Science-Fiction

Les flibustiers de la mer chimique

Titre : Les flibustiers de la mer chimique
Auteur : Marguerite Imbert
Éditeur : Albin Michel Imaginaire
Date de publication : 2022 (septembre)

Synopsis : Une folle odyssée sous des cieux aveuglants, sur des mers acides qui empruntent leurs couleurs à une délicieuse poignée de bonbons chimiques. Tout commence par un naufrage. Ismaël, naturaliste de Rome, agonise sur un radeau de fortune quand il est repêché par le Player Killer, un sous-marin capable de naviguer dans les courants acides. Maintenant prisonnier des flibustiers de la mer chimique et de leur excentrique capitaine, Ismaël se demande comment réussir sa mission. Sur la terre ferme, la solitude n’a pas réussi à la graffeuse Alba – omnisciente ou presque. Bien qu’elle ait tendance à confondre les dates et les noms, elle est choisie pour incarner la mémoire des survivants. Dans une Rome assiégée par les flots toxiques de la Méditerranée, la jeune femme va apprendre à ses dépens que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Et si, séparés par des milliers de kilomètres, ignorant tout l’un de l’autre, Ismaël et Alba cherchaient à percer la même énigme.

Je crois que je suis une déesse. C’est peu plausible, mais si l’on y réfléchit cinq minutes, je suis unique. Personne n’est unique à part moi, ce qui est en soi une autre preuve. Je sais quels Etats se sont rendus à la COP26 et lesquels se sont défilés. Je sais qui sont Sophocle, Antony Hopkins et Margaret Tatcher. Je sais pourquoi l’Union européenne s’est dissoute. Je sais à quel moment le réchauffement climatique a commencé à tuer par millions. J’ai la généalogie des clans, décennie par décennie, après la catastrophe. Et surtout, je sais ce qui a mis fin au temps des Républiques, c’est-à-dire ce qui a tué la quasi-totalité de l’humanité. 

Flibusterie post-apo

Déjanté et rafraîchissant. Voilà les deux mots qui viennent à l’esprit une fois la dernière page de ce roman (le deuxième de l’autrice) refermé. Marguerite Imbert nous entraîne dans un monde post-apo qui n’est pourtant pas franchement attrayant : toutes les civilisations ont disparu depuis belle lurette, de même qu’une bonne partie de l’humanité, et il n’y a pas un seul endroit sur Terre qui n’ait pas été pollué par nos déchets/rejets. Les quelques survivants se sont pour la plupart regroupés en clans qui s’allient ou se font la guerre en fonction de leurs intérêts. Les chiens, revenus à l’état sauvage, sont devenus l’une des principales menaces sur la terre ferme, tandis que, dans la mer, des Mâts, créatures marines ressemblant à nos poulpes ou requins mais dont la taille a été multipliée par vingt, pullulent. Même sans faire de mauvaises rencontres la plupart des habitants de cette Terre ravagée ont de toute manière une espérance de vie limitée en raison de la toxicité de leur nourriture/boisson et des cancers qu’ils ne manquent pas de développer dès la trentaine. Le contexte ne prête donc pas particulièrement à rire et pourrait laisser croire à une atmosphère pesante et angoissante. Or, il n’en est rien, et c’est avant tout grâce aux personnages. Le récit a été construit autour d’une alternance entre le point de vue de deux protagonistes qui, au premier abord, n’ont rien en commun, mais dont les objectifs vont finir par coïncider. Le premier s’appelle Ismaël, il est naturaliste, et il a été envoyé en mission sur la mer par la Métareine de Rome (qui réunit deux des clans les plus puissants du continent européen). Seulement lui et deux de ses compagnons se retrouvent bientôt naufragés après l’attaque d’un Mât, et sauvés in extremis par le Player Killer, un sous-marin comme on en fait désormais plus et capable de naviguer sur la mer chimique. A la manœuvre, on retrouve ceux que l’on nomme les Flibustiers, avec, à leur tête, le charismatique mais (très !) excentrique capitaine Jonathan. C’est lui, la première carte-maîtresse de l’autrice pour donner un côté agréablement déjanté à son roman. La seconde, c’est Alba, une Graffeuse (clan désormais éteint) qui a une connaissance encyclopédique (quoi qu’imparfaite) de nos civilisations avant leur chute. Après avoir passée des années seule dans une grotte, la voilà entraînée de force par des soldats de la Métareine pour Rome, où tout le monde semble l’attendre avec impatience. La jeune femme possède toutefois un caractère bien trempé, et semble souffrir de sacrés troubles psychologiques qui la rendent totalement imprévisible… pour le plus grand bonheur du lecteur.

