Le chevalier aux épines, tome 2 : Le conte de l’assassin
Titre : Le conte de l’assassin
Cycle/Série : Le chevalier aux épines, tome 2
Auteur : Jean-Philippe Jaworski
Éditeur : Les Moutons Électriques
Date de publication : 2023 (mai)
Synopsis : Au cours du tournoi de Lyndinas, l’épreuve de force s’est envenimée entre la noblesse restée loyale au duc Ganelon de Bromael et les chevaliers qui ont pris fait et cause pour son épouse répudiée. Des manigances étrangères ont contribué à jeter de l’huile sur le feu… Car quels sont les intérêts la République de Ciudalia au sein du duché ? Pourquoi appuyer les ambitions militaires du duc contre l’Ouromagne ? Quelle est la réelle mission de l’ambassade envoyée à la cour ducale par le podestat Leonide Ducatore ? Certains des émissaires ne sont-ils pas de réputation douteuse ? Il semble qu’un assassin de la Guilde des Chuchoteurs ait réussi à s’infiltrer parmi eux… Quels ordres criminels sera-t-il amené à exécuter au sein de la noblesse bromalloise, et à quelles fins ?
-En sommes, gentes dames, votre coeur penche davantage pour le spadassin mal élevé que pour la fine fleur de la noblesse.
-En amour comme à la guerre, tous les coups sont permis.
Du grabuge en Bromael
Le début de l’année 2023 avait marqué le retour attendu sur la scène littéraire française de Jean-Philippe Jaworski et surtout celui de son univers de prédilection, le Vieux Royaume, déjà mis en scène dans « Gagner la guerre » mais aussi dans plusieurs nouvelles dont la plupart éditées dans « Janua Vera ». Après Benvenuto, héros emblématique de la nouvelle « Mauvaise donne », devenu ensuite protagoniste de son roman à succès, c’est au tour du chevalier de Vaumacel d’être mis à l’honneur, lui-même déjà introduit auprès des lecteurs par une autre nouvelle (« Au service de ces dames »). Le chevalier aux épines, ainsi qu’on le surnomme, se voit ainsi consacrer rien de moins qu’une trilogie dont le rythme de parution se révèle particulièrement confortable puisque les trois tomes seront disponibles en l’espace d’un an seulement, le dernier volume (« Le débat des dames ») étant d’ores et déjà annoncé pour janvier 2024. « Le tournoi des preux », le premier opus, c’était révélé parfaitement conforme à ce qu’on pouvait s’attendre de la part d’un auteur du talent de Jaworski. L’auteur nous y invitait à plonger dans les méandres de la politique du duché de Bromael en proie à de nombreux troubles laissant planer la possibilité aussi bien d’une guerre extérieure contre leurs remuants voisins d’Ouromagne que d’une guerre civile opposant deux camps issus de la fine fleur de la chevalerie locale. La cause de ces bouleversements ? L’honneur d’une dame, et pas n’importe laquelle : dame Audélarde, ancienne duchesse de Bromael désormais recluse après avoir été accusée d’adultère, et remplacée par une certaine Clarissima Ducatore. Et oui, le monde est petit, aussi retrouve-t-on dans ce deuxième volume une partie des personnages marquants de « Gagner la guerre » originaires de la République de Ciudalia, à commencer par Benvenuto lui-même, ainsi que son redoutable employeur et désormais maître incontesté de la cité, le podestat Léonide Ducatore.
Un changement de narration inattendu
Le premier et le deuxième volume de la trilogie du chevalier aux épines n’auraient ainsi pas pu être plus dissemblables, quant bien même ils semblent voués à servir la même histoire. « Le tournoi des preux » nous était narré à posteriori par un mystérieux narrateur à propos duquel l’auteur se montrait pour le moins sibyllin, et qui s’attachait à suivre les pas du chevalier de Vaumacel. D’abord dans une quête étrange pour retrouver des enfants disparus, puis dans sa tentative de racheter son absence au procès d’Audéarde (il est le fameux chevalier avec lequel elle est soupçonnée d’avoir commis l’adultère) en se liant à l’un de ses plus fidèle partisan, son fils Blancandin. Ce dernier est en effet à l’origine d’une proposition insolite visant à remettre en jeu l’honneur de sa mère lors d’un tournoi organisé par son père, l’actuel duc, et auquel le chevalier aux épines a promis de participer. On connaît l’attrait de l’auteur pour les jeux littéraires ainsi que l’agilité de sa plume, aussi n’était-on guère surpris de le voir reprendre pour l’occasion tous les codes du roman courtois des XIe-XIIe siècles Le style y était soutenu, et la narration accordait une grande importance aux enjeux d’honneur, de courtoisie, et surtout d’amour unissant chevaliers et belles dames. « Le conte de l’assassin » n’a strictement rien à voir. Et pour cause, puisque la narration est cette fois confiée à un vieux briscard à qui on ne l’a fait pas : Benvenuto en personne. On retrouve donc ici le protagoniste de « Gagner la guerre », brièvement croisé dans le premier volume, désormais au cœur de l’action. L’histoire étant désormais narrée de son point de vue, le chevalier de Vaumacel s’en retrouve occulté, quand bien même les deux personnages se croisent à une ou deux reprises, de même que la plupart des protagonistes du premier tome. La transition est, il faut l’avouer, quelque peu déstabilisante, au point qu’on a presque l’impression d’avoir à faire à deux romans n’appartenant pas à la même série, ou écrits par deux auteurs distincts. Et puis, très vite, on se laisse prendre à nouveau au charme de la plume de l’auteur et on savoure le plaisir de retrouver cette canaille de Benvenuto.
