Feu et sang, partie 2
Titre : Feu et sang, partie 2
Cycle/Série : Feu et sang, partie 2
Auteur : G. R. R. Martin
Éditeur : Pygmalion / J’ai lu
Date de publication : 2019 / 2020
Synopsis : « Au septième jour, une nuée de corbeaux jaillit des tours de Peyredragon pour propager la parole de lord Aegon aux Sept Couronnes de Westeros. Ils volaient vers les sept rois, vers la Citadelle de Villevieille, vers les seigneurs tant petits que grands. Tous apportaient le même message : à compter de ce jour, il n’y aurait plus à Westeros qu’un roi unique. » Trois cents ans avant les événements du Trône de fer, Feu et sang raconte l’unification des sept royaumes.
On éleva une seule objection : Laenor Velaryon avait désormais dix-neuf ans et n’avait jamais manifesté d’intérêt pour les femmes. En fait, il s’entourait de séduisants écuyers de son âge et on assurait qu’il préférait leur compagnie. Mais le Grand Mestre Mellos balaya d’emblée cette inquiétude : « Et bien quoi ? demanda-t-il. Je n’aime pas le poisson, mais qu’on m’en sert, j’en mange. » Ainsi le mariage fut-il décidé.
De la mort de Jaehaerys Ier à la régence d’Aegon III
En parallèle de son écriture de la désormais série à succès « Game of thrones », G. R. R. Martin s’est lancé depuis quelques années dans divers projets retraçant l’histoire d’événements s’étant déroulés à Westeros avant sa série originelle. Outre les nouvelles mettant en scène le duo formé par le chevalier Dunk et son écuyer surnommé l’Oeuf (« Le chevalier errant » ; « L’épée lige ») ; « L’oeuf de dragon »), l’auteur a aussi entamé une « Histoire des rois Targaryen », composée d’une succession de nouvelles ou novellas aujourd’hui regroupées dans un même recueil… inévitablement scindé en deux volumes en version française. Or, ces volumes sont désormais disponibles en version poche chez J’ai lu, qui les a réédité à quatre mois d’intervalle au cours de l’année 2020. La première partie de « Feu et sang » relatait les bouleversements subis par les Sept Couronnes depuis la conquête du continent par Aegon Ier, jusqu’à la mort de la reine Alysanne, en passant par le terne règne d’Aenys, celui, tragique, de Maegor le Cruel, sans oublier celui de Jaehaerys et de sa reine, tous deux considérés comme les principaux artisans de l’unification du royaume. Le second volet commence justement avec la disparition du vieux roi Jaehaerys Ier, mort paisiblement après un long règne durant lequel les habitants du continent vécurent en paix et bénéficièrent d’une confortable prospérité. Son successeur Viserys suivra le même chemin, mais c’est sous son règne que germeront les graines des conflits à venir. En effet, deux camps s’opposent concernant sa succession : la fille aînée de Viserys, fruit d’un premier mariage, et son fils aînée, fruit d’un second. L’essentiel du second volume de « Feu et sang » est ainsi consacré à la guerre qui éclatera à la mort de Viserys entre les partisans des Verts et des Noirs (le fils ou la fille), et qu’on baptisera « la Danse des Dragons ». Un conflit d’une ampleur sans précédent, qui laissera le royaume totalement exsangue et auquel suivra une régence exercée par certains des plus puissants nobles de Westeros au profit du jeune Aegon III. Une période certes plus calme militairement mais non moins exempte de tensions et de retournements de situation.