Un jour, l’un d’eux revint d’expédition avec une paire de baskets Nike. Il s’était aventurer dans l’ancienne zone industrielle que nous étions en train de contourner.
-Les Massaïs portent les mêmes ! m’exclamai-je avec ravissement.
Je le sais parce que j’ai vu les photos de Jan Hoek. Sachant que les Massaïs étaient connus pour être un peuple véloce, j’en ai naturellement conclu qu’ils choisissaient leurs chaussures avec soin.

Un page-turner surprenant

On alterne donc entre les chapitres consacrés à Ismaël, qui tente de se faire une place à bord du PK et de mener secrètement la mission qu’on lui a confié et dont le lecteur ignore tout, et ceux dédiés à Alba, en route pour Rome où elle doit, elle aussi, prendre ses marques sans bien savoir ce qu’on attend d’elle. Les deux trames narratives sont aussi passionnantes l’une que l’autre, et c’est avec plaisir que l’on passe d’un point de vue à l’autre. La personnalité des protagonistes joue évidemment beaucoup, d’abord parce qu’elle est totalement improbable et donne lieu à des scènes surréalistes hilarantes comme le quart d’heure de folie du capitaine ou le troc-edi. Ensuite, parce qu’elle en fait des personnages hors de contrôle, capables donc de péter un câble à tout moment et de prendre une décision inattendu ou d’envoyer balader le plan pour telle ou telle raison. Le roman ne repose toutefois pas uniquement sur ces deux atouts mais possède une intrigue solide qui entretient en permanence le suspens concernant les enjeux dont il est question : on ignore quelle est la mission d’Ismaël, on ne sait pas ce que la Métareine veut à Alba et pourquoi il est essentiel pour le clan de Rome d’avoir une Graffeuse, et on n’a aucune idée précise du phénomène majeure qui a causé l’extinction d’une partie de l’humanité. Les réponses à toutes ces questions nous sont fournies tardivement, sans que cela n’engendre de frustration particulière, et celles-ci se révèlent être tout à fait satisfaisantes une fois la dernière page refermée. Avant de tout comprendre, il faut toutefois en passer par un sacré lot de surprises dont l’enchaînement soutenu incite le lecteur à ne pas reposer le livre avant d’apprendre ce qui va arriver ensuite aux personnages concernés. Si le roman se révèle aussi plaisant, c’est aussi (surtout ?) grâce au style très direct de Marguerite Imbert dont la plume incisive et le ton volontiers familier frappent dès les premières pages. Cela donne à la narration un côté très dynamique, tandis que les dialogues, eux, sont particulièrement réjouissants et ne manqueront pas de vous tirer plusieurs éclats de rire. C’est que les personnages possèdent tous un sacré sens de la répartie, et que la « bromance » unissant Ismaël et Jonathan se révèle propice à des enchaînements de taquets dont on ne se lasse pas.

J’ai quelques questions. Non, sans déconner, j’ai plein de questions. Je ne connais pas les limites, alors si l’une d’entre elles vous chatouille de la mauvaise façon, dites-moi simplement « Ismaël, vous me gonflez » Ne me tuez pas, ça ne vaut pas le coup.

Marguerite Imbert signe avec « Les flibustiers de la mer chimique » un roman post-apo déjanté qu’on prend un plaisir fou à dévorer. L’intrigue tient impeccablement la route, le style est percutant et donne lieu à des échanges hilarants, mais ce sont surtout les personnages qui donnent du sel à l’histoire. C’est notamment le cas d’Alba et Jonathan, deux protagonistes complètement fêlés qu’on serait prêt à suivre sur encore des pages et des pages. A découvrir absolument !

Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; L’ours inculte ; Le nocher des livres ; Ombrebones (Chroniques de l’Imaginaire) ; Tampopo24 (Les blablas de Tachan) ; Tigger Lilly (Le dragon galactique)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

13 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.