Divers "transcatégoriques"

Et si Napoléon…

Titre : Et si Napoléon…
Directrice de l’anthologie : Stéphanie Nicot
Auteurs/Autrices : Laurent Poujois – Au service secret de l’empereur ; Jean-Claude Dunyach – La dynamique de la révolution ; Fabien Cerutti – La nouvelle campagne de Russie ; Johan Héliot – L’empereur d’un autre monde-mort ; Silène Edgar – Tout se distille ; Thibaud Latil-Nicolas – Crassus et Auguste ; Jean-Philippe Jaworski – Implacable Clio ; Raymond Iss – Le dernier rêve de Napoléon ; Jean-Laurent del Socorro – L’Horatius Coclès du Tyrol ; Victor Dixen – Cent Jours sans lui ; Armand Cabasson – Dernier soleil ; Ugo Bellagamba – Mémorial de Philae ; Michael Roch – Rêves d’égalité ; Bertrand Campeis et Karine Gobled – Postface : « Napoléon et l’uchronie »
Éditeur : Mnémos
Date de publication : 2021 (mai)

Synopsis : Né le 15 août 1769 à Ajaccio et mort le 5 mai 1821 à Sainte-Hélène, Napoléon est une figure contestée, mais incontournable, de l’histoire de France. Douze auteurs et une autrice (les femmes ne lui ont pas pardonné leur statut d’éternelle mineure inscrit dans le Code civil !) ont donc relevé un défi digne du bicentenaire : raconter des histoires alternatives à celle que nous connaissons, qu’il s’agisse d’un Empire qui se survit un temps (« La Nouvelle campagne de Russie », « Crassus et Auguste », « Tout se distille », « Implacable Clio ») ou d’un songe qui passe (« L’Horatius Coclès du Tyrol », « Le dernier rêve de Napoléon », « Cent-Jours sans lui », « Dernier soleil »). Adepte des armes de destruction massive (« Au Service Secret de l’Empereur », « La Dynamique de la révolution »), mais aussi pharaon d’Égypte (« Mémorial de Philæ »), fan de rencontre du troisième type (« L’Empereur d’un autre monde ») ou défenseur des droits humains (« Rêves d’égalité »), Napoléon est vraiment, grâce à la fine fleur de l’uchronie, dans tous ses états !

Commémorer Napoléon ? Non !

Voilà deux cents ans que Napoléon est mort. L’information n’a pas pu vous échapper tant la question de l’hommage à rendre ou pas au personnage a fait les gorges chaudes des chaînes d’info pendant plusieurs mois. N’étant personnellement pas fan du personnage (bien qu’adorant la période) et exécrant par dessus tout le « roman national » vendu par les historiens amateurs qui pullulent dans les grands médias (ah Franck Ferrand…!), je m’étais jusqu’à présent sagement tenue à l’écart des polémiques sur le sujet, de même que des nombreuses déclarations d’amour béates à ce grand homme qui aurait sauvé le destin de la France. Et puis voilà que l’imaginaire s’empare à son tour du sujet par le biais de cette anthologie dirigée par Stéphanie Nicot qui réunit ici treize plumes françaises parmi les plus talentueuses, de Jean-Philippe Jaworski à Fabien Cerutti en passant par Silène Edgar, Jean-Laurent del Socorro, Thibaud Latil-Nicolas ou encore Johan Héliot. La préface signée par la directrice de l’ouvrage aura fini de me convaincre : la volonté n’est pas ici de célébrer Napoléon mais de profiter du terrain de jeu exceptionnel que constitue pour des auteurs et autrices de SFFF les périodes révolutionnaires et impériales. Les points de vue adoptés par les différentes plumes présentes au sommaire de l’anthologie sont effectivement assez variés et, si certains ne résistent pas à laisser poindre leur admiration pour le génie tactique ou le grand visionnaire, la plupart des textes demeurent mesurés et cherchent au contraire à nuancer tant l’aura exceptionnelle qu’on a accolé au petit Corse que le bien fondé de ses décisions pour l’avenir de la France aussi bien que de l’Europe, et même des États-Unis. Les nouvelles sont ici classées en trois grands ensembles thématiques : le premier recense les textes relatant une victoire implacable (quoiqu’évidemment différente de celle véhiculée par l’histoire officielle) de Napoléon ; le second réunit les auteurs ayant imaginé un Empire perdurant bien au-delà de 1815 tandis que le troisième (plus conséquent) rassemble les textes imaginant un destin différent au général, et par conséquent à l’Europe toute entière.

