Science-Fiction

Hysteresis

Titre : Hysteresis
Auteur : Loïc Le Borgne
Éditeur : Le Bélial / Pocket
Date de publication : 2014 / 2016

Synopsis : Le temps a filé depuis la Panique, la grande, l’incommensurable débâcle qui a couru sur le monde, balayant jusqu’au dernier rêve d’une humanité autocentrée… Le temps a passé, oui, et il a fallu reconstruire comme on a pu. Essayer, en tout cas, et au prix fort : celui du savoir, bien sûr, mais aussi celui de l’espérance… Et quand Jason Marieke arrive à Rouperroux, misérable village accroché à sa survie précaire, lui, l’ancien, celui d’avant la Panique, homme en quête doté de connaissances mystérieuses et aux questions qui dérangent, alors semble sonner l’avènement d’une ère nouvelle, celle des réponses et du cortège d’horreurs qui les accompagne…
Bibliocosme Note 4.5

Allumons un grand feu pour brûler notre histoire
Mets du bois au milieu, enfumons nos mémoires.

Allumons un grand phare, oublions nos aïeux
Nous jetant dans le noir, ils n’ont pensé qu’à eux

Et nous sommes devenus la proie des ouragans
Des enfants éperdus ballottés par le vent

Nous avons déserté traqués par les brigands
Les villes abandonnées, les rues pavées de sang

Loin des palais de marbre, pleurant notre abandon
A genoux sous les arbres nous demandons pardon.

La fin du monde… et après ?

Si le post-apo est un sous-genre que j’apprécie en général beaucoup, il faut reconnaître que l’on retrouve un peu trop souvent le même schéma d’un roman à l’autre : soit l’auteur met en scène de manière spectaculaire ce qui va causer la disparition de notre monde (des zombies, une épidémie, des catastrophes naturelles…), soit il se focalise sur ce qui se passe aussitôt après, alors que les survivants ont encore la possibilité de survivre sur les ruines de nos civilisations (les voitures fonctionnent, on trouve toujours de la nourriture en conserve…). En ce qui me concerne, j’ai toujours été plus attirée par ce qui pourrait se passer bien après le drame, lorsqu’il est devenu impossible pour les humains de continuer à exploiter les restes de nos civilisations disparues sans que le souvenir de celles-ci ait pour autant été complètement effacé. Quel type de société pourrait alors émerger ? Quel mode de gouvernement, quelles techniques inventées (ou retrouvées) pour se nourrir, se vêtir, se laver, bref, pour mener à bien toutes les tâches de la vie quotidienne ? Les récits qui se posent la question sont rares (ou en tout cas je n’ai pas encore eu l’occasion d’en lire beaucoup) et c’est justement ce qui m’a attiré dans le roman de Loïc Le Borgne. L’action d’« Hysteresis » se situe ainsi une quarantaine d’années après la Panique, un événement jamais précisément défini dans le roman mais dont on comprend sans mal qu’il correspond à l’effondrement de notre monde moderne. Tant bien que mal, les survivants se sont organisés en petites communautés aujourd’hui peuplées de gens qui, à de rares exceptions près, n’ont jamais connu le monde avant le drame. Parmi les exceptions, on trouve justement Jason Marieke, un voyageur qu’on voit un beau jour débarquer à Rouperroux, un petit village isolé dans lequel les habitants mènent une vie difficile, faite de labeurs et de peu de distractions. Or, ces habitants voient d’un très mauvais œil l’arrivée de ce vestige de l’ancien monde qui enquiquine tout le monde avec ses questions et fait remonter de vieux secrets que certains ont tout intérêt à ne pas voir divulguer.

