Fantasy

Feu et sang, partie 1

Titre : Feu et sang, partie 1
Cycle/Série : Feu et sang
Auteur : G. R. R. Martin
Éditeur : Pygmalion / J’ai lu
Date de publication : 2018 / 2020

Synopsis : « Au septième jour, une nuée de corbeaux jaillit des tours de Peyredragon pour propager la parole de lord Aegon aux Sept Couronnes de Westeros. Ils volaient vers les sept rois, vers la Citadelle de Villevieille, vers les seigneurs tant petits que grands. Tous apportaient le même message : à compter de ce jour, il n’y aurait plus à Westeros qu’un roi unique. Ceux qui ploieraient le genou devant Aegon de la maison Targaryen conserveraient terres et titres. Ceux qui prendraient les armes contre lui seraient jetés à bas, humiliés et anéantis. »Trois cents ans avant les événements du Trône de Fer, Feu et sang raconte l’unification des sept royaumes.

 

Aegon Targaryen lui-même, chose étrange, était autant une énigme pour ses contemporains que pour nous. Armé de la lame d’acier valyrien Feunoyr, on le comptait au nombre des grands guerriers de son temps ; toutefois, il ne prenait nul plaisir à ses prouesses aux armes et ne chevauchait jamais dans les tournois ou les mêlées. Sa monture était Balérion la Terreur Noire, mais il ne volait que pour la bataille ou pour se déplacer rapidement sur terre ou sur mer. Aegon plaisait aux femmes, mais toujours il resta fidèle à ses sœurs.

Trois cent ans avant « Le trône de fer »

Le succès de la série télévisée « Game of thrones » rend désormais superflu toute présentation de l’univers de Westeros ou de son auteur, G. R. R. Martin, qui s’attelle depuis maintenant neuf ans à l’écriture du sixième et pénultième tome de la série. Neuf ans, c’est long. Heureusement, les fans ont la possibilité de patienter en se tournant vers d’autres écrits de l’auteur situés dans le même univers, bien que consacrés à des personnages et des époques différents. Outre les novellas mettant en scène le chevalier Dunk et son écuyer l’œuf, l’auteur a récemment sorti un ouvrage intitulé « Feu et sang », une histoire des rois Targaryen de Westeros racontée par un archimestre de la Citadelle de Villevielle. Publié initialement en un seul volume, le roman a évidemment fait l’objet d’une scission en version française, ce qui illustre une fois encore le profond respect que portent les éditions Pygmalion aux textes qu’ils publient et à leurs lecteurs. Fort heureusement, le premier tome est désormais disponible en poche chez J’ai lu, à un prix plus raisonnable. L’occasion pour les amateurs de se voir narrer l’unification du royaume de Westeros sous le règne des premiers Targaryens, depuis la conquête du continent par Aegon Ier jusqu’à la mort de la reine Alysanne (pour la première partie). Au cours de ces quelques quatre cent pages, G. R. R Martin retrace les événements qui ont eu lieu sous le règne des quatre premiers Targaryens, qu’il s’agisse des intrigues de cours, des guerres, des rébellions, des morts et naissances signifiantes, ou des bisbilles plus ou moins conséquentes opposants les membres de la famille royale. Tout commence avec l’arrivée d’Aegon Ier et ses sœurs, Visenya et Rhaenys, qui, venus de la lointaine Valyria, débarquent à Westeros et conquièrent un à un les sept royaumes de Westeros (même si le cas de Dorne est un peu particulier). Aenys succédera à son père des années plus tard, tout comme son fils après lui, mais tous deux laisseront un souvenir fade de leur passage sur le trône de fer, à la différence du second fils d’Aegon, Maegor le Cruel dont le règne est davantage détaillé. Le troisième « gros morceau » de cette histoire des premiers Targaryens est consacré au règne de Jaehaerys et Alysanne qui, avec Aegon, sont considérés comme les principaux artisans de l’unification du royaume.

