Les livres de la Terre fracturée, tome 3 : Les cieux pétrifiés
Titre : Les cieux pétrifiés
Cycle/Série : Les livres de la Terre fracturée, tome 1
Auteur : Nora K. Jemisin
Éditeur : J’ai lu (Nouveaux Millénaires)
Date de publication : 2018
Synopsis : Le retour imminent de la Lune signifie-t-il la fin de l’humanité ou au contraire sa rédemption ? La réponse à cette question repose sur les épaules d’une femme et de sa fille. La première, Essun, entend se servir des pouvoirs qu’elle a hérités d’Albâtre pour bâtir un monde dans lequel les orogènes seraient libres. Mais pour la seconde, Nassun, il est trop tard. Elle a vu ce que le monde avait à offrir de pire, et elle a accepté ce que sa mère n’admettra jamais: qu’il est corrompu au-delà du point de non-retour, et que sa destruction est inévitable.
« -C’est quoi un génocide ? demande Nassun, les sourcils froncés.
Il sourit – un sourire triste.
-Si on pourchasse et qu’on massacre le moindre orogène, qu’on tord ensuite le cou au moindre bébé orogène, qu’on tue ou qu’on stérilise la moindre personne qui, comme moi, est porteuse de la caractéristique, qu’on nie la possibilité même de l’humanité des orogènes… c’est un génocide. Éliminer un peuple et jusqu’à l’idée qu’il constitue un peuple.
-Ah. » Nassun se sent écœurée, sans savoir pourquoi.
« -Mais c’est… »
Schaffa hoche la tête, d’accord avec sa réponse informulée : Mais c’est exactement ce qui se passait. »
Le temps des adieux
Et voilà, l’heure est déjà venue de faire nos adieux à Essun, Nassun, Albâtre, Hoa et tous les autres. Récompensé comme ses prédécesseurs par le Prix Hugo (un sacré exploit), le troisième et dernier tome des « Livres de la Terre fracturée » s’est également vu décerner les Prix Locus et Nebula, soit trois des plus grandes distinctions qu’un ouvrage de SF ou de fantasy peut se voir attribuer. Un hommage amplement mérité pour ce qui concerne l’ensemble de la série, même si cet ultime opus est à mon sens le moins réussi. [Comme d’habitude lorsqu’il s’agit d’une suite, si vous n’avez pas encore eu l’occasion de lire les premiers tomes, je vous conseille de sauter ce paragraphe au risque de vous voir inévitablement révéler plusieurs pans de l’intrigue des précédents volumes.] L’action repart sur les chapeaux de roue après les événements marquants qui avaient mis un terme à « La porte de cristal ». On retrouve donc Essun et les Castrimiens sur la route, leur seule chance de survie résidant désormais dans un long périple devant les mener aux ruines de la cité de Rennanis, dont ils viennent de vaincre les anciens habitants. Seulement prendre la route en pleine Saison, même lorsqu’on possède un groupe nombreux, qui plus est composé de plusieurs orogènes, cela reste extrêmement périlleux, et tous ont bien conscience qu’ils risquent de subir d’énormes pertes. Essun, elle, a d’autres préoccupations en tête : outre les questions qui demeurent en suspens depuis qu’elle est parvenue à utiliser la puissance de la porte de cristal, c’est à nouveau le sort de sa fille qui la tourmente. Car si Nassun, qu’elle croyait perdue à jamais après avoir été enlevée par son père, est bel et bien toujours en vie, son sort paraît encore plus incertain que celui de sa mère. D’abord parce qu’elle vient de commettre un acte terrible qui la hantera toute sa vie. Ensuite parce qu’elle est désormais en compagnie d’un homme qu’Essun connaît bien et qu’elle a toutes les raisons de redouter. Et surtout, surtout, parce que la petite fille de dix ans fait preuve d’une maîtrise de l’orogénie absolument stupéfiante, au point de risquer de contrecarrer les plans de sa mère et l’avenir de l’humanité.