Un thriller écologique haletant

Loïc Le Borgne construit son récit de manière fort habile, exacerbant lentement mais sûrement les tensions qui règnent dans le village jusqu’à ce que la situation finisse inévitablement par éclater. Le principal atout du roman réside ainsi dans son ambiance résolument sombre et inquiétante qui ne laisse pas indifférent. Dès l’arrivée de Jason, on sent que quelque chose cloche dans ce village, impression renforcée par le comportement des habitants qui vient accroître le malaise du lecteur. Il y a d’abord les jumelles, Mélusine et Mélopée, deux petites pestes tyranniques et tout à fait terrifiantes en dépit de leur jeune âge. Il y a aussi ce culte étrange que vouent quelques uns des habitants aux fées et aux arbres, et les châtiments qui découlent d’un non respect à leur égard. Et puis il y a ce passé que personne ne veut évoquer, et ces gens qui ont disparu de la circulation entre deux recensement sans que personne ne veuille évoquer ce qui a pu leur arriver… Le lecteur tourne les pages avec fébrilité mais aussi avec une certaine angoisse qui n’est d’ailleurs pas uniquement due au comportement des habitants mais aussi au décor. Plus de lumière pour se rassurer la nuit, une proximité avec la forêt qui accroît les risques d’attaques de brigands ou de bêtes, le froid, les tempêtes… : les personnages d’« Hystersis » renouent avec des peurs anciennes qu’une partie du monde a aujourd’hui totalement occulté. Les habitants de Rouperroux possèdent malgré tout quelques avantages, à commencer par les installations datant de l’époque médiévale et soigneusement entretenues par la commune avant la Panique. Le lavoir reprend ainsi du service tandis que les paysans renouent avec les vieilles méthodes de labourage et redécouvrent les vertus des arbres et des plantes qui les entourent. La dimension écologique est très importante dans le roman puisqu’on comprend rapidement que la Panique s’est déclenchée à cause de nous, de notre impact sur l’environnement qui a fini par se retourner contre nous (catastrophes naturelles, déclenchement d’épidémies…). Les nouvelles générations entretiennent ainsi une profonde rancœur à l’égard de leurs proches ancêtres qui savaient ce qui se passait mais qui aimaient trop « leur confort et leurs voitures » pour agir avant le désastre.

Un roman sensible et plein de poésie

La narration est assurée par Romain, un jeune garçon du village qui va servir de guide à Jason Marieke dès son arrivée. On s’attache sans mal au gamin qui manifeste constamment une volonté de bien faire et qui s’émerveille de choses qui nous semblent, à nous lecteurs, tout à fait banales (un ballon de basket, la lumière artificielle…). Cette narration à la première personne oblige toutefois l’auteur à ruser de temps à autre si bien que le roman change à plusieurs reprises brièvement de point de vue lorsque Romain retranscrit des extraits des journaux intimes rédigés par d’autres personnages. Difficile d’ailleurs de ne pas se prendre également d’affection pour Jason et Gabrielle qui, en dépit de leur âge, se trouvent au milieu d’une très belle histoire d’amour traitée avec beaucoup de délicatesse. La plupart des autres villageois ne sont en revanche pas vraiment à leur avantage sans pour autant être stéréotypés ou bâclés : la plupart agissent par peur, par fanatisme, ou encore par simple passivité autant de motivations qui les rendent très humains ce qui participe là encore à accroître le malaise du lecteur. Comme si toutes ces qualités ne suffisaient pas, le roman est également porté par une très belle plume, Loïc Le Borgne disposant d’une écriture soignée, prompte à émouvoir le lecteur. Ce dernier sera également ravi de retrouver un peu partout dans le roman de nombreux extraits de chansons ou poèmes pré-Panique composés par l’auteur lui-même ou par de grands chanteurs ou écrivains (Bob Dylan, Jim Morrison, Jacques Brel (« Ces gens-là », bien sûr), Keats, Shakespeare… Tout les passages ne sont pas faciles à reconnaître mais participent à créer une ambiance très particulière et s’insèrent parfaitement dans le récit, venant tour à tour compléter une phrase ou illustrer un événement ou un sentiment général. L’ouvrage fourmille également de comptines ou chansons populaires souvent inquiétantes qui renforcent l’aspect pesant du récit, de même que tout le folklore développé par les nouvelles générations autour des fées.

Loïc Le Borgne signe avec « Hystéresis » un excellent roman qui séduit aussi bien par la qualité de ses personnages que par son ambiance inquiétante ou encore son traitement original du post-apo. Une très belle surprise que je vous recommande chaleureusement !
N. B. : Si vous êtes curieux de découvrir d’autres récits post-apo qui adoptent le même parti pris que dans le roman (dépeindre notre monde ni au moment du cataclysme, ni juste après), je vous conseille la lecture des nouvelles suivantes : « Les premiers jours de mai » de David Chambost (dans « Tremplin pour l’Utopie »), ou encore « Annoncer la sentence » de S. M. Stirling (dans « Dangerous Women »). Si vous avez d’autres exemples de ce type, je suis preneuse !

Autres critiques :
Acaniel (Blog culturel)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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