Science-Fiction

L’homme qui mit fin à l’histoire

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Titre : L’homme qui mit fin à l’histoire
Auteur : Ken Liu
Éditeur : Le Bélial’ (collection Une heure -lumière)
Date de publication : 2016 (août)

Synopsis : Deux scientifiques mettent au point un procédé révolutionnaire permettant de retourner dans le passé. Une seule et unique fois par période visitée, pour une seule et unique personne, et sans aucune possibilité pour l’observateur d’interférer avec l’objet de son observation. Une révolution qui promet la vérité sur les périodes les plus obscures de l’histoire humaine. Plus de mensonges. Plus de secrets d’État. Créée en 1932 sous mandat impérial japonais, dirigée par le général Shiro Ishii, l’Unité 731 se livra à l’expérimentation humaine à grande échelle dans la province chinoise du Mandchoukouo, entre 1936 et 1945, provoquant la mort de près d’un demi-million de personnes… L’Unité 731, à peine reconnue par le gouvernement japonais en 2002, passée sous silence par les forces d’occupation américaines pendant des années, est la première cible de cette invention révolutionnaire. La vérité à tout prix. Quitte à mettre fin à l’Histoire.

Note 4.5

Le fait que nous ne détenions jamais un savoir total idéal, ne nous absout en rien du devoir moral qui nous incombe de prononcer un jugement et de prendre position à l’encontre du mal.

 

Lorsque l’on évoque la question des crimes contre l’humanité commis pendant la Seconde Guerre mondiale, certains noms nous viennent aussitôt à l’esprit. Auschwitz, Birkenau, Sobibor, et bien d’autres qui renvoient aux camps de la mort et à l’extermination des Juifs en Europe. Peu de gens savent en revanche que l’Armée impériale japonaise s’est elle aussi livrée à des exactions toutes aussi terribles et barbares que les nazis. Avec « L’homme qui mit fin à l’histoire », Ken Liu revient sur l’une des pages les plus sombres de l’histoire du Japon et lève le voile sur les exactions commises pendant plus de dix ans par un corps militaire spécialisé dans la recherche contre la propagation des épidémies. Cette unité, c’est l’unité 731, aujourd’hui reconnue coupable d’avoir effectué des expérimentations sur des milliers de cobayes humains, hommes, femmes ou enfants. Vivisections sans anesthésie, contamination à des maladies comme la syphilis ou le choléra, expériences pour mesurer les effets d’un froid extrême ou de la pression atmosphérique sur le corps humain, viols, tortures… : les scènes décrites sont d’autant plus insoutenables qu’on les sait, hélas, avérées et non pas simples fruits d’une imagination fantasque. N’allez toutefois pas croire que le roman de Ken Liu se limite à une description morbide des atrocités infligées par les membres de cette unité. Non, l’œuvre de l’auteur est beaucoup plus intelligente et subtile que cela.

La forme, d’abord, sort de l’ordinaire puisque nous avons affaire à un documentaire constitué de successions de témoignages émanant des bourreaux, de descendants des victimes, d’historiens, de politiciens ou encore de monsieur et madame tout le monde, interrogés au hasard dans la rue. L’auteur réunit ainsi toute une palette d’opinions qui lui permettent d’approfondir sa réflexion sur la mémoire. Pour mener à bien sa démonstration, Ken Liu décide de faire basculer son récit dans la science-fiction en imaginant un monde où il serait désormais possible de voyager dans le passé. Le problème ? Une seule et unique personne ne peut se rendre à une époque qu’une seule et unique fois. L’occasion pour le chercheur à l’origine de cette innovation d’offrir aux descendants des victimes de l’unité 731 la possibilité de découvrir le sort réservé à leurs proches tout en fournissant à l’ensemble du monde des témoignages irréfutables sur ces événements encore aujourd’hui controversés. Les vives réactions que va susciter cette idée parmi la population illustrent clairement que la plaie est encore à vif, et pas seulement pour le Japon… A travers les témoignages des différents intervenants, Ken Liu propose ainsi une réflexion intéressante sur le métier d’historien et nous alerte sur les dangers du négationnisme, le tout sans jamais se montrer moralisateur ni sans chercher à privilégier l’émotion au dépend de l’analyse, et inversement.

 

En à peine plus de cent pages, Ken Liu signe un texte remarquable, tant sur la forme que sur le fond, et dont on ne peut que saluer la profondeur. Un livre poignant qui nous incite à prendre conscience de l’importance d’accepter et de faire reconnaître tout ce qui constitue notre histoire, y compris les atrocités que nous préférerions passer sous silence : « Impossible de détourner le regard ou de se boucher les oreilles. Il nous faut témoigner ; il nous faut parler pour ceux qui ne le peuvent pas. »

Autres critiques : Apophis (Le culte d’Apophis) ; Blackwolf (Blog-O-livre) ; C’est pour ma culture ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Jean-François Seignol (NooSFere) ; Jean-Philippe Brun (L’ours inculte) ; Le dragon galactique ; Les Chroniques du Chroniqueur ; Lutin82 (Albédo – Univers imaginaires) ; OmbreBones ; Yvan Tilleul (Sin City)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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