Fantasy

Port d’âmes

Port d'âmes

Titre : Port d’Âmes
Cycle : Cycle d’Évanégyre
Auteur : Lionel Davoust
Éditeur : Critic (Fantasy)
Date de publication : 20 août 2015

Synopsis : « Un proverbe prétend qu’à Aniagrad, tout se monnaye, même l’usage des miroirs. »
Rhuys ap Kaledán est un héritier déchu.
Tout juste libéré de la servitude et des galères, il rejoint la cité franche d’Aniagrad, où tout se vend et tout s’achète, pour reconquérir l’honneur de sa famille. L’occasion lui en est rapidement donnée : Edelcar Menziel, un ancien ami de son père, lui propose de travailler sur la conversion dranique, un procédé perdu depuis des siècles qui permettrait de réaliser des machines magiques. Résolu à tracer son chemin dans la haute société de la ville, le jeune homme s’investit de tout son cœur dans le projet.
Mais bientôt, coincé entre des intrigues politiques et son amour pour une mystérieuse jeune femme qui vend des fragments de son âme pour survivre, Rhuys découvre que le passé recèle des secrets bien sombres et tortueux. Aux prises avec l’ambition, la duplicité et le mensonge, il devra se montrer plus rusé que ses ennemis s’il veut atteindre son but sans perdre son âme.

Note 3.5

Retiens pas les chemins, ça sert à rien. Fie-toi juste à un cap, comme en mer, et essaie de l’atteindre. Tu sais pas où t’es, mais tu sais aller où tu veux.

Après une première Volonté du Dragon bien mystérieuse, puis en 2014 une Route de la Conquête très constructive, Lionel Davoust poursuit l’édification de son monde d’Évanégyre avec un Port d’Âmes franchement à part de ce qu’on a déjà pu voir de cet auteur, mais très bien maîtrisé.

Comme je ne l’ai jamais autant fait pour un roman, tentons l’aventure de la critique au plus près de la lecture (une fois n’est pas coutume, rassurez-vous), en tout cas au moins sur les tout premiers chapitres, car plus loin cela risquerait de trop spoiler votre propre progression.

Après un prologue classique, voire poussif, avec des noms qui peuvent rebuter de but en blanc, Lionel Davoust se rattrape de suite avec un premier chapitre particulièrement immersif, qui pose une ambiance glauque, façon « crapule fantasy » je dirais, et déjà de l’imaginaire en action. Pas d’inquiétude, le plus dur est déjà fait et le voyage ne fait que commencer ! Le chapitre 2 nous lance sur deux intrigues, sûrement les principales car indiquées sur la quatrième de couverture : d’un côté, la relance des aventures de Rhuys dans les arcanes de sa ville de naissance ; de l’autre, l’approfondissement de la compréhension de la magie locale appliquée aux Transferts de portions d’âmes. C’est déjà (ou enfin, selon vos attentes) l’occasion de faire une passerelle avec le monde d’Évanégyre tel que Lionel Davoust nous l’a bâti dans ses précédentes productions, notamment dans la fabuleuse nouvelle « Bataille pour un souvenir » présente dans La Route de la Conquête et dans l’anthologie de Lucie Chenu, Identités, nouvelle qui s’applique à narrer l’histoire et les techniques des guerriers-souvenirs du Hiéral. Le chapitre 3 poursuit cette mise en place des mystères et nous gâte au niveau des références concernant Évanégyre, ce qui me rassure désormais totalement sur la cohérence de ce monde : ce qui est « historicisme » entretient des légendes partiellement transcrites sur un Empire du Dragon qui aurait dominé toute terre, l’Empire d’Asreth qui aurait commandé aux Anges et à des humains cuirassés ; les aficionados auront notamment reconnu l’un des événements explorés dans la nouvelle « Le Guerrier au bord de la glace » présente (et inédite) dans La Route de la Conquête. La technologie de l’artech qui sera vraisemblablement un enjeu de l’histoire au sens de sa réinvention.

Dans ce Port d’Âmes, nous suivons ainsi le retour rocambolesque de Rhuys, un noble déchu qui ne possède plus que son nom, ayant perdu en cours de route reconnaissance, liquidités et carnet d’adresses. Après être devenu marin relativement aguerri, il arrive à une vingtaine d’années dans une ville franche, Aniagrad, où le commerce et l’Administration règne en maîtres. Par d’heureux hasards, de drôles de rencontres et des mésaventures douloureuses, il va reprendre en main son destin, ainsi bien personnel qu’amoureux et financier. Rhuys se révèle un héros intéressant à suivre, qui rencontre suffisamment de problèmes et de personnages contrariants pour nous tenir longtemps en haleine ; peut-être quand même est-il parfois trop mélancolique et trop centré sur lui-même pour être inoubliable. Ses relations avec son mentor ou avec son amour à sens unique sont souvent naïves, mais il faut essayer de se remettre dans la tête d’un jeune d’une vingtaine d’années qui a eu un début de vie dichotomique entre une éducation très noble et une formation très à la dure.

