Fantasy

Maître des djinns

Titre : Maître des djinns
Auteur : Phenderson Djeli Clark
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2022 (février)

Synopsis : Fatma el-Sha’arawi est une énergique et compétente enquêtrice du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles. Et la voici en charge de l’assassinat collectif de la Fraternité d’al-Jahiz par un inconnu qui se prétend… al-Jahiz lui-même, le puissant mystique qui a ouvert la porte de l’Égypte à la magie et aux djinns cinquante ans plus tôt. Imposture ? Ça ne fait aucun doute pour Fatma. Mais encore faut-il identifier et traquer ce mystérieux terroriste que des pouvoirs inouïs rendent, semble-t-il, invulnérable. Une enquête à tiroirs à l’issue de quoi on dirait bien que notre héroïne devra encore sauver le monde.

La ville avait vu le jour dans le cadre d’un projet gouvernemental visant à peupler les régions isolées grâce à un système d’irrigation conçu par les djinns. La Colonie avait été construite dans le désert occidental, à l’est d’ad-Dakhla/ Nul ne savait ce qui s’était réellement passé, mais la communauté toute entière avait disparu en l’espace de quelques mois et les goules avaient envahi la ville. Le ministère avait procédé à une extermination en règle et déclaré la zone assainie. Pourtant, à peine un an plus tard, elle pullulait de nouveaux monstres. Chaque tentative d’éradication aboutissait au même résultat.

De la novella au roman

Remarqué en France grâce à la publication de plusieurs de ses novellas l’an dernier (« Les tambours du dieu noir » et « Ring shout – Cantique rituel », notamment), Phenderson Djeli Clark signe ici son premier roman et nous replonge dans l’univers de deux de ses autres textes : « L’étrange affaire du djinn du Caire » et « Le mystère du tramway hanté ». Retour donc dans une Égypte du début du XXe siècle uchronique, propulsée au rang de grande puissance mondiale suite à l’ouverture d’une porte laissant entrer la magie et les djinns dans notre monde. Rivalisant désormais avec les grandes nations du Vieux Continent, qui ont, elles, tendance à péricliter, le pays a acquis une certaine stabilité et occupe un rôle central sur la scène internationale. Une stabilité sur le point de voler en éclat avec l’arrivée en ville d’un perturbateur prétendant être Al-Jahiz en personne, le fameux mystique qui est parvenu a ouvrir une porte entre notre monde et celui des djinns cinquante ans plus tôt, et qui n’a pas reparu depuis. Le Ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles, lui, penche plutôt sur la piste de l’imposteur, d’autant que le prétendu mystique n’a pas fait dans la dentelle pour annoncer son retour, puisqu’il s’est rendu coupable de l’assassinat d’une vingtaine de personnes, tous membres d’une société secrète se revendiquant justement… d’Al-Jahiz. C’est à Fatma, héroïne de « L’étrange affaire du djinn du Caire », qu’est confiée la délicate mission de démasquer l’imposteur et de cerner ses intentions avant que le chaos ne s’empare définitivement de la ville. Son enquête se révélera toutefois bien plus complexe que prévu, son adversaire disposant de capacités extraordinaires à même de semer le doute dans l’esprit de nombreux Cairotes. Et les enjeux ne cessent de grimper ! Car si l’objectif est dans un premier temps de mettre la main sur un meurtrier et d’apaiser les tensions naissantes à l’encontre des cultes anciens, les interventions toutes plus spectaculaires les unes que les autres de l’imposteur vont très vite semer le chaos dans la capitale égyptienne. Or, entre l’organisation d’une conférence pour la paix visant à prévenir l’apparition d’un conflit en Europe, l’aggravation des inégalités sociales et la présence d’une machinerie capable de changer le rapport de force entre les djinns et les hommes, celle-ci s’apparente de plus en plus à une poudrière.

