Science-Fiction

L’enfance attribuée

Titre : L’enfance attribuée
Auteur : David Marusek
Éditeur : Le Bélial (collection Une Heure Lumière)
Date de publication : 2019 (août)

Synopsis : En cette fin de siècle surpeuplée, quand les traitements anti-vieillissements rendent chaque individu virtuellement immortel, avoir un enfant relève du luxe le plus extrême. Sam Harger, artiste spécialisé en design intérieur, ne s’attendait pas à tant de bonne fortune lorsqu’il rencontra l’ambitieuse Eleanor Starke. Couler le parfait amour, puis obtenir l’autorisation d’avoir un bébé… une chance inouïe pour le couple, qui ne cache pas son bonheur. Mais dans ce monde surveillé à l’extrême, dominé par l’informatique et les intelligences artificielles, est-on jamais à l’abri des bugs ?

 

« Dans un tiroir se trouvait un bébé à notre nom »

« L’enfance attribuée » est une novella qui fait partie de la fournée des trois ouvrages parus fin août dans la collection « Une Heure Lumière » du Bélial qui compte désormais plus d’une vingtaine d’œuvres dans son catalogue. On retrouve ici toutes les caractéristiques qui font la marque de fabrique de cette collection au succès bien mérité : un texte court, un auteur nominé pour recevoir les prix les plus prestigieux des littératures de l’imaginaire, et une magnifique couverture signée Aurélien Police. Si l’ouvrage fut conforme à mes attentes sur la forme, le fond, lui, m’a en revanche peu convaincue. David Marusek met ici en scène un couple peu ordinaire, un artiste spécialisé dans le design d’intérieur et une femme politique ambitieuse, évoluant dans un monde futuriste encore plus atypique. Un monde hyper-connecté, dans lequel les hommes se sont affranchis de la mortalité en parvenant à trouver le moyen de rajeunir perpétuellement leur corps. La jeunesse éternelle n’a toutefois pas que des avantages. D’abord, elle ne garantit pas l’immortalité : en effet, une mystérieuse maladie apparemment incurable frappe aléatoirement certains individus et pousse les autorités à prendre des mesures drastiques pour éviter sa propagation. Ensuite, la reproduction se trouve évidemment totalement chamboulée par ce non vieillissement permanent de la population. Impossible de procéder comme aujourd’hui par des rapports physiques. Désormais, la procréation est étroitement surveillée et des « permis bébé » sont délivrés par les autorités. Sans ce précieux sésame, impossible d’agrandir sa famille, et ces derniers sont accordés au compte-goutte. Sam et Eleanor n’en sont que plus surpris lorsqu’ils apprennent que, alors qu’ils n’en ont pas fait la demande, une autorisation de ce type leur a mystérieusement été octroyée.

Sujet intéressant mais traitement trop partiel

Le pitch était alléchant, mais le récit ne tient malheureusement pas ses promesses. Première déception, la question de la procréation artificielle et celle de l’arrivée de cet enfant dans le couple n’occupent en réalité qu’une place très secondaire dans l’intrigue. Il faut en effet attendre environ la moitié du récit pour que le sujet du bébé soit évoqué, toute la première partie étant consacrée à la description de la rencontre entre les deux protagonistes et à l’évolution de leur relation alors que l’un d’entre eux accède à un statut social supérieur. Et même alors, l’arrivée de cet enfant est presque aussitôt relégué au second plan au profit de la mésaventure rencontrée par le protagoniste. Alors certes, quelques scènes nous en apprennent un peu plus concernant la manière dont ces enfants sont créés, mais les informations fournies sont trop lacunaires. Pourtant, pousser la réflexion plus loin sur le sujet aurait été intéressant puisque l’auteur imagine des bébés conçus uniquement artificiellement dans des sortes de matrices auxquelles on pourrait attribuer n’importe quel gène (on pense bien sûr à plusieurs reprises au « Meilleur des mondes » de Huxley). Il aurait également été intéressant de traiter les traumatismes causés chez la population par cette quasi absence d’enfants (l’auteur évoque juste le fait que, lorsqu’un bébé est attribué à une famille, une sorte de frénésie s’empare de nombreux individus qui s’empressent d’aller jeter un œil au nouveau né). Difficile en effet de croire que cette interdiction étendue à toute la population d’avoir un ou des enfants n’aurait aucune conséquence psychologique, or celles-ci ne sont jamais évoquées (à l’inverse de ce que fait Nancy Kress dans « Les hommes dénaturés », roman dans lequel l’autrice imagine une société dans laquelle la natalité aurait drastiquement chuté au point de ne plus permettre à grand monde d’avoir une descendance, et où les individus tenteraient, avec plus ou moins de succès, de trouver des substituts pour pallier à ce manque).

Des personnages et un monde aseptisés

Ce que je pensais être le cœur de l’ouvrage compte tenu de la couverture et du titre n’est ainsi traité que de manière anecdotique, l’essentiel de l’intrigue étant consacré à l’ascension puis au déclin social du protagoniste. Difficile de trouver une autre ligne directrice au récit qui aborde de nombreux sujets mais de façon toujours très évasive, si bien que je ne suis jamais parvenue à m’intéresser au parcours des personnages. D’ailleurs, qu’il s’agisse de Sam ou d’Eleanor, aucun des deux ne parvient à susciter l’empathie : le premier a trop tendance a s’apitoyer sur son sort et la seconde est trop froide. Leurs réactions paraissent ainsi totalement en décalage, si bien qu’on peine à compatir aux épreuves qu’ils traversent et qui ne semblent les toucher que très partiellement. On retrouve cette même distance entre le lecteur et l’univers dépeint puisque l’auteur ne nous donne là encore que trop peu d’éléments. On sait qu’on a affaire à une société hyper-connectée (chaque personnage a son assistant numérique personnel qui gère pour lui tous les aspects « rébarbatifs » du quotidien) et que des IA contrôlent sans arrêt tous les individus (et ce même pendant les moments les plus intimes de leur vie), mais tout le reste est abordé de manière tellement succincte qu’on ne parvient ni à se faire une représentation claire de l’univers dans lequel vivent les personnages, ni à s’y intéresser. En quoi consiste le poste d’Eleanor ? Quelle est cette mystérieuse maladie et pourquoi est-elle si dangereuse ? Comment expliquer les bugs rencontrés par le système ? Comment la société est-elle organisée au-delà du simple cercle familial ? Autant de questions qui resteront malheureusement sans réponse, et c’est ce qui, je pense, a contribué à me donner cette impression de récit un peu brouillon et incomplet.

En dépit d’un pitch intriguant, la novella de David Marusek m’a, hélas, totalement laissée de marbre. Des personnages trop froids, une société dystopique trop peu développée et une intrigue qui part dans tous les sens : autant d’éléments qui m’ont empêchée de m’immerger dans ce texte qui traite pourtant de problématiques intéressantes.

Autres critiques : Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel) ; Apophis (Le culte d’Apophis) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Elhyandra (Le monde d’Elhyandra) ; Le chien critique

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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