Fantasy

L’empire du troll

Titre : L’empire du troll
Auteur : Jean-Claude Dunyach
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2021 (février)

Synopsis : Cette fois, le Troll est vraiment dans de sales draps. Entre les idées de grandeur de sa chère et tendre qui lui valent d’être expulsée de son salon de coiffure, les nains de la mine qui ont subitement décidé de ne plus assez creuser et son stagiaire qui tente de se reconvertir dans la protection rapprochée, sa vie est devenue un cauchemar. Il lui faut d’urgence trouver de l’or en quantité suffisante pour sauver ce qui peut l’être. Une seule solution : cambrioler un dragon… Mais pas n’importe lequel : le plus gros, le plus rusé. Il faut donc réunir l’équipe habituelle de bras cassés et se lancer à l’assaut des passages secrets de la montagne, malgré les dangers sans nombre qui les guettent. Mais, dans les ombres, les forces du mal veillent. Et elles ont fait appel à des avocats !

-On a trouvé la porte, chef ! Mais elle est fermée.
-Je croyais qu’il suffisait de dire « ami » ?
-C’était avant, dans des temps plus heureux. Aujourd’hui un mot de passe doit comporter huit runes minimum, dont une rune majeure, et au moins un chiffre.

Un troll, des dragons, et des avocats

Six ans après sa première apparition dans les différentes nouvelles rassemblées dans « L’instinct du troll », l’heure est venue de dire au revoir au célèbre troll mis en scène par Jean-Claude Dunyach qui nous livre ici un dernier baroud d’honneur. Le cadre est le même que celui des deux précédents tomes et repose sur le contraste assez cocasse entre un monde d’inspiration « médiéval-fantastique » mêlant dragons, chevaliers, nains et elfes, et des références très actuelles, avec un usage immodéré (et hilarant) du vocabulaire propre au néo-libéralisme. Ne vous étonnez donc pas d’entendre un chevalier de la table ronde parler d’étude de marché ou d’objectif chiffré, ni d’apprendre que les dragons sont désormais considérés comme des espèces protégées et que le chemin jusqu’à leur antre peut être trouvé dans n’importe quel bon syndicat d’initiative. Notre troll, lui, travaille dans une mine et est responsable d’une équipe de nains plutôt zélés mais qui ont tendance à l’esquiver depuis quelque temps. Le contremaître a toutefois d’autres affaires plus urgentes à régler puisque le salon de coiffure de sa trollesse de compagne est en passe d’être saisi. Leur seul espoir ? Mettre la main sur un trésor suffisamment gros pour satisfaire les appétits du cabinet d’avocats chargé de récupérer le bien. Or, il existe une créature de fantasy bien connu pour raffoler de tout ce qui brille : les dragons ! Et comme il faut plus qu’un cracheur de feu pour effrayer un troll, voilà notre couple lancé sur la piste du plus gros d’entre eux, censé reposer sur une fortune énorme. « -Les autres grottes sont trop petites pour lui », précisera le protagoniste. « Il est tellement énorme qu’il ne sort plus chasser. Ce sont les autres dragons qui le nourrissent et qui lui apportent une part de tout le butin dont ils parviennent à s’emparer. » « -Ah bon, c’est un actionnaire ? », demandera ingénument Cédric, compagnon humain du troll dans le premier tome aujourd’hui en passe d’enfin valider son stage. Car pour venir à bout de leur quête, troll et trollesse vont réunir une petite équipe de bras-cassés parmi lesquels on retrouve avec plaisir le duo Sheldon/Brisène, ainsi qu’un petit nouveau, un bleu chétif recruté parmi les apprentis chevaliers de la Table ronde. Ensemble, ils vont devoir déjouer les embûches pour atteindre la tanière du dragon, affronter des avocats déterminés, ne pas se laisser déstabiliser par des Faes alternatifs, et sauver leur mine de la fermeture !

Les dragons mangent principalement des moutons, car ils ont besoin d’un régime riche en fibres. Mais ils ont besoin d’y rajouter un chevalier en armure de temps en temps, en particulier à l’approche de l’hiver.
-Pourquoi chef ?
-Complément de fer 

Humour et gravité

La lecture du pitch à elle seule suffit pour se rendre compte que Jean-Claude Dunyach n’a rien perdu de son humour et que le décalage entre la fantasy et les aspects les plus absurdes de notre société continue de faire rire. L’auteur n’est également pas avare en jeux de mots plus ou moins subtiles (je n’en suis pas fière mais j’ai ri pour « le piment des squelettes »…) ce qui permet au lecteur de faire régulièrement fonctionner ses zygomatiques. En dépit de son appartenance à la « light fantasy », l’œuvre du Dunyach ne se contente pas d’enchaîner vannes sur vannes pour le simple plaisir de faire rire le lecteur (ce qui serait tout à fait louable). Le récit cache en effet une dimension plus politique et aborde de nombreux sujets de société qui font échos aujourd’hui comme la montée du complotisme, le mouvement Metoo ou encore les ravages du capitalisme (évasion fiscale, marchandisation de tous les secteurs de l’économie, usage immodéré d’éléments de langage qui finissent par ne plus avoir aucun sens…). L’auteur n’hésite également pas à se moquer gentiment de la fantasy dont il brasse aussi pas mal de références, à commencer par Tolkien. Si le récit conserve tout son humour, on sent néanmoins poindre de temps à autre une légère tristesse que je n’avais pas ressenti lors de mes précédentes lectures. Bien que fidèle à lui-même dans les grandes lignes, notre troll semble avoir perdu une partie de son entrain, ce dernier se montrant bien plus grave que dans « L’instinct » ou « L’enfer », voir même franchement mélancolique à plusieurs occasions. Il est vrai que, si le mélange entre fantasy et libéralisme prête la plupart du temps à sourire, l’auteur n’oublie pas de rappeler ici que ce système économique a des conséquences sur la vie de beaucoup de travailleurs, et que celles-ci sont loin d’être anodines. L’intrigue reflète ce désenchantement qui semble avoir gagné le protagoniste puisque, d’une quête somme toute assez classique mais promettant d’être grandiose, on passe à des manigances et des transferts d’argent louches menaçant l’outil de travail qui est au centre de la vie des deux trolls. Loin de gâcher le plaisir, cette touche de gravité renforce au contraire l’intérêt qu’on porte au récit de même que l’affection qu’on éprouve pour ces personnages dont la maladresse amuse autant qu’elle émeut.

-Il n’ a rien d’intéressant dans le coin on dirait. Aucune trace du Graal non plus.
-Il est sans doute fondu, depuis le temps. Ou alors… Il est peut-être dans un paradis fiscal ! C’est pour ça qu’on ne l’a jamais trouvé !

Pari réussi pour Jean-Claude Dunyach qui nous propose de repartir à l’aventure avec son fameux troll-contremaître qui a toutefois perdu une partie de ses illusions. En dépit d’un ton un peu moins léger que d’habitude, le roman reste particulièrement drôle, l’auteur accumulant jeux de mots et blagues plus ou moins potaches tout en continuant d’exploiter le contraste entre un monde inspiré de la fantasy médiévale classique et des problématiques propres à la société libérale actuelle.

Voir aussi : Tome 1 ; Tome 2

Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Ombrebones (Chroniques de l’Imaginaire)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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