Récit contemporain

Les reflets du monde, tome 1 : En lutte

Titre : En lutte
Cycle/Série : Les reflets du monde, tome 1
Auteur : Fabien Toulmé
Éditeur : Delcourt (Encrages)
Date de publication : 2022

Synopsis : Cet épisode des Reflets du Monde prend racine dans les voyages de Fabien Toulmé. Il y raconte la Thawra, révolution citoyenne au Liban, la lutte d’une favela brésilienne contre un projet immobilier et l’engagement d’une militante féministe au Bénin, trois combats menés par des citoyens. Ou plutôt «par des citoyennes», car, dans ces mouvements de résistance, les femmes occupent une place centrale.

Me voilà donc reparti vers une nouvelle destination pour saisir ce qui se joue dans l’histoire de ceux qui s’engagent.

Des femmes en lutte !

Fabien Toulmé est un habitué de la bande dessinée documentaire. On lui doit notamment « L’odyssée d’Hakim », une trilogie remarquable retraçant le parcours d’un réfugié syrien depuis sa vie sous la dictature de Bachar Al-Assad à son arrivée en France auprès de sa femme, en passant par le périlleux voyage entrepris avec son fils de deux ans pour gagner l’Europe. Pour son nouvel ouvrage, l’artiste a décidé de questionner l’engagement et les luttes citoyennes en réalisant trois reportages consacrés à des mouvements de résistance populaire menés par des femmes : le premier se passe au Liban et met en scène Nidal, une activiste investie dans la révolution en cours ; le second se déroule au Brésil où l’on découvre le combat d’une petite communauté pour résister à la destruction de son quartier ; le troisième prend place au Bénin où l’on fait la connaissance d’une militante pour les droits des femmes spécialisée dans la sensibilisation des jeunes à la sexualité. Imposant, l’ouvrage est donc divisé en trois grosses parties qui mettent en scène Fabien Toulmé lui-même ainsi que les personnes qu’il a pu rencontrer lors de ses reportages sur le terrain. Chaque lutte possède ses propres couleurs (bleu et rose pour le Liban, vert et jaune pour le Brésil, marron et rouge pour le Bénin), ce qui permet à l’artiste de matérialiser le changement de cadre et de tenter de rendre compte de l’atmosphère sur place. Ces chapitres sont complétés par de petits intermèdes qui permettent d’apporter des précisions sur des faits qui se sont déroulés après le retour en France de l’auteur, ou bien de nous livrer un éclairage plus théorique grâce à l’intervention du sociologue spécialiste des questions de lutte et de militantisme Olivier Fillieule. L’ouvrage se révèle donc très varié puisqu’il mêle à la fois des aspects théoriques qui permettent de réfléchir sur le processus de l’engagement citoyen ou la place des femmes dans ces luttes, mais aussi du reportage de terrain, avec les témoignages des premières personnages concernées, et enfin des passages presque autobiographiques au cours desquels l’artiste fait le lien entre une situation et son histoire ou expose ses propres sensations. A cette diversité s’ajoute un dernier aspect qui permet de rendre la lecture agréable et bien plus digeste : l’humour ! Un humour discret mais bien présent et qui permet d’alléger un peu l’ambiance, comme c’est le cas par exemple avec le petit « running-gag » présent dans chacune des trois parties et qui consiste pour l’artiste à mettre en scène son prof d’histoire géo de collège (un petit barbu bedonnant perché sur un nuage et apportant des précisions sur le contexte du pays visité).

Thawra : la révolution libanaise

Les trois luttes mises en scène ici sont intéressantes et permettent de mettre en lumière des thématiques différentes. Le premier reportage se déroule lors de la révolution qui a secoué le Liban en 2019. Parti d’une banale histoire de taxe supplémentaire imposée par le gouvernement (sur les appels effectués via l’application Whatsapp), le mouvement social embrase alors la société libanaise qui aspire à un changement radical et s’insurge contre la corruption qui règne au sein des élites dirigeantes. C’est dans ces circonstances que l’auteur (venu à la base pour participer à un festival littéraire), fait la rencontre de Nidal, une jeune journaliste militant pour le droit des femmes et jouant un rôle actif dans le mouvement social en cours. Son témoignage permet à l’auteur d’exposer le plus concrètement possible le quotidien des Libanais et Libanaises, et ainsi d’insister sur leurs revendications, à savoir un accès aux « droits essentiels ». On découvre en effet grâce au travail réalisé par Fabien Toulmé un pays rongé par la corruption et la crise économique dans lequel les rares services publics sont incapables de fonctionner correctement faute de financement, où les coupures d’électricité sont incessantes et où il n’est pas rare que des gens meurent devant les hôpitaux, faute d’argent pour se soigner. Afin de mieux faire comprendre le contexte local, Fabien Toulmé n’hésite pas, en parallèle du témoignage de Nidal, à revenir sur l’histoire du pays et ses spécificités, que ce soit en matière de religion, de culture, de régime politique ou de choix économiques. L’auteur revient aussi sur les dangers inhérents à ce type d’engagement, la jeune femme faisant l’objet de menaces et de harcèlement sur les réseaux sociaux (et même de poursuites en justice à la fin du mouvement), mais aussi sur la répression et les violences qui émaillent les manifestations grâce à des témoignages complémentaires à celui de la militante.

