Science-Fiction

Nos futurs – Imaginer les possibles du changement climatique

Titre : No(s) futur(s) – Imaginer les possibles du changement climatique
Auteurs : Raphaël Granier de Cassagnac ; Claude Ecken ; Sylvie Lainé ; Estelle Faye ; Laurent Genefort ; Chloé Chevalier ; Catherine Dufour ; Jeanne A. Debats ; Jean-Marc Ligny ; Pierre Bordage
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2020 (juillet)

Synopsis : 10 textes de science, 10 textes de fiction : 20 regards issus de la rencontre entre scientifiques et créateurs d’imaginaire, pour explorer et expliquer les possibles du changement climatique. Inspiré par les rapports du GIEC, Nos Futurs donne à voir et à penser les innombrables facettes du lien entre le climat et nos sociétés : inégalités, biodiversité, urbanisme, santé, industrie… Un mélange original, éclairant et stimulant, et plus que jamais nécessaire : car chaque demi-degré compte, chaque année compte, chaque choix compte…

Que peut l’imaginaire pour l’écologie ?

Né suite à des échanges entre organisateurs et participants lors du festival des Utopiales 2018, « No(s) futur(s) » est un ouvrage un peu particulier, à mi-chemin entre le rapport scientifique et l’anthologie de SF. La lutte contre le réchauffement climatique et ses conséquences est au cœur de l’œuvre qui tente de mêler informations rigoureuses permettant de mieux cerner les enjeux du changement climatique et les options qui s’offrent à nous, et récits visant à rendre cette problématique plus humaine, plus palpable. Pour cette raison, l’anthologie rassemble à la fois des auteurs d’imaginaire francophones bien connus du grand public (Pierre Bordage, Jeanne A. Debats, Catherine Dufour, Jean-Marc Ligny…) et des experts scientifiques qui interviennent tour à tour sur la base d’un rapport spécial du GIEC qui analyse « les liens entre les actions à mener en faveur du climat et les objectifs de développement durable de l’ONU ». Dix thèmes ont ainsi été retenus, et chacun a fait l’objet de deux textes complémentaires : l’un, technique, écrit par un ou une scientifique ; l’autre, sous forme de fiction, par un ou une auteur/autrice. L’initiative est audacieuse et fort bien pensée, même si la qualité des nouvelles s’avère malheureusement très variable d’une thématique à l’autre. N’ayant absolument pas les compétences nécessaires pour émettre un avis critique concernant le volet scientifique de l’œuvre, je me contenterais de vous parler des dix nouvelles qui composent cette anthologie. Sachez toutefois que les textes écrits par les différents experts intervenants sont très bien vulgarisés, même certains passages nécessitent de posséder un petit bagage scientifique (que je n’ai pas) pour bien réussir à cerner toutes les facettes du changement climatique abordées ici et les leviers qui peuvent être utilisés pour le contrer.

Lutte contre la faim, bonne santé, égalité entre les sexes, eau salubre

Étrangement, la césure m’a parue assez nette entre la première moitié de l’anthologie, à laquelle je n’ai que modérément accroché, et la seconde, qui offre des textes plus originaux et aboutis. Sur le thème de la lutte contre la faim, Raphaël Granier de Cassagnac a choisi de remobiliser l’univers déjà mis en scène dans ses précédents romans (« Thinking Eternity », notamment). Ne connaissant pas ces derniers je suis totalement passée à coté de ce texte qui met en scène une communauté d’humains ayant survécu au réchauffement climatique et à l’effondrement qui s’en est suivi et qui tente tant bien que mal de vivre de la Terre quelque part dans le désert africain. L’univers y est dépeint de manière trop succincte et l’intrigue se révèle trop restreinte pour capter efficacement l’intérêt du lecteur. La nouvelle de Claude Ecken (« Toxiques dans les prés ») consacrée au volet « Bonne santé et bien être » est plus captivante mais aurait elle aussi mérité d’être bien plus développée, si bien qu’on a encore une fois l’impression de ne rester qu’en surface du récit. Même reproche pour le texte de Sylvie Lainé (« Au pied du manguier ») qui, malgré de bonnes idées concernant le sujet « réchauffement climatique et égalité entre les sexes », s’avère trop bref et trop brouillon, comme si l’autrice avait jeté sur le papier des idées en vrac, sans qu’on puisse discerner une véritable trame narrative cohérente. La nouvelle d’Estelle Faye consacrée à l’accès à l’eau salubre et à l’assainissement (« Conte de la pluie qui n’est pas venue ») met en scène une espionne envoyée assassiner un magnat russe responsable du détournement d’un fleuve à son usage privé. La plume de l’autrice est agréable et sa vision du futur marquante par sa noirceur, mais l’intrigue est trop mince et la morale bien étrange.

