Fantasy et féminismes, aux intersections du/des genres
Titre : Fantasy et féminismes, aux intersections du/des genres
Directrices de publication : Marie Lucie Bougon, Marion Gingras-Gagné et Pascale Laplante-Dubé
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2023 (juin)
Synopsis : Par la création qu’elle permet de mondes secondaires alternatifs et par ses codes génériques sujets à la réappropriation, la fantasy est un genre de l’imaginaire dont les potentialités sont illimitées, et qui offre la possibilité d’interroger les systèmes normatifs en place. Ce n’est donc pas un hasard si elle a été investie, au fil des décennies, par des discours issus de divers courants féministes et queer. Que se produit-il lorsque la fantasy rencontre ces perspectives ? Comment peuvent-elles éclairer les œuvres (livres, nouvelles, séries télévisuelles), mais aussi les phénomènes faniques et militants qui les entourent ? Comment aborder la fantasy (l’analyser, mais aussi l’écrire) en s’intéressant aux dynamiques genrées, sexuelles, sexuées, ainsi qu’aux savoirs féminins et aux cultures des marges ?
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Le potentiel féministe de la fantasy à l’étude
Dirigé par trois doctorantes en littérature (Marie Lucie Bougon, Marion Gingras-Gagné et Pascale Laplante-Dubé), « Fantasy et féminisme, aux intersections du/des genres » et un ouvrage qui, contrairement a ce qui se fait fréquemment, ne cherche pas à recenser et analyser les représentations sexistes dans la fantasy, mais au contraire à mettre en avant des œuvres et des auteurs/autrices qui se servent du genre pour subvertir et remettre en question les représentations traditionnelles des genres et des relations amoureuses. Par le biais des articles et des quelques nouvelles présents au sommaire, l’ouvrage entreprend ainsi de souligner le « potentiel politique, féministe et queer » d’un sous-genre de l’imaginaire que l’on a paradoxalement souvent tendance à considérer comme réactionnaire. Les chercheurs et chercheuses, auteurs et autrices, viennent de France et du Québec, et chacun et chacune ont pu choisir le mode de « démasculinisation de la langue française » de leur choix, ce qui n’empêche pas le tout de présenter un front cohérent. L’ouvrage est divisé en trois parties thématiques dont la première s’intéresse à la reprise et au déplacement du canon (représentations et arcs narratifs), la seconde à la réappropriation des œuvres de fantasy par les fans, et la dernière à la reprise et au déplacement des tropes. Comme toujours dans ce type d’ouvrage, certains textes sont plus marquants que d’autres, aussi les lecteurs/lectrices trouveront-ils leur compte dans tel ou tel article en fonction de leurs centres d’intérêts. Certaines études sont toutefois très techniques et, si les auteurs et autrices tentent de vulgariser au mieux des concepts ardus, il n’est pas toujours facile de suivre le déroulement de la pensée des chercheurs et chercheuses. J’ai pour ma part également eu du mal à adhérer à certaines analyses qui paraissent pour le moins capillotractées et cherchent à tout pris à trouver une interprétation à des aspects qui, parfois, ne paraissent pas vraiment en mériter. Il est également dommage que les études dont il est question ici portent sur un corpus d’oeuvres de fantasy aussi resserré tant il aurait été intéressant d’avoir une analyse plus vaste (sans pour autant être exhaustive) du sujet. Enfin, il faut noter que, à l’exception de la première, les cinq nouvelles présentes au sommaire de sont pas toujours convaincantes ou alors se révèlent bien trop courtes pour parvenir à capter l’attention des lecteurs et lectrices.