La communauté de Porto do Capim

La seconde lutte dont il est question est d’un genre un peu différent car il n’est pas tant question pour ses acteurs de gagner quelque chose mais tout simplement de ne pas tout perdre. Direction cette fois le Brésil où Fabien Toulmé va faire la connaissance de la communauté de Porto do Capim, dans la région de Joao Pessoa. C’est là que le maire entend implanter un immense parc écologique. Problème : une centaine de familles vivent dans le quartier concerné, dont certaines refusent d’être relogées dans un autre endroit de la ville et de voir leurs habitations détruites. Un bras de fer s’engage alors entre la mairie et les habitants de Porto do Capim, et notamment les femmes qui sont le fer de lance de la contestation. Cette fois, Fabien Toulmé a recueilli les témoignages de Rossana et Odacy, deux figures emblématiques de la résistance au projet de parc écologique (qui n’a rien de vraiment écologique). A l’aide de ces deux militantes, l’auteur va à nouveau tenter de nous faire comprendre les tenants et aboutissants de cette lutte. Cela passe évidemment par la description de ce quartier et du quotidien de ses habitants, mais aussi par un rappel de son histoire, des différentes étapes qui ont structuré le combat de ces femmes, ou encore des méthodes de résistance employées (les recours juridiques, bien sûr, mais aussi l’art, la mise au point d’un contre-argumentaire efficace face à la propagande de la mairie…). Là encore le reportage est édifiant et permet de faire la rencontre de personnalités inspirantes et touchantes.

Chanceline et les droits des femmes

Le dernier reportage qui clôt ces « Reflets du monde » se déroule au Bénin où l’on fait la connaissance de Chanceline, une jeune militante pour les droits des femmes dont le cœur de l’action se situe dans la prévention contre les grossesses précoces. Là encore, un peu de contextualisation ne fait pas de mal et permet d’apprendre que le Bénin arrive en 158e position sur 189 dans le dernier classement des inégalités hommes-femmes établi par les Nations Unis, et que le nombre de grossesses chez les adolescentes est de plus en plus élevé. C’est aux côtés d’un journaliste de TV5 Monde que l’artiste va suivre la militante dans son quotidien qui consiste notamment à animer des séances de prévention et de sensibilisation à la sexualité. L’occasion d’aborder avec des adolescents, filles ou garçons, des sujets aussi essentiels que le consentement, l’utilité d’un préservatif, la contraception ou tout simplement les stéréotypes de genre. Là encore, le reportage nous permet de nous faire une bonne idée de ce que peut être le quotidien d’une famille béninoise lambda, notamment grâce au témoignage de Chanceline qui revient sur sa propre histoire familiale et les relations compliquées qu’elle a pu avoir avec son père. Au final, l’objectif fixé par l’artiste au début de son travail est parfaitement rempli. Par le biais de ces trois reportages, Fabien Toulmé nous permet en effet d’étudier des cas concrets de luttes citoyennes et de réfléchir sur ce qu’elles peuvent avoir en commun. La question de l’engagement est fondamentale ici et les témoignages rapportés par l’artiste permettent de mettre en lumière deux ressorts essentiels : la prise de conscience, par le biais de rencontres ou d’expériences accumulées, d’une injustice subie, et la capacité à identifier les responsables ou les causes profondes de cette injustice. Enfin, l’ouvrage permet de mettre en avant la place prépondérante prise par les femmes dans les luttes citoyennes partout dans le monde et de rendre hommage aux Nidal, Rossana, Odacy ou Chanceline qui se battent chaque jour pour les droits des femmes, mais aussi de l’ensemble de la population.

« En lutte » est le premier volet de ce qui pourrait bien devenir une série proposant des « Reflets du monde ». Grâce à des reportages de terrain et de nombreux témoignages d’acteurs et d’actrices des luttes citoyennes, Fabien Toulmé met en lumière les injustices subies dans trois endroits du monde (Liban, Brésil, Bénin) et interroge l’engagement militant ainsi que la place prépondérante des femmes dans les mouvements de résistances amorcés par les populations sur place. Un beau recueil, touchant et documenté, à l’image de ce que l’artiste avait déjà pu produire.

Autres critiques :  ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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