Récit contemporain

L’arabe du futur, tome 4 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1987-1992)

Titre : L’arabe du futur
Série : L’arabe du futur, tome 4
Auteur : Riad Sattouf
Éditeur : Allary
Date de publication : 2018 (octobre)

Synopsis : Âgé de neuf ans au début de ce volume, le petit Riad devient adolescent. Une adolescence d’autant plus compliquée qu’il est tiraillé entre ses deux cultures – française et syrienne – et que ses parents ne s’entendent plus. Son père est parti seul travailler en Arabie saoudite et se tourne de plus en plus vers la religion… Sa mère est rentrée en Bretagne avec les enfants, elle ne supporte plus le virage religieux de son mari. C’est alors que la famille au complet doit retourner en Syrie…

– Degas ! Un immense artiste ! Qu’est-ce qu’il se passe dans sa tête, toi ? T’es gêné par un dessin alors que t’es docteur à la Sorbonne ? Tu te rends compte ?
– C’est impudique ! C’est haram ! C’est moi qui commande dans ma maison, je suis l’homme !
– L’homme, tu parles !
– Comment ça, tu parles ? Une femme doit obéir à son mari !
– Moi j’obéis à personne ! Je suis pas comme les femmes soumises de ton village arriéré !

Le grand retour de l’arabe du futur

Cela fait maintenant quatre ans que l’artiste Riad Satouff s’est lancé dans l’écriture de romans graphiques retraçant les événements les plus marquants de son enfance passée entre l’Orient (en Syrie, essentiellement) et la France. Le procédé n’est évidemment pas nouveau (on pense bien sûr à « Persépolis » de Marjane Satrapi ou encore plus récemment à « Coquelicots d’Irak » de Brigitte Findakly), mais le ton volontiers humoristique de l’œuvre associé à l’acuité des souvenirs de l’auteur participent à faire de cet « Arabe du futur » une nouvelle référence dans ce domaine. [Les spoilers étant inévitables, je vous conseille de passer votre chemin si vous n’avez pas encore eu l’occasion de lire les trois tomes précédents.] Après le coup de tonnerre de la fin du troisième opus, on retrouve donc le jeune Riad et sa famille qui entre définitivement dans une phase plus mouvementée. Très effacée pendant l’enfance de l’auteur, voilà que sa mère se rebiffe enfin contre son mari dont l’attitude se fait de plus en plus inqualifiable. Après l’avoir suivi au bout du monde, accepté des conditions de vie difficiles et renoncé à sa carrière pour s’occuper des enfants, madame se décide enfin à penser à elle et à ne plus accepter ni les propos ni les actes condamnables de monsieur. Le couple bat de l’aile, le petit Riad et ses deux frères continuent à grandir et, même si beaucoup de scènes se déroulent encore en Syrie, l’essentiel de ce quatrième volume prend place en France (et plus précisément en Bretagne, chez les grands-parents maternels). Les précédentes aventures de l’artiste m’avaient déjà beaucoup touchée, mais avec ce tome bien plus conséquent que tous les autres, Riad Satouf parvient encore à nous émouvoir, nous faire rire, ou nous choquer (le coup de théâtre final, notamment, laisse planer un suspens insoutenable et marque profondément le lecteur).

