Fantasy

Les tambours du dieu noir

Titre : Les tambours du dieu noir
Auteur : P. Djeli Clark
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2021 (avril)

Synopsis : Louisiane. Années 1880. Tandis qu’une guerre de Sécession interminable démantèle les États-Unis d’Amérique, un complot menace La Nouvelle-Orléans, territoire indépendant libéré de l’esclavage, au cœur duquel les Tambours du dieu noir, une arme dévastatrice jalousement gardée, attisent les convoitises. Le Caire. 1912. Depuis une cinquantaine d’années, les djinns vivent parmi les hommes et, grâce à leur génie mécanique, l’Égypte nouvelle s’est imposée parmi les puissants. Ce qui ne va pas sans complications… Pour preuve l’étrange affaire du djinn du Caire, que se voit confier une agente du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles. C’est une machination diabolique que Fatma va mettre au jour.

P. Djeli Clark débarque en France

Premiers textes traduits en français de l’auteur Phenderson Djeli Clark, « Les tambours du dieu noir » et « L’étrange affaire du djinn du Caire » ont récemment été édités par l’Atalante dans un petit recueil d’à peine plus de cent pages et ne regroupant que ces deux seules nouvelles. Un format court intéressant, qui fait un peu penser à ce que peut proposer Le Bélial dans sa collection Une Heure Lumière et qui permet de se familiariser avec les écrits d’un auteur pour l’heure inconnu chez nous. Les deux textes ont ceci en commun qu’ils sont des uchronies : le premier se déroule dans une Louisiane de la fin du XIXe devenue indépendante et où l’esclavage a d’ores et déjà été aboli ; le second en 1912 dans une Égypte devenue une grande puissance mondiale et peuplée de djinns, goules et autres créatures surnaturelles. Autre point commun : le choix de mettre en avant des protagonistes essentiellement féminins. On fait ainsi la connaissance dans « Les tambours du dieu noir » d’une jeune vagabonde, Jacqueline (qui préfère toutefois qu’on l’appelle « La Vrille »), qui assiste par hasard à une conversation laissant entendre qu’un complot serait en préparation contre la ville de la Nouvelle-Orléans. L’héroïne décide alors de se rapprocher d’une célèbre contrebandière pour monnayer les informations qu’elle est parvenue à glaner, et ainsi s’assurer d’un moyen sûr pour quitter enfin cette ville dans laquelle elle étouffe. La seconde nouvelle met en scène Fatma el-Sha’arawi, une enquêtrice cairote spécialisée dans la résolution de mystères liés aux entités surnaturelles et confrontée à la mort inexplicable et spectaculaire d’un djinn dans un quartier huppé de la capitale égyptienne. Très vite, d’autres événements étranges surviennent et font craindre à l’investigatrice l’existence d’un vaste complot menaçant la ville du Caire, voire bien plus.

