Récit contemporain

Un autre regard, tome 3 : La charge émotionnelle et autres trucs invisibles

Titre : Un autre regard, tome 3 : La charge émotionnelle et autres trucs invisibles
Auteur : Emma
Éditeur : Massot Édition / J’ai lu
Date de publication : 2019

Synopsis : Dans ce nouvel ouvrage, Emma aborde des sujets de société qui l’interpellent comme la charge émotionnelle, le consentement, les violences du système policier, la reconnaissance du travail des femmes au foyer… « Je lis plein de choses et je les regroupe par thèmes. Au bout d’un moment, j’ai le sentiment que l’un d’eux mérite d’être porté au public. Alors je résume et ancre ce thème un peu théorique dans nos vies privées. »

 

Moi je ne pense pas qu’une « bonne police » puisse exister. Son rôle sera toujours d’empêcher la rébellion face à un pouvoir injuste. Dans un monde juste, où chacun-e aurait accès à des ressources de façon égale, il n’y aurait quasiment pas de criminalité. Les comportements déviants seraient régulés par le contrôle social des pairs, pas par la police.

« Un autre regard » est une collection de petits albums BD qui rassemblent les planches réalisées par l’illustratrice engagée Emma dont le travail est disponible sur internet. Féministe et anticapitaliste, l’artiste aborde des sujets de société très variés, mais qui visent principalement à mettre en lumière l’inégalité des relations entre les femmes et les hommes, ainsi que les conséquences dramatiques de notre modèle économique. Les thèmes abordés sont toujours passionnants, et l’angle de réflexion choisi (très à gauche) permet de voir les choses d’une autre manière. A l’aide de témoignages, de données chiffrées, ou encore d’extraits des thèses de certains intellectuels ou chercheurs (sociologues, économistes…), Emma nous offre un nouveau regard sur des sujets aussi variés que la culture du viol ou l’éducation genrée, sans oublier les violences policières, le travail invisible et gratuit des femmes, mais aussi le travail émotionnel.

C’est pas bien mais

C’est la culture du viol qui intéresse Emma dans ce premier chapitre qui revient sur toute une série de comportements abusifs dont les hommes n’ont pas forcément conscience mais qui consistent, tous, à se passer de consentement. L’occasion de rappeler qu’avoir un comportement abusif ce n’est pas seulement employer la force, mais aussi profiter de la vulnérabilisé de sa partenaire ou de la culpabiliser jusqu’à ce qu’elle accepte une relation sexuelle. Une excellente entrée en matière qui insiste sur la nécessité de déconstruire un certain nombre de mythes et conditionnements qui nuisent à notre société.

Un rôle à remplir

Le second thème vise à nous faire comprendre que les relations entre hommes et femmes sont faussées par notre éducation genrée. L’auteur y évoque, entre autre, la manière dont nous axons l’éducation des petites filles sur le physique, les injonctions à se conformer aux critères de beauté qu’on ne cesse de nous imposer, ou encore les réactions hostiles suscitées par le mouvement Me too (réactions émanant quasiment toutes de la classe bourgeoise qui revendique « le droit d’importuner »… ?!).

L’histoire d’un gardien de la paix

Le troisième sujet abordé est aussi le plus long : il traite du parcours d’Erik, aujourd’hui à la retraite mais qui a effectué toute sa carrière dans la police. C’est un peu par hasard qu’Erik est recruté dans la police où il commence sa carrière dans la BAC auprès d’un supérieur très à cheval sur le respect de la déontologie. Le métier lui plaît, jusqu’à ce qu’il soit muté et se retrouve confronté aux violences perpétrées par ses collègues. A Paris, il intervient au côté d’une équipe d’intervention de nuit où il est témoin de comportements dangereux et illégaux : rodéo voiture dangereux, rapports ambigus avec les prostituées, comportements violents et racistes… Choqué, le jeune policier s’empresse de faire un rapport à sa hiérarchie. Le premier d’une longue série qui seront tous classés sans suite. C’est même lui qui sera sanctionné à la place de ses collègues ! Falsification de rapports, mutation au poste de garde statique, conseil de discipline… : autant de mesures auxquelles la hiérarchie aura recours pour le forcer à se taire. Erik finira par créer son propre syndicat pour dénoncer les violences policières et les dégâts de la politique du chiffre mais il finit sa carrière épuisé et déprimé. Une bande dessinée passionnante qui nous incite à nous questionner sur le rôle de la police : protéger les citoyens ? Ou servir le pouvoir en place ? En tout cas une chose est clair, ceux qui essaient de changer les comportements se font broyer par l’institution.

Michelle

Le quatrième sujet évoque la répartition genrée des responsabilités au sein du couple et la division sexuelle du travail. En gros, les homme se livrent majoritairement au travail productif, et les femmes au travail reproductif. Sauf que l’un donne le droit à un salaire et une retraite, tandis que l’autre est invisible et gratuit. Cette répartition créé une situation de dépendance financière au sein des couples, et celles-ci sont d’autant plus difficiles à supporter pour les femmes qui se retrouvent du jour au lendemain seules, ou qui voudraient quitter leur conjoint mais ne le peuvent pas parce qu’elles n’ont pas les ressources nécessaires pour vivre seules (d’après l’INSEE, les femmes séparées voient leurs revenus baisser de 14,5 % alors que ceux des hommes augmentent de 3%). Emma profite du sujet pour aborder les réflexions de féministes cherchant à mettre fin à ce travail gratuit des femmes. Ainsi, alors que les féministes de droite considèrent que l’émancipation passent exclusivement par le travail, sans jamais questionner les conditions de travail imposées aux femmes (les métiers qui correspondent aux activités dévolues aux femmes dans la vie privée sont essentiellement exercés par des femmes et ne font donc que reproduire les inégalités), les féministes anticapitalistes réfléchissent pour leur part à un moyen non seulement de mieux répartir le partage des tâches reproductives mais aussi des moyens de production. Instructif !

Le pouvoir de l’amour

La cinquième et dernière thématique aborde un sujet rarement évoqué, celui du travail émotionnel, soit le fait pour une femme d’endosser (seule) la responsabilité du confort émotionnel de son entourage. Gérer la santé de son conjoint, entretenir les liens entre tous les membres de la famille, anticiper les moindres besoins du conjoint…. : autant de comportement qui conduisent les femmes à endosser le rôle de mère plutôt que de partenaire, et qui contribuent à renforcer les inégalités entre les sexes.

« Un autre regard » est une excellente collection qui permet de réfléchir à des sujets de société qui sont, finalement, rarement traités de manière globale. Grâce aux témoignages et chiffres recueillis, ainsi que grâce à sa propre expérience en tant que femme et militante, Emma parvient à nous sensibiliser à de multiples problématiques allant de l’inégalité entre les hommes et les femmes aux violences policières. Une démarche militante qui fait un bien fou tant il est rare d’entendre parler d’alternatives au capitalisme, surtout par les temps qui courent.

Voir aussi : Tome 1 ; Tome 2 ; Tome 4

Autres critiques :  ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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