Énergies, réduction des inégalités, villes durables

J’ai été davantage sensible au texte de Laurent Genefort (« HOME ») qui met en scène une société futuriste dans laquelle une interface permet de quantifier l’empreinte de chaque humain sur son environnement, et ce en récupérant toutes les données possibles sur les citoyens afin de récompenser les comportements vertueux. La nouvelle relate le conflit opposant une mère, partisane du système et son fils, séduit par le discours déculpabilisant et à contre-courant de ceux qui nient le réchauffement. Nuancé et doté de personnages attachants, le texte aurait mérité d’être un peu plus développé et complexifié mais reste de bonne facture. Sur la question de la réduction des inégalités, Chloé Chevalier met en scène dans « Trois poneys morts » un monde dans lequel chaque habitant du globe se voit doter d’une carte carbone dans laquelle sont engrangés des points permettant de se déplacer ou se chauffer dans la limite des émissions autorisées. On y suit une femme qui, parti à l’étranger afin de récupérer les cendres de sa défunte ex-compagne, va se retrouver bloquée faute de points à des milliers de kilomètres de chez elle, sans possibilité de prendre avion, train, bateau ou voiture. Un texte introspectif qui séduit surtout par son héroïne à laquelle on s’identifie sans mal et qui ne cesse d’émouvoir. Seul bémol : cette histoire de poneys morts qui permet, certes, de présenter un peu plus en détails les spécificités de cette nouvelle société dans laquelle se déplacer devient un acte réfléchi dicté par la nécessité, mais qui n’apporte rien à l’intrigue et est même carrément abandonnée en cours de route. Catherine Dufour, elle, s’est penchée sur la thématique des villes et communautés durables et relate dans « La chute de la Défense » le périple d’un petit-fils décidé à faire quitter à sa grand-mère son quartier, l’une des dernières enclaves encore préservées des effets du réchauffement climatique et, pour cette raison, cible d’une attaque imminente des autres habitants réduits à vivre dans des conditions extrêmement précaires. Comme la plupart des textes de l’autrice, la nouvelle est brute de décoffrage et offre de beaux moments tout en abordant le sujet avec plus de subtilité que ce que le côté un peu « cash » du ton pourrait laisser penser.

Consommation, carbone, vie terrestre

La nouvelle de Jeanne A. Debats est la plus longue de l’anthologie et est, à mon sens, de loin la meilleure. Consacré à la « consommation et production responsable », « Le monde d’Aubin » met en scène un jeune homme vivant dans une communauté humaine plus ou moins revenue à l’âge de pierre et séduit par la perspective de rejoindre le monde virtuel dans lequel baignent les Pixels. Les personnages y sont beaucoup plus fouillés que dans les précédentes nouvelles et l’intrigue plus dense, si bien qu’on suit avec à la fois curiosité et horreur les épreuves par lesquelles passeront Aubin et l’étrange femme qui croisa par hasard sa route. La question de l’égalité entre les sexes y est centrale, bien qu’il ne s’agisse pas du cœur du récit, et certains passages sont franchement rudes à lire tant ils révoltent par leur violence. A noter que la chute est également très bien trouvée. La nouvelle de Jean-Marc Ligny, qui s’est déjà beaucoup penché sur la question climatique dans ses romans (« Semences », « Alliances »), est elle aussi très réussie et se compose de deux parties, l’une se déroulant en 2030 et mettant en scène un homme chargé de gérer une grosse structure spécialisée dans l’enfouissement de CO² afin de réduire les émissions carbone dans l’atmosphère, et l’autre en 2300, où l’on découvre les conséquences insoupçonnées de ce type de centrales des siècles plus tard. Bien construite, agréablement écrite, la nouvelle est plaisante à lire et a pour mérite de s’interroger sur les effets de certaines politiques climatiques à long terme. C’est à Pierre Bordage qu’il revient enfin de conclure avec « Sanctuaires », une nouvelle intéressante qui met en scène deux adolescents curieux de découvrir ces enclaves qui parsèment la France et qui, grâce à une habile action militante de rachat de terres, a permis de préserver la faune et la flore menacées par le réchauffement climatique partout dans le monde. L’idée est chouette et mériterait d’être davantage creusée.

« No(s) futur(s) » est un ouvrage très instructif qui permet de mêler expertises scientifiques et imaginaire sur la question du réchauffement climatique et ses conséquences. La qualité des nouvelles au sommaire est très variable mais certains textes sortent du lot, à l’image de ceux de Jeanne A. Debats, Chloé Chevalier, Pierre Bordage ou encore Jean-Marc Ligny. Les passages scientifiques permettent quant à eux de vulgariser un certain nombre de questions propres aux différentes facettes et enjeux du changement climatique et d’offrir d’intéressantes perspectives.

Autres critiques : Lhotseshar (Au pays des cave trolls) ; Ombrebones (Chroniques de l’imaginaire)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

3 commentaires

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