Épluchage et questionnement des sources : G. R. R. Martin, historien de Westeros

Guerres, alliances, trahisons, tragédies… : l’action se situe trois cent ans avant les événements relatés dans « Le trône de fer », mais la recette reste la même. Ce qui change, en revanche, c’est la manière de narrer ces événements. Car si la série d’origine adopte la plupart des caractéristiques des œuvres de fiction traditionnelles (narration à la troisième personne, alternance de points de vues, présence de dialogues…), « Feu et sang » se veut au contraire une retranscription de chroniques historiques. On a donc affaire à un texte dense, quasiment exempt de dialogues, écrit à posteriori et dont le seul narrateur est le mestre qui raconte les événements. Ce choix d’un narrateur unique est cela dit largement contrebalancé par la multiplicité des sources (et donc des points de vue) évoquées par l’auteur qui, en bon historien, prend le temps de questionner les textes et témoignages qui lui sont parvenus et de pointer du doigt leurs limites (authenticité douteuse, parti pris de l’auteur, lacunes…). Cette compilation de dates et d’événements pourraient, à première vue, paraître rébarbatives et relevées du pur verbiage réservé aux fans inconditionnels de la série. C’était sans compter le talent de conteur de G. R. R. Martin, qui prouve une fois encore ici qu’il est de la trempe des très grands auteurs. Car ces chroniques se révèlent absolument passionnantes du début à la fin, tant par la forme que par le fond. Outre les règnes successifs des premiers Targaryens, l’auteur retrace la naissance de Westeros tel qu’on le connaît, avec ses institutions, ses traditions, son histoire. On assiste par exemple à la création de la ville de Port Réal située à l’embouchure de la Néra (là où Ageon le Conquérant aurait débarqué pour la première fois) et qui, au fil des ans, évolue du petit village à la ville grouillante et désorganisée, pour ensuite finir par être réaménagée afin de mieux coller à son statut de capitale du royaume. On remonte également aux origines de la construction du Donjon rouge, ainsi que de la création de la Garde royale, de la fonction de Main du roi, et même du trône de fer lui-même. Sans compter les détails donnés concernant l’instauration de telle loi, telle taxe, tel impôt…

Une complexité difficilement égalable

Déjà particulièrement étoffé dans la série d’origine, l’univers de Westeros acquiert ici une épaisseur folle tant l’auteur pousse à son paroxysme le degré de précision et la complexité de sa création. Un travail d’autant plus colossal que l’auteur se permet le luxe de poser en permanence les jalons d’autres histoires, notamment via l’évocation des îles et continents qui entourent Westeros mais dont celui-ci n’a pas toujours une bonne connaissance. Difficile de réfréner sa curiosité à la mention des îles d’Été, ou d’Asshaï-lès-l’Ombre, la ville noire des ensorceleurs, ou même de l’ancienne Valyria que l’on sait habité mais par des créatures dont on ignore (et redoute) la nature. Si l’envie de repousser les limites du continent est bien là, il faut reconnaître que le lecteur a déjà suffisamment affaire avec un Westeros plus ancien que celui que l’on connaît, mais qui nous semble néanmoins familier. Et pour cause ! Car si les personnages diffèrent, les dynasties, elles, demeurent, aussi retrouve-t-on pléthore de Starks, de Lannister, de Barathéon, de Tyrell et j’en passe. L’occasion de changer de perspectives et de comprendre comment telle famille a obtenu tel territoire ou telle position, et donc comment des alliances ou des inimitiés ont pu naître et être entretenues au fil des générations. On découvre par exemple la manière dont les Barathéon ont gagné leur blason et leur devise, mais aussi d’où vient au château d’Harrenhall sa sinistre réputation, ou encore la raison pour laquelle les relations entre la couronne et Dorne ont toujours été particulièrement tendues. La famille Targaryen occupe évidemment le devant de la scène et l’auteur revient à de multiples reprises sur ce qui fait leur spécificité : leur physique, leurs dragons… et leur pratique du mariage entre frère et sœur. Un sujet abondamment discuté dans le royaume et qui fournit l’occasion à l’auteur d’aborder en détail l’évolution des relations entre la couronne et les représentants successifs du pouvoir religieux (dans un premier temps farouchement hostiles à la pratique).