L’empire vainqueur

La première grande partie intitulée « L’empire vainqueur » regroupe quatre textes de longueurs variables mais qui tournent presque tous autour des campagnes militaires de l’empereur, à commencer par celle de Russie. Avec Au service secret de l’empereur », Laurent Poujois nous offre une première nouvelle bien ficelée mais un peu courte mettant en scène l’ingénieur Robert Fulton (inventeur du bateau à vapeur) et sa course folle pour fuir l’Angleterre afin d’entrer au service de Napoléon. L’auteur adopte les codes du roman d’aventure et d’espionnage classique, ce qui s’avère globalement efficace quoique trop peu développé. Jean-Claude Dunyach opte lui aussi pour un texte très court (et déjà paru dans un précédent recueil de l’auteur) et nous décrit dans « La dynamique de la Révolution » un Lavoisier passé au service de Napoléon et assistant à la bataille de Waterloo au cours de laquelle l’empereur a prévu d’utiliser plusieurs de ses innovations techniques. Là encore le texte est trop bref pour marquer durablement le lecteur (quatre pages…) mais la plume de l’auteur et l’ironie qui s’en dégage demeurent toujours aussi agréables. A l’inverse de ses deux confrères, Fabien Cerutti mise sur un format plus long avec « La nouvelle campagne de Russie ». Fidèle à ce qu’il a déjà pu faire dans « Le bâtard de Kosigan », l’auteur a compulsé une solide documentation et se plaît à jouer avec notre histoire pour lui faire prendre des chemins que l’on n’attendait pas. Si Napoléon est bien au cœur du récit, d’autres personnages sont également mis en avant à commencer par l’une des sœurs de ce dernier, Pauline Bonaparte, ainsi que le marquis de La Fayette. Le choix de mêler enjeux européens et américains est intéressant, de même que la volonté d’atténuer le charisme du Corse en rendant sa sœur responsable (dans l’ombre) de ses plus grands succès, néanmoins j’ai eu un peu de mal avec le personnage de La Fayette que l’auteur dépeint ici comme le chantre de la liberté et de l’égalité et un ardent défenseur du peuple… Quand on connaît les prises de position du marquis à l’époque, on tique un peu. Johan Héliot reste lui aussi fidèle à ce qu’il a pu faire dans ses précédentes œuvres, à commencer par la dernière en date (« Le grand siècle ») puisque, après avoir imaginé la rencontre entre Louis XIV et une entité extraterrestre, l’auteur se plaît ici à attribuer à la rencontre entre l’empereur et une créature toute aussi mystérieuse le succès (fictif) de la campagne de Russie.

L’empire toujours

La seconde partie, baptisée « L’empire toujours » réunit trois autres nouvelles qui figurent parmi mes préférées sur l’ensemble du recueil. La palme revient à Silène Edgar (d’ailleurs seule autrice de l’anthologie) qui nous offre avec « Tout se distille » une nouvelle rafraîchissante dans laquelle Napoléon et son empire n’occupent qu’une place marginale et s’effacent au profit d’une poignée de figures populaires, bien éloignées des considérations politiques qui se trouvaient jusqu’à présent au cœur des autres récits. Le texte est bien écrit, l’intrigue bien ficelée, et la conclusion drôle et parfaitement appropriée. Thibaud Latil-Nicolas tire lui aussi son épingle du jeu avec « Crassus et Auguste », nouvelle dans laquelle l’empereur se retrouve à nouveau directement mis en scène mais dont la morale se révèle très éloignée de celle des précédentes nouvelles : parce qu’ils reposent sur un état de guerre permanent et sur l’extension infinie de leur puissance, « les empires ont pour seule vocation d’assister, un jour, à leur propre effondrement ». Là encore l’auteur se plaît à évoquer un scénario différent concernant le devenir de l’Europe au XIXe, et il faut admettre que les retournements d’alliances et les nouveaux enjeux dont il est question ici sont particulièrement convaincants. Jean-Philippe Jaworski nous offre pour sa part un texte aussi émouvant que référencé avec « Implacable Clio ». L’auteur y met en scène deux intellectuels du début du XXe siècle, Jean Giraudoux (écrivain, notamment réputé pour son ouvrage « La guerre de Troie n’aura pas lieu » et Gabriel Leroux (professeur d’histoire et d’archéologie mort durant la Première Guerre mondiale), tous deux entraînés malgré eux dans un conflit qui les dépasse sous la direction d’un empereur toujours aussi avide de conquête. Le parallèle avec la Grande Guerre saute aux yeux et les nombreux clins d’œil historiques et littéraires ne manqueront pas de ravir les connaisseurs, de même que l’excellente chute qui nous incite à voir d’un nouvel œil un classique de la littérature.