Reprise et déplacement du canon
Très intéressant, le premier article est signé Pascale Laplante-Dubé et est consacré à la série « Mémoires de Lady Trent » de Marie Brennan. La chercheuse y démontre comment les enjeux narratifs traditionnellement réservés aux femmes (et ce notamment dans le contexte victorien dont l’autrice s’est influencée) sont ici relégués au second plan au profit de la quête de connaissances de l’héroïne sur les dragons. Dépeignant aussi bien un parcours personnel que professionnel, la série associe ainsi le travail de recherche de son héroïne à sa quête d’émancipation dans laquelle ni le mariage ni la maternité n’apparaissent comme une finalité. S’en suit une nouvelle de Geneviève Blouin intitulée « Les gardiennes » et qui s’avère très réussie. On y suit plusieurs villageoises chargées de gérer le quotidien de la communauté suite au départ des hommes au front et qui entreprennent une mission de sauvetage dans la montagne afin de retrouver d’imprudents jeunes garçons. Ce texte illustre à merveille le pouvoir subversif de la fantasy en terme de représentation des genres et nous livre un récit palpitant qui séduit autant par la qualité de son intrigue que par celle de ses protagonistes. On plonge ensuite avec Manon Berthier dans le conte de Cendrillon et trois de ses adaptations récentes, à savoir celles de Emma Donoghue, Malinda Lo et Kalynn Bayron. La chercheuse y explique que, loin de véhiculer des idées datées, les contes peuvent eux aussi être utilisés pour aborder des thématiques contemporaines émancipatrices, à savoir la remise en cause du patriarcat et l’ouverture des possibles en matière de sexualité, accent étant mis ici sur le lesbianisme. En refusant de se construire en rapport avec le masculin comme le veut le schéma traditionnel du conte, les héroïnes de ces œuvres « rendent visibles les mécanismes qui sous-tendent les contes de fées ». C’est ensuite au tour de Cyrille Ballaguy et Elise Wolf Ballaguy de s’interroger sur les personnages féminins des mythes grecs, et notamment sur la figure de Circée, reprise récemment par Madeline Miller qui lui a consacré un roman. Il est question ici du « male gaze » sous l’angle duquel les héroïnes de la mythologie grecque sont mises en scène et auquel répond le « female gaze » de Madeline Millier qui donne la parole pour la première fois à Circée et refuse de la sexualité tout en dénonçant le système patriarcal dont elle est victime. Les chercheuses soulignent néanmoins les limites de l’émancipation de l’héroïne qui finit malgré tout par se conformer au rôle que la société réserve traditionnellement à son genre. Claire Duvivier livre ensuite un témoignage sur les archétypes en fantasy et sur la nécessité d’en créer de nouveaux qui remettent justement en cause les stéréotypes de genre. Enfin Yannick Le Pape met fin à cette première partie avec une étude consacrée aux représentations des héroïnes antiques dans la peinture victorienne ainsi qu’à la manière dont elles donnèrent naissance à un archétype de la fantasy. On y retrouve des analyses des œuvres de Edward Burne-Jones, Gabriel Rossetti, Waterhouse et bien d’autres artistes moins connus. L’auteur y explique comment le mouvement préraphaélite n’a cessé d’influencer les représentations des femmes en fantasy et a contribué à bousculer les normes alors que de plus en plus de femmes réclamaient davantage d’indépendance. L’article est aussi intéressant parce qu’il donne la parole aux illustrateurs et illustratrices de fantasy d’aujourd’hui qui nous livrent leurs influences et leurs réflexions sur le sujet.
Réappropriation des oeuvres
Plus courte, la deuxième partie traite de la diversité interprétative et de la réappropriation des œuvres de fantasy par les fans. Laura Iseut Lafrance St-Martin ouvre le bal avec un article sur la diversité des interprétations de l’œuvre de Tolkien, tour à tour qualifiée aussi bien de sexiste que de féministe. L’étude est complexe mais sans doute l’une des plus passionnantes de l’ouvrage. L’autrice y démontre comment une même œuvre peut être interprétée de façon totalement contradictoire par les lecteurs et lectrices, et s’attarde sur la façon dont l’auteur a représenté masculinité et féminité dans ses œuvres. Elle souligne également que Tolkien lui-même a beaucoup réfléchi à ces questions et nous explique le principe qui avait la faveur de l’auteur à savoir l’applicabilité, qui consistute justement en l’appropriation d’une œuvre par chacun/chacune. Elisabeth Vonarburg poursuit avec la nouvelle « Le langage des fées » dont la brièveté rend difficile l’immersion du lecteur (le texte fait quatre pages) Coralie Leboeuf étudie ensuite les fanfictions de Harry Potter et s’interroge sur le pouvoir de déconstruction des normes de genre par le biais des pratiques créatives. L’autrice y démontre que les fanfictions basées sur l’univers de J. K. Rowling restent très standardisées et mettent souvent en scène une domination masculine érotisée, tout en allant à l’encontre de certaines représentations conservatrices.
