Fantasy

Les cartographes

Titre : Les cartograhes
Auteur : Peng Shepherd
Éditeur : Albin Michel Imaginaire
Date de publication : 2023 (mars)

Synopsis : Nell a perdu ses deux parents. Sa mère trente ans plus tôt, et maintenant son père, le Dr Young, un célèbre cartographe de la New York Public Library qui vient d’être retrouvé mort dans son bureau. Elle l’adorait, elle voulait embrasser la même carrière que lui, mais parfois la famille c’est très compliqué. En fouillant dans les affaires du défunt, elle trouve, bien cachée, une carte routière a priori sans grand intérêt. Sauf que Nell se souvient parfaitement de cette maudite carte. Elle lui a valu une engueulade homérique et lui a coûté sa place, auprès de son père. Intriguée, elle reconstitue avec un regard neuf ce vieil incident et ne tarde pas à se rendre compte que le document est aussi rare que précieux. Il comporte une erreur singulière, une signature pour ceux qui sont initiés à l’art de la cartographie. Pour percer ce mystère, Nell contacte certains amis de ses parents. Trente ans plus tôt, ils formaient un groupe de sept personnes, très soudé : les Cartographes. Qu’ont-ils découvert ? Quels crimes ont-ils commis contre la réalité ?

Les cartes ne doivent pas restées secrètes, elles n’ont de sens que lorsqu’elles sont partagées.

Les mystères de la cartographie

Après un roman consacré à une apocalypse causée par un étonnant phénomène faisant perdre à certains leur ombre et leurs souvenirs, Peng Shepard change de registre et délaisse le post-apo au profit du thriller fantastique. Le roman met en scène une jeune femme, Nell, autrefois promise à une grande carrière de cartographe au sein de la prestigieuse New-York Public Library jusqu’à ce qu’une brouille avec son père, l’une des personnalités les plus éminentes du département des cartes, ne pousse à son départ. La cause de cette fâche aux conséquences désastreuses ? La découverte, par hasard, d’un carton rempli de vieilleries dont un document en particulier semble avoir provoqué la colère du Docteur Young : une simple carte routière éditée par la General Drafting Corporation en 1930. Rien à voir avec les exemplaires d’une grande valeur que la bibliothèque a l’habitude d’abriter. Plusieurs années après cette découverte, la jeune femme a trouvé refuge chez un simple fabriquant de cartes spécialisé dans la retouche de cartes anciennes, et elle ne décolère pas. Alors quand on l’appelle pour la prévenir que le Docteur Young vient de trouver la mort dans son bureau, elle a toutes les peines du monde à mettre de côté sa rancune, malgré le chagrin. La découverte de la fameuse carte ayant causé sa perte dans les affaires de son père va raviver sa curiosité la concernant et l’inciter à tenter de comprendre ce qu’elle peut bien avoir de particulier. D’autant qu’elle ne semble pas être la seule à s’intéresser à cette carte routière à priori tout ce qu’il y a de plus banale. En effet, quelques recherches lui apprennent rapidement que tous les autres exemplaires, pourtant nombreux, ont mystérieusement disparu ces dernières années, si bien que le sien est probablement le dernier encore existant. Et si la mort de son père n’était pas accidentelle ? Et si cela était intiment lié à son histoire familiale et à la disparition de sa mère lorsqu’elle était petite ? Et si, enfin, cette carte cachait un secret à même de révolutionner totalement la cartographie, au point que certains seraient prêts à tout pour la récupérer ?