L’Égypte sur le devant de la scène internationale

L’intrigue de ce premier tome est assez classique et valide un certain nombre de passages obligés typiques de ce genre de récit : multiplication de fausses pistes, succession de rencontres avec des personnalités marquantes, faux coupable idéal, évolution du mobile…Le mélange polar/fantasy fonctionne bien, et rappelle d’autres œuvres du même type, de la série « Garrett » de Glen Cook à celle de « Lasser, détective des dieux » de Sylvie Miller et Philippe Ward, oeuvre à laquelle on pense plus particulièrement ici puisque le cadre, à défaut du ton, est similaire. Le contexte est le même que dans les précédentes novellas se déroulant au Caire mais en plus étoffé, puisqu’on a cette fois davantage d’échos de ce qui se passe sur les autres continents. En Europe, l’auteur a l’air de vouloir rester fidèle au contexte historique puisqu’on est, en 1912, tout prêt d’un conflit armé généralisé. On apprend, par contre, que la magie ne s’est pas arrêtée aux frontières de l’Égypte et que chaque pays a vu se réveiller un nombre variable de créatures issues de son propre folklore. En Orient, la situation est plus intéressante, puisque l’auteur mentionne un contexte géopolitique plus éloigné de celui de nos livres d’histoire, avec l’émergence de mouvements indépendantistes dans un Empire ottoman à deux doigts du délitement, une montée des nationalismes et des difficultés pour les puissances européennes de maintenir leur présence dans leurs colonies. Du côté de l’Égypte, le pays est toujours traversé par des tensions et travaillé par des minorités critiques envers l’ordre établi et qui revendiquent de nouveaux droits. C’est le cas notamment des femmes (leur accès au droit de vote était d’ailleurs au cœur de la nouvelle « Le mystère du tramway hanté »), mais aussi, dans une moindre mesure, des djinns, des adeptes des cultes anciens (c’est-à-dire des divinités du panthéon égyptien antique), et même des classes populaires dans leur ensemble. Sans s’attarder plus longuement que nécessaire, l’auteur dresse le portrait d’une société tiraillée entre traditions et modernité et qui ne s’est pas encore totalement habituée aux changements apportés par l’intrusion du surnaturel dans son univers.

L’Inde, habitée par ses propres djinns, regorgeait d’une magie encore plus ancienne, qui, disait-on, coulait dans les eaux mêmes du Gange. Une rébellion ouverte avait réduit la présence britannique à une poignée de villes tenues par des garnisons, vestiges de l’ancien joyaux impérial.

Une enquête féministe

En ce qui concerne la magie évoquée ici, on est à nouveau dans quelque chose d’assez classique, même si l’inspiration égyptienne du bestiaire permet quelques originalités. L’auteur semble d’ailleurs prendre beaucoup de plaisir à jouer avec les stéréotypes propres au folklore oriental pour mieux les détourner et interroger nos représentations occidentales. On peut également signaler quelques belles trouvailles qui donnent lieu à des scènes impressionnantes et particulièrement immersives comme la visite de l’enquêtrice dans le sanctuaire des Anges ou celle de la bibliothèque du Ministère, gardée par un djinn bibliophile déroutant. Cette omniprésence des livres et des textes anciens est quelque chose qui perdure tout au long du roman, et c’est aussi ce qui lui donne une partie de son charme. L’auteur s’est en effet inspiré de nombreux écrits médiévaux ou de contes tirés du folklore égyptien pour construire son intrigue, et le résultat est, de ce point de vue, plutôt réussi. Le récit souffre malgré tout de quelques lacunes, à commencer par un rythme erratique, des scènes d’action un peu confuses et trop longues et des rebondissements souvent trop prévisibles. Les personnages sont pour leur part plutôt réussis, même si, là encore, l’auteur réutilise un certain nombre de profils types : le policier bourru mais compétent, l’intello pataud mais brillant, la nouvelle recrue pleine de zèle… On retrouve avec plaisir certains personnages des précédentes novellas et, là encore, ce sont les femmes qui occupent le devant de la scène. L’occasion d’insister sur les discriminations dont elles sont victimes, mais aussi de prendre le contre-pied de ce genre de récit dans lequel les femmes sont souvent cantonnées à un rôle de subalterne. Fatma n’est ainsi pas la seule à se retrouver au cœur de l’action puisqu’elle est entourée de plusieurs coéquipières bien campées, qu’elles soient guerrière bas-ass ou enquêtrice minutieuse.

Phenderson Djeli Clark signe avec « Maitre des djinns » un premier roman solide qui mêle agréablement enquête policière et fantasy tout en continuant de mettre en avant des sujets de société liés au racisme, au sexisme ou à la colonisation. Le contexte uchronique dans lequel se déroule l’histoire offre des perspectives passionnantes qui mériteraient d’être davantage exploitées. L’engagement féministe manifeste de l’auteur participe à l’intérêt que l’on trouve au récit qui, bien que ponctuellement plombé par des maladresses, n’en demeure pas moins réjouissant à suivre.

Autres critiques : Apophis (Le culte d’Apophis) ; Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Le nocher des livres ; Les chroniques du Chroniqueur

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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