Une galerie de personnages remarquable

Même si le travail réalisé par l’auteur pour enrichir toujours plus son univers est incroyable, le plus impressionnant reste malgré tout la formidable galerie de personnages qu’il est parvenu à créer. Ils sont presque une centaine à défiler en l’espace de quatre cent pages, et pourtant jamais le lecteur n’a l’impression de n’être confronté qu’à des noms, et non des êtres de chair et de sang. Le plus grand talent de l’auteur vient en effet de sa capacité à donner une vraie consistance à ses personnages, alors même que certains d’entre eux ne sont présents que le temps de quelques lignes. La plupart des personnages secondaires exposés (et, encore une fois, cela représente un nombre colossal) pourrait ainsi tout à fait se retrouver le héros ou l’héroïne d’un roman à part entière tant l’auteur parvient, en peu de mots, à mettre en scène des destins exceptionnels. Difficile de ne pas être captivé par Le Vautour de Dorne, la cheffe des rebelles Jeyne la Vérolée, le septon Lune, les épouses noires de Maegor le Cruel, ou bien la capitaine Elissa Farman. En ce qui concerne les personnages, il convient d’ailleurs de saluer la place conséquente accordée dans l’œuvre de Martin aux femmes, et ce alors même que la société qu’il met en scène est clairement patriarcale et inspirée du Moyen âge. Guerrières, rebelles, capitaines de navire, reines, putains… : les profils ne manquent pas et permettent d’aborder de nombreuses problématiques liées à la condition féminine, qu’il s’agisse de la jeunesse des mariées, du taux atrocement élevé de mortalité en couches, des viols occasionnés par le droit de cuissage, du sort peu enviable des deuxièmes épouses de seigneur une fois devenues veuve… Parmi toute la galerie de personnages mis en scène, les plus développés reste malgré tout les membres de la famille royale et leur entourage, et là encore les femmes se révèlent particulièrement touchantes ou impressionnantes, qu’il s’agisse de l’inflexible Rhaena Targaryen, de son intrépide fille Aerea, ou encore de la reine Alysanne et de ses filles au tempérament tous très différents (l’occasion cette fois d’aborder la question de la mortalité infantile élevée).

« Feu et sang » a à la fois tout et rien à voir avec la série du « Trône de fer » avec laquelle l’ouvrage partage le même univers et les mêmes ressorts scénaristiques. La forme, elle, diffère considérablement mais le résultat n’en est pas moins passionnant, plein de suspens, de sang, de fureur, de tragédies et de surprises. A lire absolument (en poche ou en VO).

Voir aussi : Partie 2

Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

7 commentaires

      • Lorhkan

        Elle est même déjà parue (du moins en grand format, la version poche est censée arriver en mai mais avec le confinement…). 😉
        J’ai l’intégrale grand format, volumineux morceau de 1000 pages mais je n’ai pas encore mis le nez dedans. Je sais au moins que quand je m’y mettrai, je devrais adorer. 😉

        • Boudicca

          J’avoue que j’ai hésité à prendre l’intégrale ^^Je pense en effet que tu devrais passer un très bon moment. Si on reste confiné suffisamment longtemps 1000 pages c’est presque rien 😉

  • Davalian

    Passé le premier tiers, ce roman nous embarque une nouvelle fois pour Westeros… dommage que cela soi avec Pygmalion. Outre le découpage en deux volumes, l’éditeur a également omis (dans le premier volume en grand format) de reproduire les annexes qui figurent à la fin du deuxième volume (cartes et généalogies), comportement en effet très respectueux des lecteurs confinés qui nous sommes (j »hésite à séparer ce mot en deux parties).
    Sinon bonne nouvelle George R. R. Martin annoncé qu’il allait profiter du confinement pour écrire la suite du cycle principal.

    • Boudicca

      Bien d’accord avec toi concernant Pygmalion qui, malheureusement pour nous, a malgré tout de beaux auteurs comme Martin et Hobb dans leur catalogue. J’ai entendu ça pour Martin : il faut bien trouver des points positifs à la situation 😀

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