Reprise et déplacement des tropes
La troisième et dernière partie est intitulée « Reprise et déplacement des tropes : matriarcat, maternité et magie » et débute par une nouvelle d’Alex Evans. Intitulée « Minuit à la tour du dragon », la nouvelle s’inspire du conte de « Cendrillon ». Les choix narratifs sont intéressants mais l’intrigue s’avère trop prévisible et trop superficielle. André-Philippe Lapointe signe ensuite une étude sur la société matriarcale des Adems mise en scène par Patrick Rothfuss dans « Chroniques du tueur de roi ». L’auteur y démontre que, même dans un monde patriarcal, la fantasy permet de créer une société qui brouille les stéréotypes de genre. Il nuance cependant son propos en expliquant que les Adem reproduisent une forme de sexisme puisque l’impulsivité des hommes sert de justification à leur infériorité. Pour lui, ce passage de la série de Rothfuss a pour intérêt d’exposer les biais cognitifs du narrateur et protagoniste, mais ne reste qu’une péripétie parmi d’autres dans une œuvre où les femmes restent globalement très sexualisées. Charlotte Bousquet enchaîne avec une nouvelle tirée de son univers de prédilection et déjà éditée dans l’anthologie « Reines et dragons » : comme toujours, la plume de l’autrice et son univers m’ont laissée de marbre. Charlotte Duranton s’est pour sa part intéressée à la série « Les nouvelles aventures de Sabrina » et s’interroge sur l’évolution de la représentation de la sexualité féminine dans les séries de fantasy pour les adolescent.e.s. Pour elle, la série télévisée est le médium idéal pour parler de sexualité féminine, et c’est notamment le cas dans les séries de fantasy qui mettent régulièrement en scène une figure désormais synonyme « d’empouvoirement » : la sorcière. La série dont il est question ici offre selon elle une allégorie de la lutte contre le patriarcat et s’inscrit dans la lignée des préoccupations sociétales actuelles en mettant en scène des jeunes femmes actives et qui revendiquent de multiples formes de sexualité. Elle souligne toutefois que, même si la série cherche à mettre en avant une vision libérée de la sexualité des femmes, elle reste très classique au niveau des codes moraux qu’elle met en avant. Héloïse Côté signe la dernière nouvelle du recueil avec « Pour Juliette » une nouvelle courte et prévisible mais néanmoins agréable. Enfin, Cassandra Simon termine avec « Le surnaturel au féminin : pouvoir, magie et maternité » où elle propose d’étudier les œuvres de Manon Fargetton (« Les illusions de Sav-Loar ») et de Christelle Dabos (« La Passe-Miroir »). La chercheuse y « interroge le potentiel subversif et féministe de la magie » dans les romans de fantasy et tente de comprendre comme les nouvelles possibilités offertes par le surnaturel peuvent renverser les schémas sociaux traditionnels. Elle s’intéresse aussi à la représentation de la maternité dans les deux romans qui « explorent les zones d’ombres » laissées par une vision de la femme la réduisant à ses fonctions reproductives puisque les personnages, soit ne veulent pas d’enfant, soit ne s’en occupent pas, soit ne peuvent pas en avoir.
« Fantasy et féminisme » est un ouvrage regroupant une poignée de nouvelles et surtout des études interrogeant la représentation des genres et de la sexualité féminine dans les œuvres de fantasy, mettant ainsi en lumière le potentiel féministe de ce sous-genre. Certaines analyses sont plus passionnantes et plus pertinentes que d’autres, mais l’ouvrage a le mérite d’initier la réflexion sur des considérations omniprésentes aujourd’hui et dont la fantasy n’hésite pas à s’emparer de plus en plus.
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