Le style Benvenuto
Le voilà donc, lui aussi, entraîné malgré-lui dans les tourments qui agitent le duché de Bromael, désormais très proche allié de la République de Ciudalia comme en témoigne le mariage de la file du podestat avec le duc, mais aussi la substantielle aide financière et militaire accordée en vue d’une prochaine offensive contre l’Ouromagne. Offensive vitale pour les plans de Leonide Ducatore, mais désormais menacée par les divisions internes au sein de la noblesse de Bromael. La mission de Benvenuto est donc relativement simple : s’assurer que les intérêts ciudaliens sont préservés, et, pour se faire, s’assurer que l’or promis arrive à destination, et se rapprocher de Clarissima afin de s’assurer qu’elle ne complote pas, par rancœur, dans le dos de son père avec les ennemis de la République. La rébellion des fils du duc apparaît très vite comme un obstacle mineur parmi de nombreux autres, le plus grand résidant certainement dans la détestation profonde (et méritée) que porte la nouvelle duchesse au spadassin. On retrouve avec plaisir la gouaille propre à l’assassin qui n’a rien perdu de sa roublardise et ne possède visiblement toujours aucune morale. Benventuo est ainsi un personnage particulièrement ambivalent, puisqu’on ne peut s’empêcher d’apprécier l’histoire qu’il nous raconte, tout en le trouvant, lui, parfaitement abjecte. Le mercenaire n’hésite en effet pas à se livrer aux pires exactions pour mener à bien sa mission, multipliant les meurtres, les insultes homophobes, et portant un regard glaçant et gluant sur la gente féminine. Rien que la façon dont il a d’euphémiser en permanence le viol dont il fut l’auteur lors d’une scène marquante de « Gagner la guerre » suffit à susciter l’aversion du lecteur pour sa personne.
Quelques faiblesses narratives
Difficile dans ces conditions de s’attacher au personnage dont les aventures parviennent pourtant à nous capter, et ce pour plusieurs raisons. La première tient du plaisir un peu coupable que l’on pend à voir l’odieux assassin échouer ou se faire régulièrement démolir. C’est qu’il endure, le Benvenuto ! Et d’une certaine manière on ne peut s’empêcher de trouver les épreuves qu’il traverse dûment méritées. L’autre raison qui permet au lecteur de suivre avec autant d’intérêt le récit tient à la capacité du personnage à envisager et étudier toutes les implications possibles de tel ou tel événement. Le spadassin passe ainsi presque autant de temps à agir qu’à réfléchir aux conséquences de ses actes et de ceux des autres, au point qu’on a parfois l’impression de retrouver un peu du Machiavel dont s’inspirait « Gagner la guerre ». L’intérêt que l’on porte à l’intrigue et au narrateur n’empêche toutefois pas le lecteur de se lasser par moment de la lenteur du récit et de ses digressions. Bien qu’intéressant, le premier tiers du roman ne propose en effet qu’une autre vision des événements déjà mis en scène dans le premier tome, aussi ne peut-on s’empêcher d’être pris d’une impatience de plus en plus grande. Si l’auteur parvient encore à nous surprendre à plusieurs reprises par des coups de théâtre impressionnants, il faut aussi reconnaître que la répétition de plusieurs ressorts narratifs, dont un en particulier (dont je ne dirais rien ici pour ne pas gâcher la surprise), déçoit. Les personnages sont pour leur part bien campés mais relégués pour la plupart à l’arrière-plan, Benvenuto occupant presque seul le devant de la scène. Les femmes, elles, sont toujours cantonnées au sempiternel rôle de faire-valoir masculin et, quant bien même Clarissima, la duchesse de Brégor ou encore Audéarde, disposent incontestablement d’une grande influence, elles en sont toutes réduites à l’inaction puisque condamnées à n’agir que par l’intermédiaire des hommes qui les entourent. Vaumacel, lui, passe carrément à la trappe, ce qui n’aide pas à renforcer aux yeux du lecteur l’aura de ce personnage difficile à cerner et dont la rigidité et la froideur rendent difficile la naissance de tout sentiment d’affection. Le mystère qui l’entoure reste néanmoins attractif, et ce d’autant plus que les quelques indices récoltés par Benvenuto à son propos laissent présager des révélations croustillantes.
Deuxième tome de la trilogie « Le chevalier aux épines », « Le conte de l’assassin » est un roman déstabilisant puisqu’il rompt foncièrement avec le style du premier tome qui se voulait un hommage aux romans courtois médiévaux. En redonnant la place de narrateur au héros de « Gagner la guerre », Jean-Philippe Jaworski dynamite les codes qu’il avait patiemment mis en place dans « Le tournoi des preux », et nous plonge à nouveau dans de la pure crapule/dark fantasy. Le mercenaire se révèle toujours aussi plaisant à suivre (et paradoxalement toujours aussi insupportable), et le choix de l’auteur de le placer au centre de la scène oriente inévitablement l’intrigue vers des détours qu’on ne pensait pas forcément la voir emprunter. Le dernier tome paraîtra si tout va bien début 2024 : j’ai hâte de découvrir ce que la confrontation du chevalier aux épines et du célèbre assassin donnera !
Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls)