Enfants de la Terre et du Ciel
Titre : Enfants de la Terre et du ciel
Auteur : Guy Gavriel Kay
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2018 (août)
Synopsis : Dans les Balkans de la fin du XVe siècle, vingt-trois ans après la chute de Sarance, cinq personnages parmi tant d’autres sont en quête de leur destinée. Danica Gradek, fougueuse amazone de la cité pirate de Senjan ; Pero Villani, jeune artiste séressinien dépêché en Asharias pour y peindre le portrait du conquérant ; Marin Djivo, cadet d’une grande famille marchande de Dubrava ; Leonora Valeri, fille reniée de la noblesse batiare en mission d’espionnage ; et celui qu’on nomme Damaz, futur djanni dans l’infanterie d’élite du calife. Leurs parcours vont se croiser, s’entrelacer, saisis dans le grand mouvement de la politique, des rivalités économiques, de la guerre et du choc des religions.
Cela se produit à l’occasion : on découvre des vérités sur soi-même en un instant, parfois au milieu d’événements dramatiques, parfois dans le plus grand calme. Sous un vent de crépuscule soufflant de la mer, seul dans son lit par une nuit d’hiver, en pleurs sur une tombe parmi les feuilles mortes. Ivre dans une taverne, en proie à d’atroces douleurs, sur le point d’affronter des ennemis sur le champ de bataille. En ces heures où on attend un enfant, tombe amoureux, lit à la lueur d’une bougie, regarde le soleil se lever ou une étoile se coucher, où l’on meurt.
Retour en terrain connu pour le maître incontesté de la fantasy-historique
Après avoir consacré deux volumes à la Chine médiévale, Guy Gavriel Kay continue à explorer les périodes de l’histoire par le biais de la fantasy et s’attaque cette fois aux Balkans de la fin du XVe siècle. Vingt-trois ans après la chute de Sarrance (Constantinople) devenue Asharias, les adorateurs de Jad (comprenez les chrétiens) ont toujours du mal à se remettre du choc et les tensions dans cette région du monde ne cessent de s’exacerber entre les différentes forces en présence. Les Osmanli (les Ottomans) ne cessent de repousser les frontières de leur empire et lorgnent désormais sur des terres encore plus au nord et à l’ouest, à commencer par celles du Saint-Empire de Jad (le Saint-Empire romain germanique). L’auteur s’intéresse également au sort de trois cités qui ont chacune, pour des raisons bien différentes, des intérêts dans la région : la première est la République de Séresse (Venise) qui entend bien conserver sa domination sur l’Adriatique en matière d’échanges commerciaux ; la seconde est la ville de Dubrava (Dubrovnik) qui se bat pour garder son indépendance et ne s’attirer les foudres d’aucun de ses puissants voisins ; et enfin la troisième est la petite ville de Senjan (Senji), une place-forte dans laquelle se sont réfugiés ceux ayant fui l’avancée ottomane et qui se livrent depuis à la piraterie (non seulement sur les navires marchands venus d’Asharias mais aussi de Séresse). Bien qu’occupant une zone géographique fort restreinte, ces Senjaniens posent un véritable problème à toutes les grandes puissances alentour : l’empereur d’Obravic les a placé sous sa protection mais doit subir les foudres de Séresse qui n’accepte pas que ses navires soient pillés ; Séresse commence à perdre patience à force de voir ses marchandises disparaître et sa réputation écorner ; quand aux Osmali, ils ne peuvent évidemment tolérer qu’une minuscule cité à leur frontière se permette de leur nuire de manière aussi affichée.
Des frontières et des hommes
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’auteur n’entend pas se focaliser ici sur les principaux acteurs du pouvoir dans chacun de ses empires ou cités. Si un ambassadeur, un duc, ou même un empereur, ont bien le droit à quelques scènes, la plupart des protagonistes du drame qui se joue ici sont en réalité des personnes parfaitement ordinaires. Une guerrière avide de venger la mort de sa famille, un jeune peintre à qui on confie une commande risquée mais à même de le couvrir de gloire, un marchand, une noble déchue devenue espionne, un soldat d’élite de l’armée d’Asharias : voilà, pour faire court, le type de profils sur lesquels Guy Gavriel Kay a ici choisi de se pencher. Il s’agit en effet moins d’aborder ici les bouleversements opérés par la guerre et les conquêtes à l’échelle des empires qu’à celle des individus. La variation constante des frontières et les conséquences sur les « gens du commun » : voilà le cœur du nouveau roman du maître de la fantasy-historique. Un sujet au combien d’actualité que l’auteur traite avec sa délicatesse et sa subtilité habituelle en faisant partager à ses lecteurs la colère, la souffrance, l’impuissance ou le refus de se résigner de tous ces gens ordinaires qui ont vu leur vie totalement transformée en même temps que se remodelaient les frontières autour d’eux, que ce soit après le passage d’une force armée, ou simplement parce que la région dans laquelle ils vivent est devenue un objet de litige entre deux puissances. Guy Gavriel Kay aborde également avec cette sensibilité qui lui est propre et qui a fait le succès de ses précédentes œuvres la question du temps qui passe et des traces qu’un individus peut laisser dans l’histoire. Il ne se prive notamment pas de multiplier les références à certains de ses anciens romans, à commencer évidemment par « La mosaïque de Sarrance » dans laquelle il mettait en scène la même région du monde mais plusieurs siècles plus tôt.
