Mégapoles, tome 2 : Némésis de la cité
Titre : Némésis de la cité
Cycle/Série : Mégapoles, tome 2
Auteur : N. K. Jemisin
Éditeur : Nouveaux Millénaires
Date de publication : 2023 (mai)
Synopsis : Toutes les grandes villes ont une âme, incarnée par un avatar humain, un gardien doté de pouvoirs immenses. New York, elle, en a six : Brooklyn, Manny, Bronca, Venezia, Padmini et Niik. Bien qu’ils aient temporairement réussi à empêcher la Dame Blanche d’envahir la ville, la mystérieuse Ennemie a d’autres tours dans son sac. Un nouveau candidat à la mairie, qui brandit la rhétorique populiste de la xénophobie, pourrait bien réussir à changer la nature même de New York. Pour le vaincre, ainsi que l’Ennemie qui tient les cordons de sa bourse, les avatars doivent s’unir aux autres mégapoles du monde afin de protéger leur univers – et tous les autres – d’une destruction totale.
Elle empoigne maladroitement son téléphone pour envoyer un texto aux autres. Impossible. Ses doigts moites dérapent sur les touches virtuelles. Elle finit donc par activer la reconnaissance vocale et par l’annoncer à voix haute :
-Salut, les amis. Euh, bon, on va tous mourir. Je me suis dit qu’il fallait vous prévenir.
New-York au secours du monde !
Deux ans après la parution de « Genèse de la cité », N. K. Jemisin revient avec un deuxième volume qui clôture « Mégapoles », série pourtant conçue à l’origine comme une trilogie. L’autrice confesse dans ses remerciements avoir eu beaucoup de mal à écrire cette suite et fin, son inspiration ayant été asséchée à la fois par l’épidémie de Covid mais aussi par les bouleversements liés à la politique américaine (et notamment l’ascension de Trump). Difficile heureusement de déceler ce petit coup de mou à l’écrit puisque ce deuxième volume se révèle aussi réussi que le premier et propose une conclusion satisfaisante à la série. Celle-ci repose sur un pitch simple mais efficace : certaines cités parmi les plus anciennes ou les plus emblématiques du monde se matérialisent concrètement depuis toujours en des avatars humains qui incarnent (littéralement) la ville dont ils sont issus. Parfois, l’âme de la cité s’avère tellement lourde à porter que plusieurs individus sont choisis pour l’incarner. C’est le cas de New York qui vient tout juste de naître et qui s’est dotée de six avatars : un « premier » et six autres représentants ses principaux arrondissements, à savoir Manhattan, Queens, Bronx, Brooklyn, New Jersey et Staten Island. Le problème, c’est que la naissance de cette cité en particulier a été compliquée par l’apparition d’un monstre à tentacule version Cthulhu, lui-même contrôlé par une entité surnommée « la femme blanche ». Originaire d’un autre univers, cette dernière a pour objectif d’empêcher le réveil de toute nouvelle ville et, à terme, de détruire tous les avatars de celles déjà nées. New York est passé très près du désastre et, après avoir pris contact avec d’autres avatars, il semblerait qu’elle ne soit pas la seule à avoir subi ce type d’assaut. Déterminés à sauver leur cité, nos héroïnes et héros se lancent alors dans une quête désespérée pour obtenir le soutien des cités afin de contrer les manigances de leur adversaire. Tous ont toutefois leur propre vie à mener en parallèle de cette lutte cosmique, l’un se morfondant sur un amour impossible, l’autre cherchant désespéramment à ne pas se faire expulser du territoire par la police de l’immigration, tandis qu’une autre encore entreprend de contrer l’influence d’un candidat à la mairie particulièrement populaire et prônant le suprématisme blanc, ce qui n’est pas sans compliquer leur tâche.