chroniques de l’histoire des Targaryens par l’archimestre Gyldayn
Les événements et les personnages changent, mais le principe reste le même que dans le premier volume puisqu’on a moins affaire à un récit romancé qu’à une véritable chronique historique. L’auteur opte en effet pour un mode de narration un peu particulier dans la mesure où le texte nous est présenté comme étant une retranscription de l’« Histoire des rois Targaryen » écrite par un archimestre de la Citadelle de Villevieille. Il s’agit donc d’un ouvrage érudit, et la volonté de l’auteur est de présenter les faits de la manière la plus neutre et la plus précise possible. Pour ce faire, notre archimestre s’appuie sur un certain nombre de sources contemporaines des événements relatés, chacune présentant leurs intérêts et leurs défauts. Les chroniques écrites par les grands mestres de Port-Réal sont par exemple relativement fiables mais passent sous silence un certain nombre de détails qui pouvaient paraître insignifiants à l’époque mais qui se révèlent aujourd’hui nécessaires pour bien comprendre tous les enjeux. Les écrits de Champignon, nain faisant office de fou à la cour, sont pour leur part beaucoup plus sujet à caution (outre son nanisme, le personnage partage avec Tyrion son amour des femmes et de la boisson) mais permettent d’en apprendre davantage sur les bruits de couloir et les rumeurs qui circulaient parmi les nobles à l’époque (le nain opte ainsi toujours pour la version la plus scandaleuse et la plus grivoise). L’archimestre entreprend ainsi un véritable travail d’historien : il croise les sources, les questionne, tente de les remettre en perspective, fait part de ses doutes sur la véracité de telle ou telle analyse, et surtout tente de prendre du recul sur les événements. Cette réflexion menée par Georges R. R. Martin concernant le rapport des historiens aux sources est assez fascinante et permet au lecteur de disposer de plusieurs versions d’un même événement, ce qui le pousse à, lui aussi, tenter de prendre du recul. Le seul inconvénient, inhérent à ce mode de narration, réside dans l’apparente aridité du texte qui contient inévitablement très peu de dialogues (et seulement rapportés) et se révèle extrêmement dense puisque s’accumulent des dizaines et des dizaines de noms de personnages ou de lieux qu’il convient de retenir pour bien saisir tous les enjeux dont il est question.
-Et si elle ne me plaît pas ? demanda le roi Aegon.
-Il n’est pas besoin qu’elle vous plaise, répondit lord Peake, il vous suffit de l’épouser, de coucher avec elle et de lui donner un fils. » Puis il ajouta ces propos promis à une triste célébrité ; « Votre Grace n’aime pas les navets, mais quand vos cuisiniers vous en préparent, vous les mangez, n’est-ce pas ? » Le récit se répandit, comme toujours en pareil cas, et la malheureuse lady Myrielle fut bientôt connue de tous à travers les Sept Couronnes sous le nom de Lady Navets.
Guerre, dragon, trahison et pouvoir
L’originalité du mode de narration choisi n’est toutefois pas le seul atout déployé par G. R. R. Martin dans cet ouvrage qui constitue à la fois une formidable porte d’entrée dans son univers, mais aussi un sacré complément à destination des connaisseurs. En effet, les références à de nombreux aspects déjà évoqués dans « Game of thrones » pullulent, qu’il s’agisse des noms des grandes familles du royaume (on retrouve les Stark, les Lannister, les Targaryen…) ou encore des lieux, institutions ou traditions mentionnés dans la série (on apprend par exemple l’origine de la création de Port Réal, des manteaux d’or, de la légende noire d’Harrenhall…). Que l’on saisisse les clins d’oeil ou pas, les intrigues mises en scène ici restent passionnantes. Comme dans la première partie, la guerre occupe une place centrale dans le récit même si, contrairement cette fois aux événements relatés dans le volume précédent, il ne s’agit pas de plusieurs conflits ayant eu lieu sous le règne de différents souverains, mais bel et bien d’un seul. « La danse fut une guerre totalement différente de celles qu’on avait pu livrer au fil de la longue histoire des Sept Couronnes. Si des armées firent mouvement pour s’affronter dans de féroces combats, une grande partie des massacres se déroula sur l’eau et – tout particulièrement – dans les airs, quand dragon affronta dragon, avec griffes, crocs et flammes. Ce fut une guerre marquée par la ruse, le meurtre, ainsi que la trahison, une guerre livrée dans l’ombre et les escaliers, les chambres du conseil et les cours des châteaux, avec des poignards, des mensonges et le poison. » Voilà, selon les propres mots de l’archimestre, à quoi ressembla cette guerre qui, par certains aspects, pourrait presque faire passer celle racontée dans « Game of thrones » pour une gentille petite querelle sans conséquence. Affrontement de dragons, meurtres d’enfants, tortures, massacres à grande échelle, viols permanents, coups bas, trahisons… : voilà le programme des deux cent premières pages qui font donc la part belle à l’action mais dont l’accumulation d’horreurs peut parfois écœurer le lecteur. La seconde partie est plus reposante émotionnellement mais toute aussi intéressante car elle repose sur l’énigme posée par le nouveau roi, le jeune Aegon III, et sur le défilé des régents qui vont se succéder à son service. Parmi la centaine de personnages mis en scène certains peinent à retenir notre attention quand d’autres, parfois en quelques lignes seulement, laissent une trace indélébile dans notre imaginaire : le Serpent de mer Corlys Velaryon, le froid et rigide Cregan Stark, Baela Targaryen, Aly la noire, sans oublier Rhaenyra Targaryen, son oncle Daemon, ou encore la reine Alicent.
