) et « Sorrowland » (intéressant) vient aujourd’hui s’ajouter un recueil de huit textes et nouvelles écrits par l’autrice, aussi bien des fictions que des réflexions sur son propre passé, ses traumatismes et, de façon étroitement liée, les thématiques qui lui sont chères. Le récit le plus conséquent (et celui qui donne son nom au recueil) a déjà été publié en France dans l’anthologie éditée en 2022 à l’occasion du festival des Imaginales d’Epinal et consacrée à l’afro futurisme. Il met en scène une jeune esclave noire qui, après avoir tué ses maîtres, donne littéralement naissance à une multitude d’esprits avec lesquels elle partage une histoire commune. Tout comme dans « Abysses », le traumatisme et la violence de l’esclavage se trouvent au cœur de ce texte assez rude qui adopte un angle original permettant de souligner l’ampleur des souffrances engendrées par le système esclavagiste, tout en dotant l’héroïne d’un pouvoir immense et porteur d’espoir. Suivent deux textes dans lesquels l’autrice revient sur son parcours et nous livre sa réflexion sur la manière dont les textes de SF qu’elle a pu lire l’ont marqué, positivement ou pas. Dans « Des réceptacles damnés et abîmés », Rivers Solomons s’attarde surtout sur la représentation du corps des femmes noires dans les œuvres relevant de l’imaginaire (qu’elles soient cinématographiques ou littéraires), mais aussi sur la représentation de la maternité et de la famille noire. Dans « La fureur d’une femme noire », elle se livre sur ses troubles mentaux et souligne à quel point les femmes noires sont exposées aux maladies mentales en raison de leur surexposition aux violences sexistes et sexuelles. Deux textes intéressants qui font entendre un point de vue et des problématiques sur lesquelles on ne se penche encore que trop peu.
Dénoncer les violences sur les corps noirs
Le recueil se poursuit avec cinq nouvelles relativement courtes qui se déroulent dans des contextes différents mais ont toutes pour particularité de reprendre les mêmes thèmes : une relation mère-fille, un questionnement sur les normes de genre, une insistance sur l’expérience particulière vécue par les femmes noires, et notamment la violence qu’elles subissent et les conséquences que cela peut avoir sur leur corps ou leur santé mentale. Tous ces textes ont également en commun de posséder une grande sensibilité. On sent que l’autrice a écrit ses textes à vif tant les émotions qu’ils dépeignent sont nombreuses, entremêlées et parfois même difficiles à interpréter. Tous sont toutefois d’un niveau très variables, certains se révélant bien trop courts pour pouvoir mettre en place une ambiance ou une intrigue très sophistiquées, ni même des personnages auxquels on peut s’attacher. C’est le cas de « Flux » mettant en scène un futur dans lequel des implants permettent de se connecter à loisir avec le reste du monde pour partager ses sensations, ou encore de « Certains d’entre nous sont des pamplemousses » qu’on peut assimiler à une reprise du mythe du vampire. L’intrigue n’est pas forcément plus élaborée dans « Avant d’être avalée », mais au moins les personnages sont plus fouillés et on s’attache sans mal à ce duo mère-fille qui, avec beaucoup d’amour et de tendresse, tente de surmonter un traumatisme lié à des violences subies dans l’enfance. « En appuyant sur la détente » est le deuxième texte le plus long après « Soif de sang » et on retrouve une relation mère-fille puisque la nouvelle est consacrée aux retrouvailles entre une femme ayant abandonné son bébé à la naissance, et ce dernier, devenu une femme trans. Idem dans la dernière nouvelle, « De la prudence des jeunes filles », qui met en scène une jeune fille ayant échafaudé un plan pour faire sortir sa mère de prison. L’intrigue est sans doute la mieux construite et, en dépit de sa brièveté, il s’agit sans aucun doute de la nouvelle que j’ai préféré de tout le recueil.
« Soif de sang » est un recueil de nouvelles courtes mais intenses qui donnent une bonne idée du style de Rivers Solomon et de ses thèmes de prédilection : le poids des souffrances liées à l’enfance ou à une histoire traumatique commune, les violences subies par les femmes en général, et les femmes noires en particulier, ou encore le rapport au corps et au genre. Bien que ces thématiques soient extrêmement récurrentes, leur traitement s’avère suffisamment varié et original pour ne pas lasser le lecteur. Tous les textes sont loin d’être marquants mais, par la palette d’émotions qu’ils font naître, et surtout par la volonté de l’autrice de donner vie et voix à des personnes d’ordinaire complètement invisibilisées, ils recèlent une puissance qui, si elle ne séduit pas forcément, ne laisse en tout cas pas indifférent.
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