The 8 list
Titre : The 8 list
Auteur : Pierre Léauté
Éditeur : HSN
Date de publication : 2022 (octobre)
Synopsis : Et si la haine était un business comme un autre ? Un malin de la Tech développe une idée simple mais terriblement efficace, celle d’une application pour smartphone qui voit l’utilisateur constituer une liste de huit noms. Les personnes qu’il déteste le plus. The 8 List suit Thomas, le créateur de ce qui va devenir un géant mondial des réseaux sociaux : la société 8 Team. Découvrez comment un gamin de Bruxelles va devenir le magnat le plus féroce dans un monde où recevoir des dividendes compte davantage que le Nobel de la paix. Mais à quel prix ? Dis moi qui tu hais, je te dirai qui tu es !
La bienveillance est le pire ennemi de l’homme moderne. Elle l’instrumentalise, le blâme s’il ne se soumet pas aux diktats d’une société elle-même en perte de sens. Et si nous décidions de reconquérir notre part d’humanité ? Et s’il était sain de haïr l’autre au lieu de se détester sans cesse ?
Le marché de la haine
Ils sont nombreux, les romans de SF qui appréhendent le futur par le prisme des nouvelles technologies et des ravages qu’elles peuvent causer. On pense bien sûr à la série « Black mirror », mais aussi à un grand nombre d’œuvres littéraires plus récentes comme l’excellent « Alfie » de Christopher Bouix ou encore le recueil « After Yang » d’Alexander Weinstein. Pierre Léauté vient ajouter sa pierre à l’édifice avec « The 8 list », un court roman à cheval entre la SF et le thriller. L’auteur y met en scène un petit génie de l’informatique à l’origine de la création d’un tout nouveau réseau social basé sur un principe simple : chaque utilisateur propose une liste de huit noms d’individus haïs, liste impossible à retirer ou modifier sauf en cas de décès de l’une des personnes mentionnées. Très vite, le monde entier s’emballe pour cette application provocante qui assume s’adresser aux plus bas instincts de ses utilisateurs avec un cynisme décomplexé. Thomas, le développeur à l’origine de 8 list, connaît alors une ascension fulgurante et, à l’image d’un Zuckerberg, voit son compte en banque exploser et son statut social s’élever parmi les plus hautes sphères d’influence. L’intrigue se focalise à la fois sur la vie privée de Thomas, et notamment sa relation avec sa femme et son beau-père (son ancien patron et lui-même géant de la tech), et sur le développement de l’application et les obstacles qu’elle peut rencontrer. Les détracteurs de 8 list sont en effet nombreux, tant pour des raisons morales que de sécurité publique puisqu’au moins un individu semble avoir décidé d’éliminer physiquement les noms figurant sur sa propre liste. Le roman est court et construit pour rendre la lecture la plus dynamique possible : le récit est découpé en mini-chapitres, eux-mêmes regroupés en huit grosses parties consacrées aux personnes s’ajoutant au fil des ans sur la 8 list de Thomas. Ces chapitres sont entre-découpés de petits encarts publicitaires, d’extraits d’interviews ou d’illustrations de l’application ou de ses dérivés (il existe par exemple une version… pour enfant !).
GAFAM : L’envers du décor
Le roman est plaisant et pose des questions intéressantes sur l’usage des réseaux sociaux et les effets pervers qu’ils peuvent engendrer. Il dresse également un portrait peu glamour et donc plus réaliste du fonctionnement de ces grosses entreprises numériques qui se nourrissent des données de leurs utilisateurs sans chercher à la protéger et appliquent des techniques managériales terribles à leurs employés (les premières mesures prises par Elon Musk chez Twitter le montre bien, à mille lieues de l’image du « cool management » que souhaiteraient donner les GAFAM). L’auteur prend le parti d’ancrer son histoire dans notre présent, et non dans le futur, si bien que le protagoniste côtoie des personnalités que tous connaissent et qu’il se retrouve confronté à des événements d’ampleur internationale. L’intrigue, en revanche, n’est pas particulièrement fouillée et semble d’ailleurs se chercher quelque peu, une sordide histoire de massacres d’enfants venant se greffer un peu maladroitement au récit. J’ai pour ma part également eu du mal avec le principe de « hate list » en lui-même pour la simple et bonne raison que l’application développée ici par l’auteur me paraît bien trop simpliste et trop rigide pour susciter un tel engouement de la part des utilisateurs (une fois qu’on a complété sa liste… et bien on ne peut rien faire d’autre que la partager avec qui on le souhaite). Les personnages sont globalement peu sympathiques, mais il s’agit visiblement d’une volonté de l’auteur plutôt que d’une maladresse. Thomas est un protagoniste cynique et froid pour lequel on a évidemment du mal à éprouver autre chose que de la répulsion et qui manque légèrement de profondeur. En parallèle au récit de son ascension, le roman se fend de quelques flashbacks destinés à la fois à éclairer le passé du personnage et permettre de mieux cerner sa personnalité, mais aussi à le rendre plus humain. Le résultat est mitigé, et on peine malgré tout à éprouver la moindre empathie pour cet homme d’affaire impitoyable prêt à tout sacrifier pour préserver la pérennité de sa création. La fin est un peu bancale quoique basée sur un retournement de situation intéressant que, personnellement, j’ai tardé à voir venir.
« The 8 list » est un roman de SF questionnant à la fois la manière dont les individus s’emparent et utilisent les réseaux sociaux, mais aussi les méthodes utilisées par les GAFAM pour gérer leur entreprise et rendre leurs services les plus addictifs possible. Le récit manque malgré tout de rythme, voire même d’un peu de profondeur, notamment dans le traitement des personnages qui demeure très superficiel.
Autres critiques : ?