Un thriller haletant

Reprenant les principaux codes du thriller, le roman a tout du page-turner et plonge le lecteur dans une quête haletante afin de découvrir les mystères de cette carte et de comprendre pourquoi un mystérieux groupe de collectionneurs semble prêt à tout pour mettre la main dessus. Le récit alterne entre les points de vue de Nell, confrontée à une histoire familiale douloureuse, et de Félix, son ancien petit-ami, lui aussi évincé de son poste au moment de la dispute entre entre le père et la fille, et désormais au service d’un magnat de l’informatique spécialisé dans la cartographie numérique. Les découvertes de la jeune femme vont également l’amener à rencontrer d’anciens amis de ses parents qui, à tour de rôle, vont prendre la parole et lever le voile sur la mort de sa mère. Cette alternance entre passé et présent renforce l’intérêt du lecteur qui éprouve finalement autant d’intérêt à suivre la quête de Nell qu’à découvrir l’histoire de ses parents et de la découverte majeure qui provoqua l’éclatement de leur groupe d’amis et entraîna la mort de sa mère. L’autrice nous plonge avec efficacité dans l’univers de la cartographie et parvient sans mal à éveiller l’intérêt du lecteur pour cette discipline à priori très technique mais que Peng Shepherd aborde de façon originale, mettant l’accent sur l’usage que nous faisons des cartes, mais aussi sur leur dimension purement artistique. Les amateurs d’imaginaire seront d’ailleurs ravis à l’évocation des cartes figurants dans certaines des œuvres de fantasy les plus populaires et auxquelles le groupe de cartographes auxquels appartenaient les parents de l’héroïne accordent beaucoup d’importance. L’histoire mise en scène ici se révèle d’autant plus intéressante qu’elle prend sa source dans une véritable anecdote que l’autrice prend le temps de détailler à la fin de l’ouvrage. Difficile d’en dévoiler davantage sans gâcher l’effet du surprise, aussi me contenterais-je de dire que certaines cartes, mêmes les plus ordinaires comme les cartes routières, comportent parfois des erreurs volontaires de plus ou moins grande ampleur insérées dans un objectif bien précis.

Le livre de M

Quelques maladresses

En dépit de la rapidité avec laquelle il se dévore, le roman n’est pas exempt de défauts, sans que ces derniers ne soient pour autant rédhibitoires. Certains personnages sont par exemple assez caricaturaux, du gentil vieux mentor au milliardaire visionnaire avide d’innovations techniques. Le personnage de Nell est pour sa part sympathique mais, cette dernière étant rapidement prise par les événements, l’autrice a finalement assez peu l’occasion de s’appesantir sur sa personnalité. Les parents de l’héroïne et les amis qui gravitent autour d’eux sont presque plus attachants, si bien qu’on en vient parfois à trouver plus captivant de suivre les histoires d’amour, d’amitié et de travail du petit groupe que les recherches de Nell. Peng Shepherd parvient en effet à faire naître une grande complicité entre le lecteur et ces jeunes cartographes, tous passionnés par cette discipline pourtant peu commune, et qui entretiennent une amitié profonde mais fragile. Les parcours personnels des uns et des autres, ainsi que le rôle qu’ils jouèrent dans le drame impliquant la fameuse carte de la General Drafting Corporation, constituent ainsi l’un des moteurs principaux du récit. L’histoire d’amour qu’entretient Nell avec Félix occupe quant à elle une place bien trop grande dans l’intrigue, donnant lieu à des scènes dignes d’un soap dont le roman aurait clairement pu se passer (il ne s’agit clairement pas du point fort de l’autrice puisque la relation amoureuse mise en scène dans « Le livre de M », son précédent roman, m’avait déjà fait tiquer, quoique pour d’autres raisons). On peut également ajouter que certains rebondissements se voient venir de loin, quand bien même la plupart parviennent efficacement à relancer l’intrigue qui, grâce à la menace insidieuse qui plane concernant cette entité secrète donnant son nom au roman, parvient à maintenir le lecteur en alerte tout au long du récit.

Peng Shepherd signe avec « Les cartographes » un bon page-turner mêlant habilement des éléments propres au thriller mais aussi à la fantasy. Rythmé par une succession de rebondissements efficaces, le roman met en lumière une pratique cartographique réelle et à priori inoffensive mais qui prend ici des proportions spectaculaires prompts à enflammer l’imagination du lecteur. En dépit de quelques maladresses, notamment en ce qui concerne la construction de certains personnages, l’histoire se révèle de bonne facture et parvient sans mal à captiver le lecteur, tendu à la fois en raison de sa curiosité concernant les secrets de la carte de Nell, mais aussi à cause de cette menace imprécise qui plane sur l’héroïne et n’est pas loin de pousser à la paranoïa. Une belle découverte.

Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Le nocher des livres

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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