Un long voyage
Titre : Un long voyage
Auteur : Claire Duvivier
Éditeur : Aux forges de Vulcain
Date de publication : 2020 (mai)
Synopsis : Issu d’une famille de pêcheurs, Liesse doit quitter son village natal à la mort de son père. Fruste mais malin, il parvient à faire son chemin dans le comptoir commercial où il a été placé. Au point d’être pris comme secrétaire par Malvine Zélina de Félarasie, ambassadrice impériale dans l’Archipel, aristocrate promise aux plus grandes destinées politiques. Dans le sillage de la jeune femme, Liesse va s’embarquer pour un grand voyage loin de ses îles et devenir, au fil des ans, le témoin privilégié de la fin d’un Empire.
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Dans les provinces de l’Empire
Pour son premier roman, Claire Duviver aura fait fort ! Alors que la parution de la plupart des romans de fantasy se fait dans l’indifférence la plus totale des « grands médias », « Un long voyage » fait en quelque sorte figure d’exception, puisqu’on en entend parler bien en dehors du cercle restreint des amateurs de littératures de l’imaginaire. Mais l’engouement est-il justifié, et s’agit-il bien de fantasy ? Oui, et oui. Claire Duvier signe ici une très belle fable qui s’affranchit (comme de plus en plus d’ouvrages) des clichés qui collent malheureusement au genre. Ne vous attendez donc pas vraiment à de la magie, ni à des dragons, ni encore à une ambiance médiévale-fantastique. L’action prend place dans un empire imaginaire qui a étendu sa domination sur de nombreuses provinces, dont l’archipel de … dont est issu notre protagoniste et narrateur. Originaire d’une petite île et abandonné par sa mère en raison de sa situation trop précaire, Liesse est cédé dès son plus jeune âge comme esclave à deux représentants de l’Empire. L’affaire pourrait paraître sordide mais ne s’y cache en réalité nulle cruauté ni aucun cynisme : l’esclavage a été aboli depuis longtemps, ce qui rend l’action des deux hommes illégales, et leur assentiment n’est du qu’à une volonté de bien faire et de sauver le garçon d’une mort certaine en cas de refus. Liesse va donc vivre une jeunesse assez ordinaire dans la concession impériale, jusqu’à ce qu’il croise la route de Malvine Zélina de Félarasie , une jeune femme issue d’une des plus noble lignée de l’empire et au parcours prometteur, qui vient d’être nommée gouverneuse de la province. Difficile d’en dire davantage s’en trop dévoiler, l’intrigue méritant vraiment d’être découverte pas à pas. Disons simplement que le roman nous relate les événements extraordinaires ayant impliqué Malvine et dont à été témoin Liesse, qui prend la plume bien des années après les faits pour faire la lumière sur le personnage de la jeune femme.
Un voyage surprenant et émouvant
Claire Duviver nous offre ici un roman intimiste et très émouvant. Le narrateur éprouve le besoin d’expliquer à son interlocuteur (dont on ne découvre l’identité qu’à la fin du texte) d’où il vient, et quelles sont les différentes étapes qui l’ont conduit à faire la connaissance de Malvine qu’il entend visiblement réhabiliter maintenant que la situation semble s’être stabilisée. « Un long voyage » mêle donc petite et grande histoire, Liesse étant témoin d’un certain nombre d’événements cruciaux sans pour autant y prendre part lui-même. Le rythme de la première moitié est assez lent, sans que le lecteur ne ressente à aucun moment l’envie de voir le voyage s’accélérer : on découvre avec curiosité cet Empire visiblement tout puissant mais que le narrateur nous dépeint aujourd’hui comme disparu, de même que son fonctionnement, ses spécificités et surtout son histoire. A aucun moment l’autrice ne se lance dans de grandes explications, mais on glane suffisamment d’informations ici et là pour dessiner peu à peu les contours de cet univers dont certaines subtilités nous échappent malgré tout et qui posent beaucoup de questionnements qui resteront malheureusement sans réponse. Il ne s’agit là que d’une brève incursion, et non pas d’un voyage au long cours. Par cet aspect, le roman m’a un peu fait penser à « Kalpa impérial » d’Angelica Gorodischer : l’autrice nous dépeint une civilisation qu’on a du mal à rattacher à notre propre histoire puisqu’elle brasse une multitude de références différentes et tente de donner une dimension mythique au récit. Si le surnaturel est absent dans le quotidien des personnages (pas de magie ni de créatures extraordinaires), un brutal basculement nous invite à revoir totalement notre vision du monde dans lequel évolue Liesse, et va orienter le récit dans une direction totalement inattendue. Passé le choc de cette révélation (dont je ne parlerais pas davantage ici afin de ne pas vous gâcher la surprise), la seconde partie du roman se fait plus rythmée, plus intense émotionnellement et donc plus captivante. Impossible de reposer le roman une fois les principaux événements mis en branle, et cela faisait longtemps que je ne m’étais pas oubliée à ce point dans un livre.
