Fantasy

L’enfer du troll

Titre : L’enfer du troll
Auteur : Jean-Claude Dunyach
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2017 (mai)

Synopsis : Pour venir à bout de leur quête, le troll et ses complices vont devoir affronter les typhons des mers du sud, une armée de zombies et de consultants, et résister aux pièges des épouvantables souvenirs pour touristes. Mais ils disposent d’une arme secrète : Leur mission est dotée d’un budget.

C’est mou, tout ça ! Vous avez besoin de faire le tour du pont en courant pour vous réveiller, bande de branleurs ? Vous pensez être dignes de trouver la coupe sacrée, abrutis comme vous êtes ? Ça va barder pour vos petits culs de nobles avachis, c’est moi qui vous le dis !

 

S’il y a bien un aspect de notre société contemporaine que l’on aurait bien du mal à associer à la fantasy, c’est sûrement le monde du travail. Dans « L’enfer du troll » vous entendrez pourtant des nains, des magiciens et des elfes parler de contrôle qualité, de bilan provisoire, de notes de frais, ou encore de budget prévisionnel. Barbant ? Non, hilarant ! Imaginez un peu les chevaliers de la Table ronde forcés de suivre des stages de motivation et réaliser des études de marché à propos du Graal. Ou des nécromanciens servir de consultants et se spécialiser en souvenirs pour touristes. Ou des trolls superviser le travail d’équipes de nains sapeurs creusant avec un peu trop d’enthousiasme. Mieux, imaginez tout ce petit monde forcé de cohabiter pendant plusieurs jours sur un navire de croisière en route pour remettre de l’ordre dans le management d’une mine située à l’autre bout du monde. Vous le sentez, vous aussi, que la traversée ne sera pas de tout repos… ? Jean-Claude Dunyach aborde ici le même univers et le même ton que dans « L’instinct du troll », à la différence près qu’il ne s’agit pas là de plusieurs nouvelles mais d’un seul et même récit. Celui-ci prend d’ailleurs rapidement l’aspect d’un huis clôt, puisque l’essentiel de l’intrigue se déroule à bord du navire sur lequel nos protagonistes trolls vont être amenés à résoudre le mystère d’une étrange disparition. On suit avec beaucoup d’amusement l’avancée de l’enquête des deux héros, quand bien même certains aspects de l’intrigue peuvent paraître par moment un peu flous ou embrouillés. Il faut dire qu’il s’en passe des choses, en deux cent pages ! Malgré de légers couacs l’ensemble reste divertissant, et c’est avant tout l’humour de Jean-Claude Dunyach que l’on doit remercier.

Si on s’amuse bien sûr des nombreux calembours et autres allusions salaces qui parsèment le récit, c’est surtout la vision de ces créatures de légende confrontées aux « joies » du travail en entreprise qui provoque le rire du lecteur. Il faut dire que Jean-Claude Dunyach n’hésite pas à mettre l’accent sur la tonne d’incohérences et d’aberrations ayant aujourd’hui cours dans beaucoup de milieux professionnels, et qui, appliquées à des trolls, des elfes ou des nains, paraissent encore plus ridicules que d’ordinaire. Inefficacité des formations, aveuglement des supérieurs sur la réalité de la situation sur le terrain, paperasserie inutile et chronophage, obsession du rendement, déformation du langage en un jargon tellement inintelligible qu’il en devient risible… : autant de problématiques auxquelles se retrouvent confrontées nos amis magiques sous le joug de leurs homologues humains. Chez Dunyach les beaux et grands héros des légendes sont plus occupés à ouvrir des succursales partout dans le monde et à tenter de vendre leurs produits dérivés qu’à combattre des dragons ou sauver les demoiselles en détresse… (« La chevalerie, c’est plus comme avant. Quand j’ai débuté, on avait encore la sécurité de l’emploi. Tout le monde cherchait le Graal, mais c’était un état d’esprit plus qu’autre chose. Là, on nous colle des objectifs chiffrés, des critères d’efficacité. Ils ont même organisé des sessions de formation sur le management de la recherche ! »). L’auteur pousse même le vice jusqu’à donner à ses chapitres des allures de véritables slogans marketing (« Il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des opportunités » ; « Ne vous laissez jamais distraire de vos objectifs » ; « Nous sommes au service de la stratégie, jamais l’inverse ! »…). Avouez qu’il y a de quoi rire !

 

Nouvelle incursion dans la « light fantasy » réussie pour Jean-Claude Dunyach qui prend de toute évidence énormément de plaisir à s’attaquer au prestige des héros et créatures qui peuplent notre imaginaire. Il en résulte un roman bourré d’humour dénonçant avec légèreté mais aussi une certaine lucidité les pires absurdités du monde du travail contemporain. Un bon remède contre la déprime !

Voir aussi : L’instinct du troll

Autres critiques : Blackwolf (Blog-O-Livre) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Xapur (Les lectures de Xapur)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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