Les femmes et le peuple de Westeros
Le dernier aspect que je souhaitais traiter dans cet artcle concerne la représentation des femmes et du « peuple » dans ces chroniques. L’essentiel des personnages ayant accès à une situation de pouvoir étant majoritairement des hommes issus de la noblesse, il est intéressant de se pencher sur la manière dont l’auteur tente (ou pas) de rendre visible ceux que l’histoire a justement tendance à invisibiliser. Pour ce qui est des femmes, Georges R. R. Martin s’en sort plutôt bien. D’abord parce qu’il met en scène des personnages féminins forts, jamais caricaturaux, et surtout extrêmement variés (mères de familles, guerrières, souveraines, intrigantes…). L’une des conséquences les plus intéressantes de la Danse des Dragons aura par exemple été de permettre à grand nombre de femmes d’accéder à des responsabilités et de se libérer de l’emprise masculine (« Tant de seigneurs avaient péri que la Citadelle dénomme à bon droit cette époque l’Hiver des Veuves. Jamais auparavant ni depuis, autant de femmes n’ont disposé de tant de pouvoir, gouvernant à la place de leurs maris, frères et pères tués, pour des fils dans les langes ou encore à la mamelle. »). Le royaume de Westeros étant cependant une société patriarcale, ces femmes ne possèdent pas pour autant le même statut que leurs homologues masculins. Un aspect également très bien évoqué par l’auteur qui aborde la question des mariages forcés, de la mortalité en couche extrêmement élevée pour les femmes (car souvent bien trop jeunes), ou encore des droits de succession (la cause même de la Danse des Dragons). Le comportement des hommes envers les femmes s’en trouve évidemment conditionné, un sujet là encore évoqué à de multiples reprises par l’auteur qui nous parle clairement du viol comme arme de guerre, mais aussi de l’impossibilité pour les femmes d’échapper à une tutelle masculine ou à disposer de leur propre corps. Je serais, en revanche, plus réservée en ce qui concerne la vision donnée par l’auteur des classes populaires puisque, de l’aveu même de son archimestre, « une si grande partie de l’histoire nous narre les actions des rois et des reines, des grands seigneurs, des preux chevaliers, des pieux septons et des mestres pleins de sagesse qu’on oublie aisément le petit peuple qui partageait l’époque avec ces grands et ces puissants. ». Or, le « petit peuple », chez Martin, ressemble plutôt à un troupeau de bétails : muet et indifférent quand tout va bien, violent et hors de contrôle lorsque quelqu’un parvient à les fédérer. Dans ces circonstances, il n’est guère étonnant que les rares scènes mettant en avant des personnages issus du commun soient avant tout des scènes de massacres ou de violence gratuite exercée par une foule en furie. Sur cet aspect l’auteur peut sans aucun doute mieux faire.
Avec son « Histoire des rois Targaryen », George R. R. Martin développe patiemment et minutieusement son univers dont on peut difficilement aujourd’hui contester la richesse. Les événements relatés sont tous captivants, et la manière choisie par l’auteur pour les raconter est pour le moins audacieuse. Que vous connaissiez ou pas « Game of thrones », n’hésitez pas à vous plonger dans « Feu et sang » !
Voir aussi : Partie 1
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