Fantasy

Entre troll et ogre

Titre : Entre troll et ogre
Auteur : Marie Catherine Daniel
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2018 (avril)

Synopsis : Arsouille est un vieux troll désabusé et perclus d’arthrite. Plus grand-chose ne l’inquiète, à part bien sûr les ogres, la guerre et son petit-fils qui doit entrer au collège…Mais un soir, Arsouille reçoit une lettre pleine de regrets de son jumeau qu’il n’a pas vu depuis cinquante ans. La surprise est totale : son frère est un ogre et les ogres n’écrivent pas aux trolls. D’ailleurs, les ogres ne font pas dans le sentiment, pas même avant de vous arracher la tête. Alors qui a écrit cette lettre ? Arsouille qui ne sait pas déchiffrer une carte va devoir se rendre sur le front pour le découvrir… Une enquête à mi-chemin entre la fantasy et le post-apocalyptique. Avec Entre troll et ogre, Marie-Catherine Daniel signe un roman puissant qui interroge la notion d’humanité.
Bibliocosme Note 3.5

Tentative réussie de réhabilitation des trolls

S’il y a bien une créature qui n’a pas bonne réputation dans le milieu de la fantasy, se sont bien les trolls. Laids, brutaux, stupides, maladroits… : la manière de les présenter varie peu et les cantonne au sempiternel rôle de méchants, certes un peu pénibles à abattre, mais dont on ne s’embarrasse pas bien longtemps (or on sait tous qu’il en existe pourtant de très sympathiques !). Ce n’est toutefois pas le parti pris de Marie Catherine Daniel qui met le troll à l’honneur dans ce petit roman fort plaisant paru en avril chez ActuSF. On y fait la connaissance d’Arsouille, un vieux troll qui n’attend plus grand chose de la vie, jusqu’à ce qu’il reçoive un jour une lettre de son frère jumeau qu’il n’a pas revu depuis plus de cinquante ans. Nulle brouille à l’origine de cette séparation, mais un caprice de la génétique puisque, à l’adolescence, le frère adoré s’est transformé… en ogre. Et oui, naître troll ne garantit pas de le rester ! La chose ne serait pas si tragique si l’un et l’autre n’étaient justement pas si différents. Bagarreurs, incultes et dotés d’une compréhension limitée, les trolls font office de main d’œuvre bon marché et vivent sous le joug impitoyable des ogres qui, dotés d’une intelligence (et d’une dentition !) très supérieure, se sont naturellement placés en haut de la hiérarchie. La surprise est d’autant plus grande pour Arsouille que les ogres sont censés ne rien pouvoir éprouver, pas le moindre sentiment. Comment, alors, se fait-il que son jumeau lui écrive pour lui faire part de sa douleur d’avoir été séparé de lui toutes ces années ? Ni une, ni deux, voilà notre vieux troll en route pour résoudre ce mystère et, peut-être, renouer avec ce frère qu’il n’a cessé d’aimer en dépit de sa nature.