Dans l’intimité d’un homme de l’ombre
Qui dit récit intimiste dit personnages au cœur du roman, ce qui implique que ces derniers soient à la hauteur. Et c’est le cas. Liesse est un narrateur très attachant, et ce pour plusieurs raisons. Son parcours, d’abord, et les épreuves qu’il aura à surmonter : son enfance difficile, son statut d’esclave qui lui vaut d’être jugé et déprécié, ou encore ses origines modestes qui le discriminent (il parle avec un accent, sa graphie est difficilement compréhensible…). Dans son témoignage, Liesse raconte les brimades, les peines, les désillusions, mais sans jamais s’apitoyer sur son sort. Son intérêt réside aussi dans le rôle qu’il occupe dans l’Histoire avec un grand H. En effet, l’autrice n’a pas choisi de raconter les événements du point de vue d’un individu qui aurait joué un rôle clé ou qui aurait eu une influence remarquable. Liesse n’a rien d’un héros, ni d’un guerrier, ni même d’un habile politicien : il est le second fidèle, l’ami, qui ne comprend pas toujours les décisions de sa supérieure mais qui fait preuve à son égard d’une loyauté à toute épreuve. Or, il est assez rare de voir le destin d’un personnage jugé hors norme relaté par quelqu’un que d’aucun jugerait insignifiant. Ce choix narratif n’est d’ailleurs pas sans entraîner une certaine frustration dans la mesure où l’on souhaiterait parfois voir le narrateur s’attarder un peu moins sur son état d’esprit ou ses déboires personnels, et davantage sur les grands faits qui sont en train de se dérouler. Cet « égocentrisme » n’en rend toutefois le témoignage que plus authentique et plus émouvant. La situation difficile dans laquelle va se retrouver Liesse dans la seconde partie du récit permet quant à elle d’aborder des thématiques intéressantes et qui sont traitées avec beaucoup de sensibilité (l’impact de la misère sur le comportement et le développement d’un individu, l’apaisement inévitable que procure le passage du temps, l’importance de l’histoire et des conséquences de certains choix sur les générations futures…). Le personnage de Malvine est lui aussi une grande réussite puisqu’on a affaire à une femme intelligente, ambitieuse (dans le bon sens du terme), dotée du sens de l’humour et d’un sacré sang froid (merci en passant à l’autrice de ne pas en faire une beauté et de ne pas insister dessus à longueur de temps, cela fait un bien fou d’avoir un personnage féminin qui n’est pas avant tout caractérisé par son physique).
Pari réussi pour Claire Duviver qui signe avec « Un long voyage » un très beau premier roman qui aura de toute évidence séduit aussi bien les amateurs de fantasy que les néophytes en la matière. Le choix de relater la vie d’une femme de premier plan du point de vue de son discret et peu influent secrétaire est une excellente idée et permet à l’autrice de donner une dimension plus authentique et plus intime à son récit. Un vrai coup de cœur.
Autres critiques : Baroona (233°C) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls)
7 commentaires
Célindanaé
J’étais certaine que tu aimerais beaucoup ce roman.
Belle chronique 🙂
Boudicca
Merci 🙂 Oui, j’ai passé un très bon moment.
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Anne-Laure - Chut Maman Lit
Je suis complètement d’accord avec toi, une magnifique réussite. Pour moi ce fut un aussi gros coup de cœur qu’avec Mes vrais enfants de Jo Walton 🙂
Boudicca
Tout à fait, ça m’a fait le même effet aussi 🙂
Tigger Lilly
» Le rythme de la première moitié est assez lent, sans que le lecteur ne ressente à aucun moment l’envie de voir le voyage s’accélérer : » Oui tout à fait, il y a un ton dans le style aussi qui correspond très bien avec cette lenteur. Bref j’avais adoré ma lecture, contente qu’il t’ait plu aussi ^^
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