Récit contemporain

La Lune est blanche

Titre : La lune est blanche
Scénaristes : Emmanuel et François Lepage
Dessinateur : Emmanuel Lepage
Photographe : François Lepage
Éditeur : Futuropolis
Date de publication : 2014

Synopsis : En 2011, Yves Frenot, directeur de l’Institut polaire français, invite Emmanuel Lepage et son frère François, photographe, à intégrer une mission scientifique sur la base française antarctique Dumont d’Urville, en Terre-Adélie. Le but ? Réaliser un livre qui témoignerait du travail des savants. Yves Frenot leur propose, en outre, de participer, commechauffeurs, au raid de ravitaillement de la station Concordia, située au coeur du continent de glace à 1 200 km de Dumont d’Urvillle. Le Raid, comme on l’appelle, c’est LA grande aventure polaire ! Pour les deux frères, ce serait l’aventure de leur vie, mais rien ne se passera comme prévu.


 

Le monde des glaces appartenait, pour moi, aux mondes imaginaires, aux lectures d’Edgar Poe, de Jules Verne ou encore aux peintures souvent fantaisistes du XIXe siècle. Je ne pouvais me représenter l’aventure polaire que lyrique, démesurée, romanesque.

 

« L’Antarctique. Le sixième continent. 14 millions de kilomètres carrés. Un dôme de glace enchâssé dans un socle rocheux. Le continent le plus sec, le plus froid, le plus difficile d’accès. Le continent des superlatifs. Le monde des extrêmes. » Après un voyage à bord du Marion Dufresne ayant donné lieu à une première bande dessinée (« Voyage aux îles de la désolation »), François et Emmanuel Lepage rempilent pour une nouvelle aventure. Sollicités par l’Institut polaire français, les deux frères sont cette fois invités à rendre compte du quotidien des bases antarctiques Dumont d’Urville et Concordia, séparées l’une de l’autre par 1200 km de glace. Après des mois d’attente, d’incertitude et de rebondissements, le photographe et le dessinateur embarquent finalement à bord de L’Astrolabe, le navire qui les emportera en Antarctique pour une expérience inoubliable que le lecteur est ici invité à partager. Les journées interminables passées à bord à souffrir du mal de mer, l’arrivée à la base Dumont d’Urville, les kilomètres de route avalés pour atteindre la base Condordia en compagnie du raid de ravitaillement… : la bande dessinée revient sur les moments forts de cette aventure exceptionnelle, alternant dessins de l’un et photos de l’autre. Le résultat est à couper le souffle et passionnera tous les amateurs de voyage aussi bien par la beauté des décors que par les réflexions pleines de sagesse et de sensibilité des deux artistes. « Le voyage râpe les peaux qu’on se donne, les apparences sociales. On est nu, la peau à vif. C’est un miroir sans concession. »

Des paysages plus magnifiques les uns que les autres défilent pages après pages et transportent le lecteur dans un monde presque surréaliste, fait de blanc, de solitude et de silence. « Nous glissons sans bruit sur le miroir d’une autre réalité, accrochés au bastingage comme à un rêve, sidérés, immobiles dans la beauté des choses. Les icebergs sont comme les dômes d’une ville engloutie, on vient de nous tendre la clef d’un monde inaccessible et lointain, d’une nature gigantesque et confidentielle. » Outre la beauté des illustrations et des photographies, l’ouvrage séduit aussi et surtout parce qu’il entrouvre les portes d’un monde peu (voire pas du tout) connu du grand public. Tout en relatant leur expérience, les deux frères évoquent notamment à plusieurs reprises les différents programmes scientifiques menés en Antarctique dans des domaines extrêmement variés : météorologie, ornithologie, sismologie, biologie… Le lecteur se familiarise ainsi peu à peu avec une communauté intellectuelle rassemblant les spécialistes de tout pays, collaborant ensemble pour le bien de la science. « L’Antarctique est un continent qui n’appartient à personne… ou plutôt, fait unique, il est le bien de l’humanité toute entière. » La présentation de la base et de ses habitants ne se limite cependant pas qu’aux scientifiques mais comprend également les personnels techniques auxquels on ne pense pas forcément malgré leur rôle crucial sur le terrain (cuisinier, plombier, chauffeur, menuisier…) « De l’Antarctique, on retient des dates, des records, mais on sait fort peu de choses des aventures humaines au quotidien. »

L’ouvrage aborde aussi la question du réchauffement climatique et de son impact sur ce sixième continent qualifié de « thermostat de la Terre » : « C’est là, en Antarctique, que je prends conscience de l’impact de l’homme sur la Terre. » Les deux artistes apportent notamment d’intéressantes précisions concernant les recherches menées sur le climat au pôle sud, mais aussi sur les transformations rencontrées ces dernières années par les scientifiques. « En un siècle le niveau de l’océan à augmenté de 17cm… Et ça s’accélère. Pour les dix dernières années, on estime que l’Antarctique a perdu entre soixante-dix et cent cinquante gigatonnes de sa masse. » Paradoxalement, si l’activité humaine est bel et bien responsable des changements observés sur place, il est évident que l’homme n’a pas sa place dans ce désert glacé qui vit périr son lot d’aventuriers. Emmanuel Lepage revient d’ailleurs sur les premières expéditions menées au pôle sud aux XIXe et XXe siècle, mettant ainsi en avant des parcours et des personnalités extraordinaires qui ont marqué l’histoire de ce continent (la course entre Amundsen et Scott et le destin tragique rencontré par ce dernier ; l’odyssée vécue par les membre de l’équipage de l’Endurance menés par Ernest Shackleton qui parvint par miracle à ramener la totalité de ses hommes à bon port…). Cette fascination éprouvée par certains pour l’Antarctique, on la conçoit sans mal à la vue des illustrations et photographies rapportées par les frères Lepage qui lèvent le voile sur des paysages d’une beauté qui ne pourra que toucher le cœur des lecteurs.

Avec « La Lune et blanche », Emmanuel et François Lepage nous invitent à partager une formidable aventure et livrent un ouvrage bouleversant qui ne manquera pas de réveiller les instincts d’explorateur de certains. A lire et surtout à admirer.

Voir aussi : Voyage aux îles de la désolation

Autres critiques : Yossarian (Sous les galets, la plage)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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