Nouvelle-Orléans, uchronie et divinités africaines

Le premier texte est bien ficelé et met en scène une période et un décor qui dépayseront sans mal le lecteur d’ordinaire plus habitué aux uchronies européano-centrées. Le récit insiste en effet essentiellement sur la situation des Antilles à la fin du XIXe et imagine un Napoléon défait par Toussaint Louverture, et non l’inverse. Un renversement qui a pour principale conséquence l’émergence d’îles libres dans les Caraïbes mais aussi un renforcement général de la volonté émancipatrice des esclaves en Amérique, d’où la situation particulière de la Nouvelle-Orléans. Les personnages mis en scène sont évidemment le reflet de cette histoire revisitée et leur profil rend compte de la diversité qui règne dans la cité depuis l’obtention de son statut de ville libre. L’abolition anticipée de l’esclavage dans cette région n’est d’ailleurs pas du goût de tout le monde, et le spectre de la Guerre de Sécession, bien plus longue et quelque peu différente de celle que l’on connaît, plane sur la ville et vient ajouter à la tension ambiante. Le surnaturel vient également pimenter l’uchronie puisque la défaite de Napoléon est ici due en partie à l’utilisation par les populations locales « des tambours du dieu noir », une arme dévastatrice et incontrôlable reposant sur la puissance de divinités africaines dont le culte a traversé l’Atlantique en même temps que les millions d’esclaves arrachés à leurs terres pour travailler sur les plantations américaines. L’influence exercée par ces divinités africaines (avec lesquelles certains personnages, dont l’héroïne, sont même étroitement en contact) n’est d’ailleurs par le seul aspect de la novella faisant référence aux origines plurielles de la quasi totalité de la population de la Nouvelle-Orléans. L’auteur a ainsi fait le choix de rendre audible par le lecteur les différences d’intonations entre des personnages issus d’horizons divers, ce qui demande dans un premier temps une légère adaptation. Cela donne en effet lieu à des dialogues un peu longs à déchiffrer, à base de « tanzantan » de « épisétou » ou encore de « vous vini avec mwen » : loin d’être désagréable, cette volonté de retranscrire les accents des différents personnages permet de renforcer l’immersion du lecteur dans ce décor finalement assez peu employé en fantasy. A la qualité de l’immersion s’ajoute également une intrigue bien construite, avec des rebondissements permanents, le tout porté par un duo féminin détonnant.

Enquête dans une Égypte revisitée

La seconde nouvelle, « L’étrange affaire du djinn du Caire », est un peu plus classique, moins dans le choix de son décor que dans celui du cadre surnaturel dans lequel se déroule l’intrigue (c’est loin d’être la première fois qu’on nous fait le coup de l’enquêteur/enquêtrice exerçant parmi une population comptant aussi bien des humains ordinaires que des créatures surnaturelles…). Le postulat uchronique choisi est cela dit intéressant puisqu’il met en avant une Égypte du début du XXe propulsée au rang de puissance mondiale et profondément transformée par les innovations techniques permises par l’intrusion de la magie dans notre univers. L’enquête reprend elle aussi pas mal de codes typiques de ce genre de récit mais reste néanmoins agréable à suivre, notamment grâce à la personnalité de l’héroïne. Là encore ce sont les femmes qui sont mises à l’honneur, et la jeune femme mise en scène ici n’a aucun mal à convaincre le lecteur de son talent ni de ses antécédents. Il est également appréciable de rencontrer des créatures surnaturelles un peu plus exotiques que ce dont on a l’habitude dans d’autres récits du même acabit et qui mettent peu ou prou en scène le même bestiaire. Ici, les djinns côtoient les esprits élémentaires, les anges ou encore les membres du clergé d’Hator ainsi que d’autres divinités égyptiennes dont le culte a retrouvé une seconde jeunesse grâce à la résurgence de la magie. A noter qu’un second ouvrage de l’auteur a été édité par l’Atalante (« Le mystère du tramway hanté ») et qu’il reprend lui aussi le contexte de « L’étrange affaire du djinn du Caire » ainsi que des membres de la brigade du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles.

Avec « Les tambours du dieu noir » et « L’étrange affaire du djinn du Caire », P. Djeli Clark fait une entrée remarquée sur la scène de l’imaginaire et séduit aussi bien par la qualité de sa plume et de ses personnages que par sa volonté d’exploiter le passé et la culture de territoires trop peu évoqués en fantasy ou en SF. Le format court pour lequel a opté l’éditeur est quant à lui une bonne idée puisqu’il permet de se familiariser à peu de frais avec les textes d’un auteur encore inconnu chez nous.

Voir aussi : Le mystère du tramway hanté

Autres critiques : Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel) ; Apophis (Le culte d’Apophis) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Les Chroniques du Chroniqueur ; Le nocher des livres ; Lutin82 (Albédo-Univers imaginaires) ; Ombrebones (Chroniques de l’Imaginaire)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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