Essai

La présidence Macron sous enquêtes

La présidence Macron sous enquêtes

Titre : La présidence Macron sous enquêtes
Auteur : La rédaction de Mediapart et Bruno Mangyoku
Éditeur : La Revue dessinée [site officiel]
Date de publication : janvier 2022

Synopsis : De Rugy, Dupond-Moretti, Benalla, Kohler, Darmanin : la présidence Macron n’a pas échappé aux scandales politico-financiers, contrairement aux promesses faites lors de son accession au pouvoir. Lumière sur un bilan du quinquennat que le pouvoir actuel aurait préféré laisser dans l’ombre.
Un album signé Mediapart et La Revue Dessinée avec Bruno Mangyoku au dessin.

Le secret des sources est indispensable à l’exercice du journalisme, à l’existence d’une presse indépendante et au droit à l’information des citoyens.

Une fois n’est pas coutume, j’ai sauté sur l’occasion d’acquérir l’un des ouvrages où Mediapart, en partenariat avec la Revue dessinée, publie ses enquêtes en version BD. Avec La présidence Macron sous enquêtes, il s’agit de faire début 2022 le bilan d’un quinquennat sous stéroïdes judiciaires, et ce n’est pas peu dire.

Cinq actes manqués du quinquennat

Ce livre met en scène le dévoilement méthodique de cinq affaires politico-judiciaires entre 2017 et 2022. Premier acte, l’affaire De Rugy : François Goullet de Rugy est une figure montant du macronisme, venant de l’écologie politique, et successivement sont dévoilés ses dîners fastueux, son appartement de fonction redécoré à grands frais et son mauvais usage de ses indemnités de député, montrant la perte des beaux principes en s’approchant des cimes du pouvoir. Deuxième acte, l’affaire Kohler : Alexis Kohler est la personnalité la plus proche d’Emmanuel Macron, et ce depuis de nombreuses années ; or, ses conflits d’intérêts avec MSC et tout ce qui en découle en matière d’abus de pouvoir montrent une réelle déliquescence des hauts fonctionnaires dans le pantouflage et la recherche de profits lucratifs. Troisième acte, l’affaire Benalla : de ce jeune garde du corps proche du pouvoir élyséen, tout vole en éclats avec ses violences sur manifestants le 1er mai 2018, mais il est également accusé d’usurpation d’uniformes, d’abus de pouvoir, d’usage abusif de passeports diplomatiques et d’un téléphone secret défense, de port d’arme prohibé (déjà condamné), tandis que la disparition d’un coffre pouvant contenir des preuves pose autant question qu’une éventuelle corruption en lien avec des contrats russes ; c’est tout un pan caché du pouvoir macronien qui se dévoile. Quatrième acte, l’affaire Dupond-Moretti : très en pointe médiatique sur quantité de procès du temps où il était « Acquittator », l’avocat « as des barreaux », Éric Dupond-Moretti mélange les genres et les conflits d’intérêts une fois arrivé en poste de ministre de la Justice en diligentant des enquêtes ciblées sur d’anciens adversaires au sein de la magistrature. Enfin, cinquième acte, l’affaire Darmanin : ou comment un ministre doublement accusé de viols se retrouve à devenir ministre de l’Intérieur et donc le supérieur de policiers devant enquêter à son propos.

Sens de l’ouvrage

La rédaction de Mediapart fonctionne en équipe large : Fabrice Arfi, Lenaïg Bredoux, Michel Deléan, Mathilde Goanec, Pauline Graulle, Michaël Hajdenberg, Mathilde Mathieu, Laurent Mauduit, Martine Orange, Yann Philippin, Antton Rouget, Ellen Salvi, Matthieu Suc et Marine Turchi. Or, il s’agissait ici, semble-t-il, de dresser un portrait global des gouvernements Philippe et Castex de ce quinquennat (2017-2022). Des cinq procédures choisies, à chaque fois, ce sont des affaires à tiroirs, intéressantes pour elles-mêmes certes, mais également pour ce qu’elles disent des pouvoirs en place. Bien sûr, il y a la difficulté de juger rapidement ces affaires pourtant décisives et c’est le travail de ces journalistes que d’éclairer au mieux les citoyennes et citoyens sur la réalité de l’exercice du pouvoir, avant que la justice ne s’empare de ces éléments pour juger, au vu du droit, de la culpabilité ou de l’innocence des personnes concernées (sachant qu’il y a plusieurs zones d’ombre dans ces dossiers qui relèvent parfois plus de l’éthique que de la légalité). Le dessinateur Bruno Mangyoku a alors un travail un peu ingrat, il doit répondre au défi de devoir représenter des faits bruts sans enjoliver une réalité ou affabuler sur des scènes impossibles à connaître dans leurs détails ; d’ailleurs, il est explicitement mentionné dans certaines pages les choix parfois originaux qui peuvent être faits (recherche de l’objectivité jusqu’au bout oblige). L’ensemble est efficace, l’amoncellement de faits prouvés faisant parfaitement saisir la situation constante, et assumée à force, de connivences, de conflits d’intérêts, d’ententes familiales ou personnelles, bref d’intérêts de classe à défendre bec et ongles.

Pour aller plus loin

Pour suivre régulièrement le site de Mediapart, il est évident que l’équipe de rédaction a dû faire des choix dans tout ce qu’elle a pu révéler de conflits d’intérêts et d’affaires politico-judiciaires. Les élections présidentielle et législatives approchant, il semblait évidemment naturel de se pencher sur le bilan du quinquennat (histoire de rappeler qu’ils n’ont pas juste sorti l’Ibizagate de Jean-Michel Blanquer, révélation qui, là, a été tout de suite massivement reprise par les médias dominants). D’ailleurs, comme une postface exposée à regrets, la rédaction précise d’autres affaires qui, à l’inverse des cinq actes du livre, n’ont pas donné lieu à des enquêtes au cours aussi long (pour le reste, on attend que la justice ait le temps et les moyens de faire son travail). C’est pourquoi, dans cette postface très costaude, la rédaction de Mediapart ajoute quelques informations brutes sur les accusations de racisme, d’homophobie et de harcèlement pour Laëtitia Avia, de corruption pour Olivier Dussopt, d’agressions sexuelles et de viols pour Nicolas Hulot, d’abus de biens publics en cascade pour Jean-Jacques Bridey, de prise illégale d’intérêts pour Richard Ferrand, de manquements fiscaux pour Laura Flessel-Colovic, de favoritisme et recel de favoritisme pour Muriel Pénicaud, d’abus de confiance et escroqueries pour François Bayrou, d’erreurs fiscales pour (encore) Éric Dupond-Moretti, de multiples conflits d’intérêts dissimulés pour Jean-Paul Delevoye et de déclarations mensongères et abus de confiance pour Alain Griset (récemment condamné). Bref, c’est un tableau judiciaire du gouvernement absolument dantesque, donnant à croire que la majorité du quinquennat 2017-2022 a pris le pire des gouvernements précédents (LR/UMP/RPR entre 2002 et 2012, puis PS entre 2012 et 2017).

En somme, La présidence Macron sous enquêtes vaut franchement le détour, pas pour le dessin qui fait le métier avant tout, mais surtout pour le condensé de journalisme d’investigation que cela procure en peu de temps.

Autres critiques :

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

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