Au fil des intrigues qui se tissent autour de Rhuys, non seulement nous retrouvons un univers que les fans de La Volonté du Dragon et de La Route de la Conquête apprécieront encore, mais en plus nous plongeons dans une ambiance qui n’est pas sans rappeler des enchevêtrements de sournoiseries telles celles rencontrées dans Gagner la guerre, de Jean-Philippe Jaworski, ou Les Mensonges de Locke Lamora, de Scott Lynch, deux œuvres majeures et récentes de cette « crapule fantasy » si attractive. Bien sûr, les descriptions n’y sont pas toutes aussi parfaites que dans le premier et les dialogues n’y sont pas tous aussi cultes que dans le deuxième, pourtant Lionel Davoust a son petit truc à lui qui fait passer un très bon moment de lecture.

Davoust - CriticÇa commence à avoir de la gueule, hein ? En plus, les ouvrages doublent de volume à chaque fois !

Au fur et à mesure, Lionel Davoust distille tant de petits points sur l’expérience, sur l’avancée dans la vie, sur le propre de l’Homme, que le lecteur ne peut s’empêcher de lire à travers eux la propre expérience de l’auteur. L’apport des livres, l’intérêt de toujours se porter vers l’avenir, de toujours voir plus loin que son petit système personnel, voilà bien des thèmes qui parleront aux habitués du site internet de l’auteur. Bref, il appuie constamment sur l’essentiel grâce à un seul terme : s’adapter.

D’ailleurs, on peut voir plus loin dans le sous-texte : le personnage auquel est censé s’identifier le lecteur, ce Rhuys à l’accent naïf et mélancolique, est constamment attiré par la tragédie au sens noble du terme : la relation qu’il entretient avec une Vendeuse d’âmes ne peut que faire penser à la relation qu’entretient le lecteur avec l’auteur qui lui fournit encore et encore des aventures dignes d’intérêt et qu ’il choisit, le plus souvent résolument tragiques. Bizarrement, Lionel Davoust semble se retenir quelque peu au niveau des tragédies : on les sent poindre et finalement elles sont repoussées… jusqu’à un certain point seulement (quand même, faudrait pas exagérer non plus !). Ainsi, n’étant pas dans sa tête, je ne sais pas si c’est uniquement parce que ce Port d’Âmes nous arrive après qu’il ait écrit sa trilogie du Léviathan, mais il insère bien davantage ici, format du roman oblige également, des notions et des artifices propres au thriller. Un coup d’œil avisé surprend quand même ces indications sur certains personnages ou certains lieux qui seront utiles parfois quelques lignes plus loin, et donc qui ne se glissent pas là par hasard, comme on pourrait facilement le croire au sein d’une quelconque description. Et c’est avec un certain plaisir que l’auteur surprend son lecteur assidu même quelques chapitres avant la fin.

Dans tous les cas, cela fait déjà pas mal de publications de Lionel Davoust que je consomme allègrement, et j’avoue qu’en total accord avec les préceptes qu’il dispense sur l’écriture en général via son site internet personnel, l’usage de la ponctuation, notamment du point-virgule et des guillemets dévolus au dialogue, convient à ma façon de penser, et donc de lire. Mis à part quelques usages particuliers du point (usages cependant réguliers chez énormément d’auteurs qui consiste à avoir des phrases sans verbe…), cette façon de faire est rationnelle, sensée et efficace. Pour finir, les ayant comptées et relevées pour une fois, seulement trois coquilles à notifier, ce n’est rien sur 500 pages, ainsi qu’un clin d’œil rigolo… une histoire de fromage, français ou suisse, voilà tout, mais une question me taraude : le gruyère a-t-il des trous dans l’univers d’Evanégyre ?

Je signerais donc tous les ans pour un ouvrage de Lionel Davoust dans l’univers d’Evanégyre tant il réussit à varier son style et sa chronologie pour se renouveler considérablement. Malheureusement, un tel rythme n’est évidemment pas tenable sur une telle œuvre, surtout quand on sait le temps nécessaire – six ans apparemment – à Port d’Âmes pour mûrir en un tel roman bien équilibré.

Voir aussi : La Volonté du Dragon ; La Route de la Conquête

Autres critiques : Aelinel (La Bibliothèque d’Aelinel) ; BlackWolf (Blog O Livre) ; Celindanae (Au pays des Cave Trolls) ; Doris Facciolo (La magie des mots) ; Dup (Book en Stock) ; Gillossen (Elbakin.net) ; Jean-Philippe Brun (L’Ours inculte) ; Stelphique (Mon féérique blog littéraire) ; Vil Faquin (La Faquinade) ; Xapur (Les Lectures de Xapur)

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

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