Sky Hawk
Titre : Sky Hawk
Scénariste et dessinateur : Jirô Tanigushi
Éditeur : Casterman
Date de publication : octobre 2009
Synopsis : Hikosaburô et Manzô, deux samouraïs exilés aux Etats-Unis depuis la restauration de Meij (1868), vivent de leur chasse sur le territoire des Indiens Crow. Un jour, Hikosaburô porte secours à une Indienne, Running Deer, poursuivie par des chasseurs de prime. Ils sont sauvés in extremis par un groupe de guerriers Oglagla conduits par Crazy Horse. Le chef indien, fasciné par la technique de combat des deux samouraïs, les invite à rejoindre son campement pour enseigner le ju-jitsu à ses hommes. Une profonde amitié va alors naître entre eux.
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Disparu depuis peu, Casterman est l’éditeur de Sky Hawk, une oeuvre particulière dans le travail de Jirô Tanigushi. Préfacé par nul autre que feu Jean « Moëbius » dessinateur de Blueberry et postfacé par Jiro Tanigushi lui-même, l’ouvrage aborde la place du western dans la bande-dessinée franco-belge, devenu plus rare à l’époque de la première publication en 2009. Le genre a depuis retrouvé de son lustre, mais il faut bien avouer qu’un western par le plus européen des mangaka a de quoi intriguer.
Tanigushi écrit avoir été profondément inspiré par les western qui sont parvenus au pays du soleil levant du temps de sa jeunesse. Un véritable travail de recherche, références bibliographiques à l’appui en fin de volume, a du être effectué pour réussir à intégrer des personnages japonais dans un tel contexte. Les héros de ce western ne sont effectivement pas américains mais bien japonais. Samouraïs du clan déchu Aizu, Hikôsaburô et Manzô ont traversé le Pacifique en quête d’une nouvelle vie. La conquête de l’Ouest bat son plein, le cheval de fer s’avance dans les plaines et les indiens subissent les avides ambitions de Washington. Les deux Japonais se tiennent éloignés de tout cela dans leur cahute forestière. Un beau jour pourtant, des cris résonnent parmi les arbres. La jeune indienne Running Deer, poursuivie par des chasseurs de prime est recueillie par les deux guerriers, sous l’oeil du chef sioux Crazy Horse qui décide bientôt de convier les deux hommes à son campement.
Il y a dans Sky Hawk deux histoires contées en parallèle dont il est difficile de dire laquelle prend le pas sur l’autre. Les deux samouraïs adoptent la cause indienne et, au côté de leurs nouveaux alliés, se trouvent une mission pétrie de droiture et d’honneur, qui n’est pas sans leur rappeler leur ancienne vie de guerrier. Entre ces protagoniste se tisse une histoire de métissage culturel avec deux entités à la situation opposée : deux hommes qui ont dû fuir leur terre d’un côté et, de l’autre, des indiens qui essaient de continuer coûte que coûte à vivre sur leur lopin de terre rogné jour après jour par des Américains qui bafouent leurs propres traités. Il en ressort une culture grandie, nourrie par l’autre à partir du moment où les deux japonais choisissent de défendre la cause indienne. Tanigushi, ne se cache pas de l’influence de certaines oeuvres extérieures dans son travail, on ressent forcément celle du roman de Michael Blake, Danse avec les loups (ou au film éponyme). Forcément, cette aventure auprès des indiens d’Amérique et dans laquelle on croise de véritables figures historiques telles Crazy Horse ou bien Sitting Bull est aussi un peu manichéenne. Les Américains, s’ils firent preuve d’une barbarie autant terrible qu’indéniable, n’apparaissent que comme un bloc monolithique guidé par la seule motivation d’arracher leurs terres aux Indiens, à l’image du colonel Custer. Des défenseurs des indiens, il y en eut aussi, moins nombreux, certes. Dans un sens, cette toile de fond historique sur laquelle Tanigushi écrit son récit, celle de la conquête de l’Ouest américain, l’avancée du chemin de fer, la soif de l’or et des minerais précieux, prend parfois le pas sur l’histoire des deux hommes. On aurait aimé être plus encore au coeur de la vie de cette tribu sioux.
Cette belle histoire est mise en image de façon magistrale par Jirô Tanigushi, les environnements sont d’une beauté à couper le souffle, et pas même besoin de couleur pour rehausser le tout. Les jeux d’ombres et la force des encrages suffisent amplement. Ce qui n’empêche pas toutefois les pages couleurs au tout début du livre d’être magnifiques. Les grandes étendues américaines sont superbes comme elles l’ont rarement été. Les personnages sont tout aussi réalistes, qu’ils soient Indiens, Japonais ou Américains. Leurs expressions, leurs mouvements sont parfaitement rendus. Les scènes de batailles, plus nombreuses à mesure que se rapproche la conclusion, sont extrêmement bien construites. Malgré la foule de personnages présents dans les cases, l’action reste tout à fait claire et lisible.
Une histoire qui séduit par ses personnages, par sa situation historique, mais aussi par le sérieux du travail de documentation effectué par Tanigushi, le tout servi par le trait d’un mangaka au sommet de art.