Un diptyque engagé
On retrouve dans ce deuxième volume tout ce qui faisait déjà le charme du premier, à commencer par une intrigue bien ficelée et menée tambour battant. Peut-être est-ce lié au fait d’avoir fait passer la série d’une trilogie à un diptyque, toujours est-il que le rythme y est très soutenu, les rebondissements et scènes d’action s’enchaînant à une vitesse telle qu’on ne s’ennuie pas une seconde. Cela va même un peu trop vite parfois, certains protagonistes se retrouvant clairement sur le banc de touche comme Bronca (Bronx) et Venezia (New Jersey) qui ne jouent ici plus qu’un rôle mineur. On peut toutefois saluer la volonté de l’autrice de mettre en scène des personnages qui sortent des normes habituelles puisque la grande majorité des personnages sont des femmes, ou bien sont racisés, ou bien sont homosexuels. Cette grande diversité de profils, corps, parcours et représentations fait l’effet d’une grande bouffée d’air frais et permet à l’autrice d’aborder de nombreux sujets, à commencer par celui du racisme qui gangrène la société américaine. L’œuvre de N. K. Jemisin possède ainsi une dimension éminemment politique et s’attaquent aux représentations erronées que peut avoir l’Américain moyen des états du Sud de la ville de New York et de ses habitants. L’idéologie suprémaciste blanche et la nécessité de lutter contre ce discours occupe une place centrale dans le récit puisqu’il se manifeste à la fois par le biais de la campagne menée par ce candidat raciste concourant pour la mairie et n’hésitant pas à faire appel à des groupuscules d’extrême-droite violents, mais aussi par celui de la dame-blanche dont les bonnes manières et le discours policé cache en réalité une vision de la société délétère. La lutte que mènent les avatars contre cette entité surnaturelle est ainsi avant tout politique, ce qui permet à l’autrice d’aborder des problèmes concrets rencontrés par la cité, qu’il s’agisse de la transformation progressive de la police en une milice gangrenée par l’extrême-droite, des méthodes douteuses employées par les services de l’immigration, ou encore de celle des entreprises qui tirent profit de personnes en quête de visa pour leurs imposer des conditions de travail infernales.
New-York comme si vous y étiez !
Les personnages, eux, sont évidemment à l’image du cadre dans lequel ils évoluent puisqu’ils sont censés représenter l’essence même de la ville. Tous possèdent une personnalité intéressante et usent d’un vocabulaire et d’un registre de langue qui peut varier mais qui se caractérise toujours par une certaine familiarité et surtout une grande spontanéité. Pas question pour l’autrice de mettre en scène des sortes de super-héros et héroïnes sûr.es d’eux/elles et invincibles. En dépit des grands pouvoirs qui sont désormais les leurs, les avatars de New-York ont gardé le côté « monsieur et madame tout le monde » du premier tome, ce qui rend si aisé de s’identifier à eux. Enfin, l’ouvrage se veut évidemment une véritable déclaration d’amour à la ville de New York de la part de N. K. Jemisin qui tente ici de communiquer à ces lecteurs l’atmosphère et l’énergie régnant dans la cité. Spécialités culinaires, ambiances par quartiers, évolution de la politique d’urbanisme, variété des transports avec les spécificités de chacun, diversité de la population, traditions partagées par les habitants… : le New York dépeint ici n’a rien d’un décor de carte postal et ne se focalise pas sur les grands monuments à la manière d’un banal guide touristique. Ce que nous propose N. K. Jemisin tient plutôt de la véritable immersion dans le quotidien d’une ville fascinante par son multiculturalisme et l’énergie qu’elle dégage. Bien que la cité soit parfois un peu trop idéalisée et essentialisée, l’humour qui imprègne l’œuvre permet heureusement à l’autrice de prendre régulièrement un peu de distance et de se moquer gentiment des attitudes ou des réflexes new-yorkais.
« Némésis de la cité » met un terme à la série « Mégapoles », devenue par la force des choses un diptyque et non une trilogie, ce qui n’empêche par N. K. Jemisin de donner une conclusion satisfaisante à son histoire. Basé sur un pitch original reposant sur l’incarnation de l’âme d’une cité dans le corps de simples humains devenus ses avatars, l’ouvrage se distingue par la diversité des profils de personnages qu’il met en scène, ainsi que par sa dimension résolument politique. C’est aussi un roman bourré d’action, plein d’humour et porté par des protagonistes attachants car ordinaires, en dépit des énormes pouvoirs qui sont les leurs, ce qui explique sans doute pourquoi on s’y identifie aussi aisément. A lire !
Voir aussi : Tome 1
Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Le nocher des livres