Quand l’Empire s’efface

Troisième partie de cette anthologie consacrée à Napoléon, « Quand l’Empire s’efface » rassemble les textes d’auteurs s’amusant à imaginer au général un autre destin que le sien. Pas d’empire, donc, ni de guerres de conquêtes mettant l’Europe à feu et à sang pendant des décennies. Alors quoi ? Raymond Iss et Jean-Laurent del Socorro ont eu l’excellente (et trop rare) idée de s’intéresser à Bonaparte non pas en tant qu’empereur mais en tant que général républicain. Car oui, Napoléon s’est d’abord fait connaître en menant plusieurs campagnes militaires au profit de la Révolution, avant de prendre définitivement son envol sous le Directoire dont il sera finalement l’un des fossoyeurs. Raymond Iss se plaît ainsi à imaginer dans « Le dernier rêve de Napoléon » un général certes talentueux mais n’ayant pas su tirer avantage de certains retournements politiques (notamment au moment de Thermidor) et qui n’a donc pas du tout eutla carrière qu’on lui connaît. Même parti pris pour Jean-Laurent del Socorro qui imagine dans « L’Horatius Coclès du Tyrol » une rivalité entre Bonaparte et un autre général au moins aussi talentueux et contemporain du Corse : Thomas Alexandre Dumas. On reconnaît bien là la patte de l’auteur, aussi bien dans le sérieux avec lequel il retranscrit la documentation sur laquelle il s’est appuyé que dans son souci de varier les profils de ses personnages afin de mettre en lumière des parcours atypiques. Armand Cabasson mise lui aussi, avec succès, sur l’originalité puisqu’il imagine un Napoléon vieillissant exilé depuis le début du XIXe au Mexique et endossant une toute dernière fois son costume de général pour offrir la victoire à une troupe de soldats étrangers œuvrant pour l’Armée française. La nouvelle se concentre exclusivement sur le sanglant affrontement entre troupes française et mexicaine et marque aussi bien par la qualité de son écriture que par le choix de l’auteur de délocaliser l’action en Amérique centrale. J’ai été moins convaincue par les textes de Victor Dixen (« Cent Jours sans lui ») et Ugo Bellagamba (« Mémorial de Philae ») qui mettent en scène un Napoléon ayant été détourné de son destin par une rencontre avec une entité surnaturelle. Le dernier texte (« Rêves d’égalité ») signé par l’auteur Michael Roch permet quant à lui d’évoquer brièvement la question du rétablissement de l’esclavage et de la politique coloniale de Napoléon mais la nouvelle m’a parue trop décousue et les personnages peu développés. Une très bonne posteface signée par Bertrand Campeis et Karine Gobled vient clore l’ouvrage et recense les différentes uchronies ayant été écrites sur Napoléon.

Pari réussi pour Stéphanie Nicot et les auteurs de cette anthologie qui échappe à l’écueil de la commémoration ou de l’hagiographie en proposant des portraits divers et nuancés de Napoléon et de son bilan. Les textes les plus critiques envers le personnage ou le mettant au second plan sont ceux qui m’ont le plus enthousiasmés (voir les nouvelles de Silène Edgar, Thibaud Latil-Nicolas, Jean-Philippe Jaworski), de même que ceux se focalisant davantage sur la période révolutionnaire (voir Jean-Laurent del Socorro et Raymond Iss) mais force est de reconnaître qu’il y en a pour tous les goûts et que l’ensemble est de très bonne facture. Avis aux amateurs d’histoire, donc.

Autres critiques : Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Lhotseshar (Au pays des cave trolls)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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