Une société brutale et impitoyable

Le roman est court et bien rythmé, les péripéties s’enchaînant rapidement et permettant de révéler à chaque fois un aspect différent de l’univers de l’auteur. Un passage dans l’équivalent de l’éducation nationale, un voyage en train très mouvementé, un aperçu de la guerre particulièrement meurtrière menée contre le voisin… : les rebondissements ne manquent pas ! Si les aventures d’Arsouille sont intéressantes, c’est malgré tout le fonctionnement de la société telle que dépeinte ici par l’auteur qui intrigue avant tout le lecteur. On l’a dit, les trolls et les ogres appartiennent à deux races bien distinctes (quoique pas si éloignées puisqu’un représentant de l’une peut soudainement passer à l’autre), ce qui justifie la suprématie de l’une sur l’autre. Si le ton se veut volontiers léger au début du récit, cette légèreté ne suffit toutefois pas à cacher la violence omniprésente qui règne dans cette société. Ce qui choque dans un premier temps, c’est évidemment la brutalité des trolls entre eux (et en cela ils s’avèrent fidèles à leur triste réputation) puisqu’Arsouille s’attarde à plusieurs reprises sur les guerres de gangs que se livrent ses concitoyens chez qui la loi du plus fort règne en maître (notre héros trouve ainsi tout à fait normal de se faire attaquer par une bande de jeunes trolls en maraude : il n’avait cas pas avoir l’air aussi vulnérable !). Et puis, petit à petit, on se rend compte que ce comportement bestial adopté par les trolls (et qui sert à justifier leur exploitation) est avant tout la conséquence de la violence à laquelle ils sont quotidiennement confrontés de la part des ogres. Une violence qui s’exerce d’ailleurs dès le plus jeune âge, les écoles chargées d’accueillir les trolls n’étant rien d’autre que de géantes garderies où l’on essaie même pas d’éduquer les « trollinous » (j’adore ce terme) mais où on leur faire bien comprendre qu’ils ont tout intérêt à craindre les ogres.

De la nature trollesque…

L’auteur livre ici une très intéressante réflexion sur le déterminisme, l’éducation et l’impact de la violence. Ce qui commence comme une sympathique et légère petite aventure prend ainsi plus d’ampleur au fil du récit qui se fait de plus en plus sombre et de plus en plus profond. Cette évolution, on la constate également chez le protagoniste qui subit une grosse transformation au fur et à mesure que sa quête avance et qu’il réalise que quelque chose cloche dans le fonctionnement de la société dans laquelle il vit. Ce n’était pourtant pas gagné, Arsouille étant au début du roman un personnage assez antipathique car ayant intégré tous les codes et comportements négatifs typiquement associés aux trolls (avec notamment une manière de s’adresser et de considérer la gente féminine qui m’a, à plusieurs reprises, donné envie de l’étrangler). Et puis, peu à peu, l’auteur dégrossit son personnage qui se fait plus complexe et en vient à développer de l’empathie pour ceux qui l’entourent. Arsouille va évidemment croiser sur son chemin un certain nombre de personnages (des trolls, pour la majorité) qui se révèlent pour la plupart trop peu développés pour susciter l’affection du lecteur mais qui jouent malgré tout efficacement leur rôle d’acolytes ou de soutiens du héros. Autre aspect intéressant : s’il est évidemment facile de faire le rapprochement entre les thématiques traitées par l’auteur et notre propre société, le lien entre notre civilisation et celle-ci est bien plus étroit qu’il n’y paraît puisque le monde d’Arsouille est, d’une manière ou d’une autre, l’héritier du notre. Les humains sont en effet mentionnés à plusieurs reprises comme des êtres un peu légendaires qui auraient vécu il y a longtemps avant de disparaître (quoique…) tout en laissant quelques traces de leur passage que certains n’ont pas renoncé à tenter d’exploiter avec plus ou moins de succès (ordinateurs, véhicules, récits…).

Marie Catherine Daniel signe avec « Entre troll et ogre » un petit roman qui ne paye peut-être pas de mine au départ, mais qui se densifie au fil de la lecture pour nous offrir une véritable réflexion sur la nature humaine (ou trollesque). Porté par un personnage touchant qui entame (malgré son grand âge !) une véritable quête initiatique, le récit séduit autant par son sérieux sous-jacent que par la qualité de son univers et l’originalité de son sujet. Une sympathique découverte, à lire si vous voulez étoffer un peu votre connaissance en matière de trolls !

Autres critiques :  Acro (Livrement) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Eleyna (La bulle d’Eleyna) ; Elhyandra (Le monde d’Elhyandra)

NB : Si vous souhaitez découvrir d’autres récits dans lesquels les trolls occupent le devant de la scène, je vous conseille les ouvrages suivants : l’anthologie Trolls et légende 2015 ; l’anthologie Trolls et licornes ; les romans hilarants de Jean-Claude Dunyach L’instinct du troll et L’enfer du troll

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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