La fin des mystères
Nora Jemisin tient ici toutes ses promesses et s’attelle, page après page, à enfin apporter des réponses aux nombreuses interrogations qu’avait suscité la découverte de cette « Terre fracturée » et du mode de vie extrêmement rude de ses habitants. Pour se faire, l’autrice donne la parole à un « nouveau » (quoi que…) narrateur, qui nous permet d’avoir une vue plus globale de la situation et de comprendre comment les conditions de vie sur Terre ont pu se dégrader à ce point. Aux chapitres narrés à la troisième personne (Nassun), et à la seconde (Essun), viennent donc s’en intercaler d’autres, à la première cette fois. Ce retour au origine s’accompagne d’un grand nombre de précisions scientifiques assez poussées dont j’ai, pour ma part, eu beaucoup de difficulté à saisir le sens, ce qui explique sans doute pourquoi ce troisième opus m’a moins captivée que les précédents. Car cette complexité nuit à mon sens au récit, puisqu’elle a une incidence inévitable sur le rythme qui se fait ici beaucoup plus lent. Tout comme dans le précédent tome, force est de constater qu’il ne se passe pas énormément de choses dans cet ultime volume qui explique plus qu’il ne met en scène (contrairement au premier tome qui, lui, laissait les explications complètement de côté et nous plongeait directement au cœur de l’action, sans forcément nous fournir tous les codes dont nous avions besoin). Le roman comprend cela dit son lot de scènes marquantes, comme la traversée du désert par les Castrimiens, ou encore le voyage de Nassun en véhimal, si bien qu’il serait malgré tout erroné de parler d’ennui. Bien qu’on ne se lasse pas en suivant les pérégrinations de l’une et l’autre des héroïnes, on passe malgré tout une bonne partie du roman dans une posture d’attente. Or, les événements que l’on sait inévitables, et qu’on espère ou redoute depuis le premier tome, arrivent tardivement et se révèlent finalement assez courts, ce qui ne manque pas de susciter étonnement et frustration. La conclusion, pour logique et émouvante qu’elle soit, paraît ainsi un peu bâclée : tout s’arrête soudainement, alors qu’on aurait aimé avoir tellement de précisions sur l’impact des événements qui viennent de se produire, aussi bien sur la Terre en général que sur les personnages en particulier.
De grands moments d’émotion
Cette légère déception concernant la conclusion de la série, elle s’explique aussi et surtout par l’attachement profond qu’on éprouve pour les personnages, et c’est pourquoi, malgré les défauts précédemment mentionnés, ce troisième tome nous fait malgré tout passer un excellent moment de lecture. Essun est en effet le genre d’héroïne qu’on oublie pas, non pas pour ses exploits ou des qualités exceptionnelles, mais au contraire pour ses failles et sa vulnérabilité. Que ce soit en tant qu’amie, amante, ou surtout en tant que mère, le personnage passe son temps à se tromper, à regretter, à souffrir, et puis à recommencer à avancer, de plus en plus abîmée par le vie mais aussi de moins en moins seule. Notre héroïne est en effet désormais entourée d’une sacrée galerie de personnages qui, eux aussi, laisseront pour longtemps leur marque dans l’imaginaire du lecteur (pour ma part je ne risque pas d’oublier Albâtre de sitôt, tant il est rare qu’un personnage de fiction me touche à ce point). Nassun, la fille d’Essun, est elle aussi remarquable, son jeune âge la rendant peut-être même encore plus attachante que sa mère. Difficile de ne pas être bouleversé par les épreuves endurées par la fillette, de même que par l’amour inconditionnel qu’elle en vient à éprouver pour Schaffa, ou encore par le profond sentiment d’injustice qu’elle en vient à développer. Il s’agit d’ailleurs d’un autre des gros points fort de la série qui aborde avec intelligence et subtilité des sujets aussi graves et complexes que le racisme, le génocide, mais aussi le rapport des humains à la vie et à la terre, ou les éléments qui fondent une communauté. Il convient également de saluer la qualité de la plume de l’autrice qui fait preuve de beaucoup de délicatesse pour nous dépeindre les sentiments de ses personnages, sans jamais tomber dans la sensiblerie ou le voyeurisme.
Bien que légèrement déçue par ce troisième et dernier tome, c’est avec une grande tristesse et l’impression d’avoir vécu une formidable aventure aux côtés de personnages inoubliables que je termine ma découverte de ces « Livres de la Terre fracturée », série incontournable pour tout lecteur d’imaginaire qui se respecte. Une référence, à lire et relire.
Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Les Chroniques du Chroniqueur ; Xapur (Les lectures de Xapur)
3 commentaires
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belette2911
Ah, chouette, ça refonctionne parce que hier, quel que soit mon chemin, je tombais sur « page non trouvée » (qui est très chouette d’ailleurs).
Bon je vais essayer de faire passer le commentaire qui n’a jamais voulu s’inscrire il y a deux jours (et que j’ai sauvegardé) 😆
Aah, certains auteurs sont des Jean-Claude Duss et ont des problèmes avec le verbe « conclure »… ça voudrait bien, mais ça foire… la pire chose dans une trilogie ou dans des romans épais : foutre en l’air le final alors qu’on a fait monter la sauce durant des centaines de pages.
Le King lui-même a foiré (pour moi), le grand combat final dans « Le Fléau »… on se dit « quoi ? Tout ça pour ça ? ».
Bon, malgré tout, j’aimerais un jour découvrir cette saga et m’envoyer en l’air avec de la SF 😆
Boudicca
On a en effet eu un gros souci technique mais Dionysos a réussi à tout arranger 😉 Même si le final est moins bien que l’introduction la série vaut en effet le coup (c’est vrai que généralement c’est plutôt l’inverse^^)