Les parents de l’artiste dans la tourmante

On constate dans ce quatrième tome que notre artiste en herbe quitte peu à peu l’enfance pour entrer dans l’adolescence. Cela se traduit d’abord physiquement, par une taille plus grande, une nouvelle coupe de cheveux, de l’acné… L’auteur porte d’ailleurs un regard très critique sur lui-même, et pas seulement d’un point de vue physique. Sa voix, ses manières, sa manie de toujours chercher l’approbation des adultes… : Riad Satouf dresse un portrait de lui enfant qui n’est pas forcément très flatteur, mais c’est justement cette sincérité et cette volonté de ne pas enjoliver les choses qui participent à rendre le personnage aussi attachant. Difficile de ne pas s’émouvoir de sa solitude et de sa maladresse, ni de compatir à ce tiraillement permanent entre deux cultures différentes, chacune défendue par l’un de ses deux parents. Son père, notamment, fait peser sur lui une lourde pression afin de faire de lui un arabe exemplaire et un musulman convaincu (sans jamais le forcer, toutefois). Les signes de l’évolution du petit Riad se manifestent aussi de manière plus subtile, à mesure qu’il se concentre de moins en moins sur sa propre personne et que son empathie s’étend aux membres de son entourage. L’artiste s’efface ainsi de plus en plus souvent pour donner le rôle principal à ses parents qui se déchirent. Impossible de ne pas s’identifier à la mère qu’on est ravi de voir enfin se rebeller et s’élever contre les injustices ou les propos horribles tenus par son mari (sur les Juifs, les noirs, les femmes, les Français…). On sent bien toute l’admiration que l’artiste a pour sa mère, tandis que son père est présenté sous un jour beaucoup moins flatteur. Lâche, raciste, sexiste, antisémite, obsédé par l’argent, de plus en plus radical d’un point de vue religieux : l’image du père, qui avait déjà été bien écornée dans les tomes précédents, en prend ici un nouveau coup à mesure que l’enfant prend conscience de l’injustice ou de la gravité de certains événements ou propos du quotidien.

Une figure paternelle bien écornée

Si on ne peut s’empêcher d’admirer le courage de la mère, on éprouve au contraire de plus en plus de mépris envers le père à qui on a désormais bien du mal à trouver des excuses. D’ailleurs, globalement, la plupart des personnages arabes rencontrés dans ce quatrième tome sont dépeints de manière négative, qu’il s’agisse de sa belle cousine très religieuse qui ne cesse de critiquer tout ce qui vient d’Occident et ce qu’elle considère comme des pratiques dégénérées, ou bien de son cousin violent qui menace sa mère parce qu’elle a eut affaire en France à un médecin homme. Et même en France, les seuls arabes que l’on croise sont des jeunes des quartiers qui s’empressent de courser notre héros pour le tabasser… Les passages en Syrie sont moins nombreux mais on a toujours l’image d’un pays très pauvre et violent dans lequel la religion occupe une place centrale et où les femmes sont toutes soumises à l’autorité des hommes. Les scènes se déroulant en Arabie Saoudite sont encore pire et ne manquent pas de révolter le lecteur (je pense notamment à la scène surréaliste au cours de laquelle le père, professeur à l’université, fait cours à un amphi de femmes… derrière une caméra, dans une pièce à part, pour ne pas poser les yeux sur elles…). Le récit étant basé sur une expérience vécue, on peut difficilement douter de la sincérité de l’auteur ou de la réalité de tous ces événements, mais je m’interroge néanmoins sur l’image que cela renvoie et sur le message que certains lecteurs peu ouverts d’esprit pourraient y voir. La critique est cela dit un peu atténuée par le fait que l’artiste montre également les mauvais côtés de certains membres de l’entourage de sa mère : sa grand-mère a beau être adorable elle n’en tient pas moins des propos odieux sur l’homosexualité, quant à son grand-père, il ne cesse de lui demander s’il est « un vrai mec » et l’encourage à embrasser et peloter les filles de sa classe.

Riad Satouf continue de nous régaler avec ses souvenirs d’enfance qui prennent néanmoins une teinte plus sombre à mesure que l’enfant grandit et réalise la gravité des événements dont il a pu être témoin ou des propos qu’il a pu entendre dans la bouche de son père. L’humour est cela dit toujours bien présent, et ces touches de légèreté sont les bienvenues dans un contexte de plus en plus tendu au sein du couple parental qui semble définitivement sur le point d’exploser. Inutile de vous dire que j’attends la suite avec beaucoup d’impatience.

Voir aussi : Tome 1 ; Tome 2 ; Tome 3

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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