Ce serait une erreur de croire une tragédie régulière, continue, même en des temps tumultueux. Le plus souvent, des périodes d’accalmie et de répit parsemèrent la vie d’un personnage ou d’un état. On observe un semblant de stabilité, d’ordre, une illusion de calme…et puis les circonstances changent en un tournemain.
Émotion et reconstitution historique impeccable : la marque de fabrique de Guy Gavriel Kay
L’auteur mentionne ainsi l’air de rien une certaine fibule représentant un oiseau, les victoires d’un aurige exceptionnel ou encore la mosaïque sublime représentant deux impératrices, et chaque de ces références manquent de faire venir les larmes aux yeux du lecteur tant elles évoquent de souvenirs. Le roman est ainsi plein d’émotion et la mélancolie qui ne tarde pas à s’installer tient autant à ces fameux souvenirs des temps anciens qu’aux personnages en eux-mêmes. Comme toujours dans les œuvres de l’auteur, chacun des protagonistes se retrouve à un moment ou un autre confronté à un choix difficile à même de totalement bouleverser sa vie, voire, pour certains d’entre eux, l’ordre du monde. Outre ses personnages, le roman est aussi porté par la documentation impeccable de l’auteur qui tente de nous donner la vision la plus précise et la plus nuancée possible d’une époque donnée. Le contexte géopolitique est rigoureusement respecté, et il est particulièrement intéressant de voir l’auteur se focaliser sur le cas méconnu de Senji et des Uscoques (ces réfugiés ayant fui la Bosnie sous la pression des Ottomans et auxquels Georges Sand a d’ailleurs consacré un roman). Le roman fourmille également de détails qui nous permettent de nous faire une idée précise du contexte économique de la Renaissance, ainsi que de la manière dont on commerçait. Comme toujours, l’auteur cherche également à renforcer l’immersion de son lecteur en nous donnant un aperçu de la production artistique en cette fin de XVe siècle. Après la mosaïque sous Justinien, la poésie chinoise sous les Tangs, ou la musique à l’époque de la Reconquista, Guy Gavriel Kay met l’accent sur la peinture et l’essor de nouvelles techniques picturales qui donneront naissance aux chefs d’œuvre de la Renaissance que l’on connaît tous. Pigments utilisés, supports, liants, traités de peinture… : tout est là, et c’est absolument passionnant.
« Enfants de la Terre et du ciel » témoigne une fois encore du talent incontestable de Guy Gavriel Kay en matière de fantasy historique et permet aux lecteurs d’arpenter une nouvelle région du monde et une nouvelle époque. Les thématiques très actuelles évoquées, ainsi que la mélancolie qui se dégage du texte, renforcent l’émotion suscitée par les personnages qui, une fois encore, marqueront le lecteur pour longtemps une fois la dernière page refermée.
Autres critiques : Lutin82 (Albédo – Univers imaginaires)
9 commentaires
Baroona
Énième commentaire indiquant qu’il FAUT que je lise du Guy Gavriel Kay. Surtout qu’il ne semble pas capable de faire un mauvais livre le bougre.
Boudicca
J’avoue que pour l’instant il n’y a que du bon et du très bon 😉
Acr0
Je qualifie ces protagonistes comme des personnages ordinaires au destin extraordinaire. Bien que je ne sois pas autant attachée à eux qu’à d’autres individus rencontrés dans les romans précédents de GGK, j’ai aimé partir dans un nouveau récit de ce bon conteur. Les références à ses autres titres sont présentes mais je pense qu’elles ne gênent en rien à la lecture si on ne les a pas encore découverts. C’est vrai que la mélancolie s’installe dans leurs histoires personnelles.
Boudicca
Oui c’est tout à fait ça 🙂
Tachan
Encore un livre de Kay à ajouter à ma liste quand j’aurai lu les Lions qui attendent dans ma PAL ><
Merci pour la chronique 🙂
Elhyandra
Je l’ai je l’ai je l’ai hiiiiihihihihi ^^
Hum hum, j’aimerais réussir à le lire quand j’aurai le temps car il est épais le bougre ^^ mais vu comme c’est parti je pense pas avant mars avec beaucoup d’espoir, faudrait que je m’organise comme Apophis ^^
Boudicca
IL est épais mais c’est du Kay, du coup ça se lit vite 😉
lutin82
Oh! YEAHHHHHHHH!!!!!
POUR MOIIIIIIIIIIIIIIII
Boudicca
Je me doutais que tu sauterais dessus ^^